L’auteure est née il y a à peine plus de vingt ans. Un vent de fraîcheur souffle chez Stock et sur cette rentrée littéraire, pour notre plus grand plaisir. Line Papin signe L’éveil, que l’on savoure avec merveille.
Un roman d’amour… Fait et refait, dira-t-on. C’est un défi que de refaire un énième roman sur la “question”. Défi relevé par Line Papin, qui éveille en nous la curiosité, à l’aide d’un récit polyphonique où les changements de points de vue se succèdent selon les chapitres. Technique narrative intéressante puisqu’elle permet de rendre bien compte des malentendus propres à une histoire d’amour, des chassés-croisés, des incompréhensions entre les êtres pourtant censés être sur la même longueur d’onde.
Laura, Juliet et le narrateur – jamais nommé – vont alors se chercher sous l’œil de Raphaël, l’ami. On comprend le titre notamment à la page 33 : “Ça m’excite, ça m’agace : je suis à l’orée de l’éveil, à l’orée de l’éveil”. On pense que le sujet du livre va être cet éveil à l’amour, à la sexualité. Il n’en sera finalement rien. Du moins pas entièrement. C’est un roman très sombre qui se profile sous nos yeux, profond, mystérieux, urbain, sinueux. Rempli de cris de douleurs, d’appels de détresse, de solitude, d’alcool, de saleté, d’une nudité pure et belle mais abîmée par la souffrance d’âmes innocentes. Ce sont des histoires d’amour nocturnes, de “warm dark deep nights” (p. 68), avec tout ce que la nuit apporte comme connotations. Dans ce roman mouvementé, où se joue tantôt la magie de l’amour, tantôt la poésie de la destruction, on se grise et se dégrise toutes les deux pages. Et c’est appréciable.
C’est en ce sens que les descriptions de Laura sont les morceaux de bravoure du roman de Line Papin : “Elle avait une indécence étrange ; son corps s’offrait à tout, partout, s’exhibait, et elle s’en foutait. C’était comme si elle voulait s’en débarrasser, de ce corps qui la gênait, comme si elle voulait nous le jeter à la figure, écarter les jambes et insulter la vie, m’insulter moi aussi. Rien ne s’est passé, rien n’a eut lieu ce premier soir mais ça allait venir : c’était dit dans la manière dont son corps se tordait au mien, se pliait au mien et plus encore, dans la manière dont elle me parlait droit à moi : c’était la première personne dont les paroles faisaient sens à mes yeux. J’ai senti que c’était la même chose de son côté : Laura se découvrait à moi, et à moi seul, parce que je semblais être le seul à saisir en plein cette brutalité, et à voir combien elle était nécessaire, vraie, pure, vive.” (p.95). Le fil conducteur est la figure de Laura, qui nous mènera jusqu’à la fin du roman – cette fin qui en fait un roman de la cassure et de la catabase.
Malgré peut-être quelques irrégularités de l’écriture, le récit fait montre d’un certain héritage littéraire et cinématographique qui ne manque pas de séduire car il est bien placé, bien retravaillé. On vient à se souvenir de la fameuse scène du Mépris de Godard, où l’on voit le personnage de Brigitte Bardot demander à celui de Michel Piccoli : “tu les aimes mes fesses ? […] Et mes seins, tu les aimes mes seins ?” à la page 60. D’autre part, c’est justement cette nudité au lit que nous retrouvons dans les scènes de lecture du roman. La mise en abîme de la lecture est un phénomène intéressant pour le lecteur ou la lectrice ; de plus, introduire de la littérature dans une histoire d’amour convoque un autre monde, le lie avec la sphère amoureuse, et, ainsi, ajoute une poésie à celle qui est déjà en train de se faire dans l’alcôve…
La plume de la jeune L. Papin nous transporte, elle est indubitablement marquée de cette sorte d’écriture glacée à la Duras, sèche, sobre, qui, en évitant les fioritures, en dit justement davantage. Mais elle se construit toutefois sa propre plume, douce, dynamique, qui sait nous surprendre au fil des pages.
Pour finir – on se doit de le noter – un petit hic éditorial : la dernière ligne de la quatrième de couverture. Celle-ci peut heurter certaines sensibilités de féministes aguerries, pourtant bien robustes et préparées aux coups durs (il le faut bien, de nos jours). Lisez plutôt : “C’est un premier roman d’exception. Et l’acte de naissance d’un écrivain”. Line Papin est pourtant bien une femme ! Non ? La langue française ne prévoit-elle pas un accord du genre ? Si. “Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde” a écrit Albert Camus.
UnE grandE écrivainE à suivre, donc.