LITTÉRATURE

« Beaux rivages » de Nina Bouraoui : on se noie parfois, on respire souvent

Beaux rivages (JCLattès) est un livre sur la rupture amoureuse, sur le trio infernal d’un ex, d’une rivale et de soi-même (la narratrice). Ou peut-être sur un duo encore plus redoutable : celui de soi à soi. Bilan d’un sujet, s’il en est, des plus éculés : le chagrin d’amour.

« En soi, l’amour n’est que du vent ; je crois qu’en revanche la solitude existe. » p. 141


Concilier tristesse et lumière, « l’une répond à l’autre », déclare Nina Bouraoui chez François Busnel, lors de La Grande librairie du 29 septembre 2016 (à réécouter ici). C’est « un roman de résistance », ce n’est pas un roman larmoyant. Nous ne pouvons que tomber d’accord avec l’auteure : effectivement, certains passages au cœur du roman et la fin énigmatique mais éblouissante nous ouvrent des perspectives vers l’incroyable capacité de l’être humain à reconstruire.

Toutefois, le roman reste inégal ; on s’y perd, on s’y noie et on ne trouve plus le rivage… Peut-être est-ce la volonté d’une écrivaine qui veut matérialiser par les mots, par la structure du livre, ce qui est ressenti par la narratrice de son histoire : ce flot de pensées contradictoires, ce manque de logique dans le quotidien, dans les sentiments, ce beau naufrage insensé qu’est la rupture amoureuse. C’est un des gouffres dans lesquels peut tomber la littérature intime. Mais un esprit indocile s’impatientera assez facilement et qualifiera les pages qui se suivent de lamentations redondantes… Il est vrai qu’on peut s’agacer de cet éternel retour d’A., l’héroïne qui se convertit en Sisyphe des temps modernes, une simple nana qui se plaint en permanence de sa malchance et de l’injustice de sa rupture.

C’est vrai que c’est l’un des défauts du roman. Mais il serait injuste de s’arrêter là. A. comme amoureuse, A. comme abandon. Les êtres qui chutent, les êtres qui tombent, les quittés sont mis sur une planche de salut, pro scenium, sur le devant de la scène. Le théâtre, la musique, le cinéma et la littérature permettent de sauver. Coucher noir sur blanc une peine permet de mieux saisir et cerner la souffrance. Le livre est d’une structure détruite, d’un chaos sans nom, un véritable capharnaüm de tourments… Mais il a un début et une fin. On peut le tenir entre ses mains. On peut le saisir dans sa temporalité.

« Parfois je me demande si le bonheur existe, s’il existe vraiment, ou si nous en avons juste l’impression, la sensation, comme si quelque chose s’arrêtait en nous et que nous nous regardions de l’intérieur en nous disant : je suis heureux, je suis heureuse, je peux l’affirmer car je le ressens, dans mon corps, sous ma peau, ça pulse, file, c’est du flux qui se propage ; mais c’est juste un moment, un instant, un très court instant, comme si tous les sens étaient réunis, en alerte, pour éclairer ce bonheur si fragile qui n’existerait que dans son vol, quand il vient à nous, nu dans la lumière, comme une apparition avant de s’enfuir. Je ne sais pas s’il y a un don ou une science le concernant. S’il y a un penchant au bonheur, une nature, et s’il y a une impossibilité au bonheur, une contre-nature. Je ne sais pas si le bonheur est un, entier, grand, large et unique, ou s’il est constitué de fragments poétiques – l’odeur de l’herbe après la pluie, le premier jour de l’été, un champs de coquelicots, un ciel d’arrière-saison, un glacier bleu, la certitude de faire partie d’un tout qui avance d’un seul élan, aime d’un seul amour. » pp. 243-244

De plus, le roman explore les enjeux de l’introduction d’internet dans les ruptures, et plus généralement dans les relations sentimentales. Décidément un roman à lire.

On rappelle que Nina Bouraoui est traduite dans le monde entier. La Voyeuse interdite (Prix Livre Inter 1991) et Mes mauvaises pensées (Prix Renaudot 2005) sont à lire absolument.

Rédactrice Maze Magazine. Passée par Le Monde des Livres.

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