LITTÉRATURE

Walden ou la vie dans les bois

Illustration d'Aymeric Arnaud

Illustration d’Aymeric Arnaud (http://twitter.com/arnaud_aymeric)

Si vous aimez les récits proches de la nature, vous avez sans doute déjà entendu au moins une fois le nom de Henry David Thoreau. La principale raison de sa renommée tient à son premier livre intitulé Walden ou la vie dans les bois qui transcrit son expérience de retraite semi-solitaire au cœur d’une forêt du Concord, dans le Massachusetts. Voici le récit d’une expérience de deux ans, deux mois et deux jours.

A l’origine d’un tel projet

Tout juste diplômé de l’université après des études de philosophie, Henry David Thoreau, qui se destinait premièrement à enseigner sa matière, décide de postuler à la mairie de sa ville pour obtenir un travail, mais en vain. Désœuvré et poursuivi à la même époque par les habitants de Concord car ayant mis involontairement le feu à une forêt, Thoreau décide de s’éloigner un temps de la civilisation. Encouragé par l’un de ses ami et mentor, Ralph Waldo Emerson, il se rend au bord du lac de Walden, propriété d’Emerson à l’époque et y construit un refuge qui lui servira deux ans. Loin des affaires intellectuelles qui le préoccupait jusqu’alors, le jeune homme de 28 ans ne manque pas de consigner ce qu’il juge important dans un journal de bord, première trace du genre littéraire du nature writting, mêlant des élans personnels et des épisodes de contemplations méditative, à l’image de celles Rousseauistes.

Bâtir son logis et se bâtir soi-même

La narration suivant les saisons, l’aventure commence en mars 1845 par la construction de la cabane de 13m², faite essentiellement de bois et de matériaux récupérés. En effet, Thoreau souhaitait dépenser le moins d’argent possible, usant de toute l’ingéniosité possible pour construire et commencer à cultiver la terre aux abords du lac. L’auteur offre au lecteur un récapitulatif précis de ses investissements minimes afin de montrer à l’homme du XIXème, la faisabilité et la rentabilité d’un tel choix de vie. Hymne à la réalisation personnelle et à l’ouverture à la nature, ce récit sonne tour à tour comme une invitation et comme un pamphlet face au rythme de vie effréné des hommes “dormant”, ainsi que les qualifie Thoreau, accrochés à leurs possessions et effrayés de tenter un tel retour aux sources. Ne portant cependant pas de jugement, Thoreau privilégie des épisodes de réflexion personnelle pour tenter d’appréhender la relation intense le reliant de plus en plus aux éléments primordiaux, et du même fait le distançant du monde des hommes.

La contemplation de l’extérieur et de l’intérieur

Son regard ainsi s’arrête en extase sur les arbres, ces temples de verdure qui en toute saison accueillent ses pensées mais aussi sur le lac Walden, ce “trait le plus beau et le plus expressif du paysage”1. L’expérience se transforme alors en une quête d’harmonisation de deux instincts différents, celui sauvage, tout entier tourné vers les expériences utilitaires parfois choquantes comme la mise à mort d’un animal en regard de l’instinct plus élevé, l’instinct poétique de la contemplation de la Beauté et du respect de la vie dans tous ses aspects. En cette optique, tout est prétexte à la recherche de ce sauvage arrangement du Moi, ni tout à fait isolé du reste du monde mais comme protégé dans un écrin de verdure pouvant figurer un microcosme.

L’humilité pour tout style

Enfin, ce qui distingue le plus cette œuvre de Walden est l’humilité avec laquelle l’auteur écrit les 18 parties courtes constitutives de sa réflexion. Supplantant une quelconque recherche d’un style littéraire, l’écriture s’attache à l’exploration de thèmes simples, toujours envisagés suivant une procédure empirique et bien que tendant à une certaine forme de transcendance, restant intelligible pour le commun des lecteurs. Relevant sans nul doute de la volonté didactique de ce professeur dormant, cet enseignement de la vie primordiale retrouvée a pour seule prétention des pensées lancées tel des maximes. Comme en témoigne l’une d’elle, résumant à grands traits l’aventure initiée par Thoreau : “Soyez un Colomb pour de nouveaux continents et mondes entiers renfermés en vous, ouvrant de nouveaux canaux, non de commerce mais de pensée.”2.

Devenu une référence dans le paysage littéraire américain, Walden ou la vie dans les bois reprend les codes du roman et de l’autobiographie mais porte plus loin sa réflexion en l’orientant vers une question nouvelle au XIXème siècle, soit celle du lien unissant l’homme à la nature dans un monde ne cessant de s’industrialiser. Cette veine de la littérature sera reprise en brèche par de nombreux auteurs au siècle suivant, et notamment par Annie Dillard qui écrira Pèlerinage à Tinker Creek en 1945, rendant ainsi hommage à l’une des plus grandes figures de la pensée écologiste des lettres.


  1. Walden ou la vie dans les bois, éd. Gallimard, coll. L’imaginaire, p.215
  2. Ibid, p.363.
Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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