MUSIQUE

Vincent Delerm – À présent : se sentir vivant

Quand Vincent Delerm se conjugue au présent, c’est pour mieux faire le point sur notre époque et tenter de guérir le traumatisme des attentats en cherchant dans le passé l’espoir qu’il nous faut pour le futur. C’est aussi l’occasion d’un très bel album en forme d’auto-portrait d’un chanteur qui a déjà quinze ans de chansons derrière lui. Mais pas de narcissisme mal placé ; Delerm cherche plutôt à interroger chacun de nous pour savoir ce que l’on est devenu et ce que l’on veut être. Si l’on connait Vincent Delerm depuis longtemps pour ses textes, c’est aussi la beauté des arrangements, lyriques et libres, qui frappe à l’écoute de l’album. Enfin c’est également l’occasion d’une formidable rencontre au sommet de la chanson française avec Benjamin Biolay. On a rencontré Vincent Delerm pour parler de cet album.

Tu reviens avec A présent, après un concept album (Les Amants parallèles) autour de l’amour, à un album plus traditionnel. Comment est né cet album ?

L’exception, c’était l’album d’avant puisque c’était l’histoire d’un couple sur une dizaine d’années, j’avais le sentiment que pour aborder ce genre de sujets il fallait tout un disque. On avait travaillé qu’avec du piano, il n’y avait aucun autre son et instrument que du piano, même pas de claviers, même si on a l’impression en l’écoutant qu’il y a de batterie notamment. On s’était un peu contraint, c’est le moins que l’on puisse dire, et quand on a fini l’album, on a eu envie sur le suivant d’utiliser à nouveau tous les instruments et de faire des chansons qui n’avaient pas de rapports les unes entre les autres. J’ai retravaillé pour la réalisation de cet album avec la même équipe, Clément Ducol et Maxime Le Guill. Au début j’étais dans l’idée de refaire des chansons une par une avec une forme d’album plus simple, ce que je n’avais pas fait depuis longtemps. Finalement, quand j’ai fini l’album, je me suis rendu compte qu’il y avait une sorte de dominante autour de thèmes de l’urgence, de ce qui compte le plus pour nous, ce qui nous fait le plus d’effets. C’était ce qui s’est imposé et j’ai eu l’impression que les chansons étaient toutes cousues entre elles sur ces thèmes. Ça tient aussi au travail qu’à fait Clément Ducol, qui a relié tous les titres entre eux avec des longues plages de musique comme de la musique de film.

Tu donnes beaucoup d’importance aux arrangements autour des cuivres et des cordes, mais pour la première fois, tu laisses aussi la place aux arrangements électroniques. Comment s’est trouvé l’équilibre dans les arrangements ?

C’était une envie que l’on avait dès le début, notamment dans les rythmiques. Ça venait de Maxime Le Guill, avec qui on avait fait un premier essai où quand je jouais les mélodies on mettait tout de suite une programmation rythmique électronique et assez vite on a vu que ça fonctionnait et que l’on pourrait garder la froideur des rythmiques programmées et les confronter à l’aspect organique et chaleureux de vrais instruments. On est partis sur cette idée, si bien que quand tu mets un morceau instrumental comme Un Eté en blind test, c’est difficile de le rattacher à moi !

Le titre sur lequel s’ouvre l’album, La Vie devant soi, a presque valeur de programme pour le reste de l’album, que ce soit thématiquement ou musicalement. C’était important d’avoir un morceau d’ouverture qui annonce vraiment ce qui va suivre ?

La chanson n’était pas écrite dans cet esprit-là mais, très tôt, une fois écrite, c’était ça l’idée, ça s’est fait naturellement. L’idée du texte « Sens comme tu es vivant / comme les autres avant / avant toi » c’est une idée qui revient beaucoup dans le disque, celle de se sentir vivant mais en creux et en opposition avec des gens qui ne sont plus là ou ont disparu de notre vie, il y avait cette volonté là et musicalement elle donnait complètement le ton. Le travail que l’on a fait sur les cuivres sur ce morceau, entre les cuivres en plastique comme le mellotron ou les synthés et les vrais cuivres donnait aussi la direction que l’on a prise avec Maxime Le Guill – qu’il n’y ait pas de hiérarchie entre les instruments nobles et ceux synthétiques et que l’on choisisse plutôt ce qu’il y a de plus touchant et intuitif.

L’album s’appelle A présent, mais il y est autant question du présent que du passé et du futur. Comment as-tu voulu travailler ce rapport avec le passé et le futur ?

Je suis quelqu’un qui n’est pas doué pour être que dans le présent. J’avais envie que l’album soit une sorte d’état des lieux ou de photographie, mais pour moi ça n’avait pas de sens de ne pas faire allusion au passé. Il y avait cette idée du parcours, de la construction par strates successives, que l’on soit un empilement de tout ce qu’on a vécu ; c’est une idée qui me plait. Mais ce n’est jamais sous un angle nostalgique dans mon esprit, c’est intéressant de s’interroger sur ce que l’on a vécu et ce que l’on attend du futur. C’est quelque chose que j’ai toujours eu mais que je n’ai pas toujours su correctement exprimer. Quand tu fais quelque chose de nostalgique, les gens pensent tout de suite à quelque chose de triste, de mélancolique et finalement ça en dit plus sur l’auditeur que sur mon propre travail. J’aime souvent laisser des choses à compléter par les auditeurs comme si j’allumais des petits feux à droite et à gauche en laissant ensuite les gens compléter en fonction de qui ils sont et où ils en sont.

L’album est marqué par l’actualité de ces derniers mois, notamment les attentats, sans le dire vraiment. Quelle place occupe l’actualité dans ton écriture ?

J’ai le sentiment que rien n’occupe une place concrète et nette et que tout est là tout le temps. Le fait est que tu n’échappes ni à ton age, ni à la culture de ton pays, ni à des évènements comme ceux que l’on a traversés. Je ne fais pas partie des gens qui réagissent frontalement sur des évènements comme ceux-là, on ne m’a pas vu prendre la parole sur les attentats alors que pourtant j’ai souvent joué au Bataclan, j’y ai même fait un DVD, et beaucoup de médias m’ont contacté alors et je me sentais pas d’y aller parce que je ne voyais pas pourquoi je réagirais à quelque chose qui m’échappe complètement et qui a touché d’autres gens plus directement. J’aurais trouvé ça injurieux, je ne pouvais pas dire que j’étais le plus touché. Quand j’ai fait l’album, je n’avais pas l’impression de parler de ça et à la fin je me suis dit que ça constituait une grande ombre qui plane sur l’album.

Les pronoms – je, tu, nous, vous – sont très importants et marqués dans tes textes, était-ce une manière de répondre au « Je suis Charlie » ?

Dans un premier temps non. Dans le titre A Présent, c’est une succession de « nous sommes » mais au départ c’était des « je suis » que j’avais fait sans lien, mais ça donnait l’impression d’être une réponse. J’ai mis « nous sommes » pour décaler les choses, et en fait ça reste une alternative. Maintenant, je me rends compte que ça a joué et que ça me plaît que notre génération ne s’enferme pas que dans des « nous sommes » qui sont liés aux attentats. On est les attentats mais on est aussi autre chose, on ne va pas juste se reparamétrer à causes des terroristes en disant que Nous sommes Charlie, Nice, le Bataclan, Paris…

L’utilisation du « nous » permet d’évoquer ta génération. Le dernier morceau de l’album, Le Garçon, pourrait très bien s’appeler Le Garçon de 1976 a 40 ans, pour reprendre le titre d’un de tes précédents morceaux.

C’est un peu ça. J’ai aussi la conviction que tu parles de trucs assez personnels et pointus et pas du tout collectifs. Ce n’est pas :  « Je suis le garçon qui a hurlé de joie devant le troisième but d’Emmanuel Petit contre le Brésil ou le garçon qui a regardé le mur de Berlin s’effondrer », même si ce fut le cas. Mais j’essaye de déterrer un os plus profond, que les gens n’ont pas en tête, qui a priori n’est pas collectif mais qui est commun à toutes nos vies. Je ne cherche pas non plus à hiérarchiser entre les évènements qui sont censés être importants comme les mariages ou les naissances des enfants et des choses plus terre à terre. J’aime bien faire ça parce que c’est rendre hommage à la vie telle qu’elle est. Nos vies ne sont pas comme une maison où il n’y aurait qu’une pièce qui concerne les grands sentiments, une autre qui concernerait ce qui est plus anecdotique ; tout est mélangé, c’est un fourre-tout. Les chansons permettent de faire un inventaire et de passer d’un climat à un autre.

On t’a pas mal reproché le name dropping. Les références sont plus discrètes désormais, à travers la présence des voix de Jane Birkin ou de Marceline Loredan-Ivens ou une chanson qui aborde de manière moins directe la relation entre Serge Gainsbourg et Jane Birkin. C’était volontaire ou juste une évolution ?

Ça a été volontaire à une époque, celle où j’ai enregistré mon album avec Peter Von Poehl en Suède où j’avais besoin de faire un petit garrot sur les noms de joueurs de foot. Mais si c’était vraiment une volonté, je ne m’amuserai pas à mettre des archives, parce que c’est assez simple à enlever, alors que durant l’écriture c’est difficile de se passer de certains noms propres. C’est comme les arrangements, c’est la première chose que l’on entend en écoutant l’album. Je n’ai pas vraiment changé là-dessus : sur mes premiers albums il y avait la voix de Jean-Louis Trintignant. C’est plus délicat de déterminer ce qui a évolué, ça joue davantage sur les harmonies, sur la façon d’écrire et sur l’attitude mais c’est plus difficile à théoriser. J’essaye de toujours garder pour les concerts des moments où les spectateurs vont se marrer et qui sont moins sur l’album parce que j’ai peur d’une certaine lassitude sur ce genre de choses.

Tu aimes beaucoup les duos puisqu’il y en a souvent eu dans tes albums. Dans celui-ci il y a un duo avec Benjamin Biolay, Les Chanteurs sont tous les mêmes. Comment est né ce morceau ?

C’est une chanson que j’ai écrite en sachant que j’allais la faire avec Benjamin Biolay et c’était marrant. J’aime bien chanter en duo ; ce sont des chansons que tu arrives mieux à juger que les autres parce qu’il y a quelqu’un d’autre qui chante aussi. J’aime beaucoup ce morceau alors que j’aurais plus de mal à juger le reste du disque, mais là j’ai l’impression d’y être un peu extérieur. C’est assez agréable d’écrire une chanson en pensant à quelqu’un. J’ai souvenir d’avoir fait ça avec Neil Hannon de The Divine Comedy, dont j’étais fan et avec qui je voulais faire quelque chose, mais il fallait que ça fasse sens. L’axe du morceau avait été la relation de Neil Hannon à la chanson française dont il ne comprend pas les textes et inversement pour moi pour des chansons anglo-saxonnes que je pouvais aimer sans me poser la question de la signification du texte. En fait les duos sont souvent garçon-fille, et ça tu t’en rends compte quand tu fais des duos dans des émissions et que tu veux chanter avec un autre chanteur. Au moment où tu choisis ta chanson, il n’y a que des chansons d’amours, donc tu peux le faire au quatrième degré mais c’est pas vraiment satisfaisant. Sinon on nous dit de chanter Vieille canaille, donc on a décidé de faire un nouveau Vielle canaille, un morceau pour deux chanteurs.

En 2015, tu as réalisé une BO pour le film de Michel Leclerc, La Vie très privée de Monsieur Sim. Est-ce que cette expérience a changé ton rapport à la musique ?

Sans doute. C’est parti d’une discussion avec Michel Leclerc qui m’a demandé si j’avais déjà composé une BO. Je n’en avais jamais fait et je n’étais pas contre l’idée d’en faire une, du coup il m’a proposé de réaliser la BO de son film. Tout s’est fait assez simplement et c’était super. Je suis très attaché à des BO où il y a très peu de thèmes musicaux différents et qui sont déclinés, comme celles de François de Roubaix. J’ai travaillé avec le musicien Remi Gallichet et ça m’a fait voir les choses autrement. Ça nous a incité sur l’album à laisser des plages musicales, des instrumentaux, à ne pas nous hâter à commencer la chanson en mettant des introductions assez longues.

Tu parles de François de Roubaix, mais l’album est très marqué par Michel Legrand.

J’ai un peu saoulé Clément Ducol, qui faisait les arrangements, avec Peau d’Âne. C’est devenu un gag. J’avais vraiment cette idée d’une forme de lyrisme, de souffle, l’idée de prendre le pouls d’un moment et de nos sentiments. Il fallait quelque chose qui embarque l’auditeur et j’adore ça dans la BO de Peau d’Âne ; le coté baroque qui donne à ressentir la vie et à se sentir plus vivant.

Tu as travaillé avec Alex Beaupain sur son dernier album, et en écoutant certains morceaux de ton album, on peut aussi penser à ses chansons. Est-ce que le fait de travailler avec lui t’as influencé sur ton propre travail ?

Je ne dirai pas que c’est de travailler avec lui, c’est surtout lui en général. C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps et je connaissais ses premières chansons avant que ne sorte mon premier album. Cette génération-là, celle d’Alex Beaupain ou encore d’Arnaud Fleurent-Didier que j’ai beaucoup écouté quand j’étais étudiant, m’a beaucoup marqué. Ça me plaisait ces mecs qui chantaient alors qu’ils ne semblaient pas taillés pour être chanteurs d’opéra ; leur manière cinématographique également, comme le faisait aussi un chanteur comme Jean Bart qui mettait des extraits de films de Truffaut dans ses chansons et qui chantait tout doucement. Ça m’a autorisé à chanter, à avoir ce genre de personnage et à assumer ma cinéphilie.

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