CINÉMA

44e Festival International du Film de La Rochelle : une édition entre documentaire et fiction

La quarante-quatrième édition du Festival International du Film de La Rochelle s’est tenue au tout début du mois de juillet. Le festival a fait la part belle au documentaire, en interrogeant sa forme, mouvante, et ses liens avec la fiction. Cette édition aura aussi été le lieu de belles (re)découvertes.

Une image aura dominé la quarante-quatrième édition du Festival International du Film de La Rochelle (FIFLR). Une image tirée du film La Vallée de Barbet Schroeder qui voit Bulle Ogier entourée de plusieurs hommes d’une tribu à moitié nus et portant de drôles de masques. Ce film illustre parfaitement une tension entre fiction et documentaire au cœur même de cette édition. Plus largement, l’œuvre de Barbet Schroeder, à qui le festival rendait un hommage en projetant une bonne partie de ses films en sa présence, est le parfait exemple de cette tension. La carrière de Schroeder aura été parcouru à la fois par le documentaire (Général Idi Amin Dada : autoportrait ; Koko, le gorille qui parle ou encore L’avocat de la terreur) et la fiction (More, Barfly, Le Mystère Von Bülow). Mais avec Schroeder, qui a également créé Les films du Losange et joué dans quelques films, la fiction recèle souvent une part de documentaire. Ainsi dans La Vallée (1971), il s’agit tout autant de raconter l’histoire de Viviane qui se retrouve embarqué dans une expédition, aux découvertes nombreuses pour elle, à la recherche d’une mystérieuse Vallée, que de documenter un territoire, la Nouvelle-Guinée, et sa population.

Les territoires multiples du film documentaire

Le documentaire aura été plus directement mis en avant à travers l’hommage rendu au documentariste américain Frederick Wiseman (High School, Welfare, In Jackson Heights) ou encore par la présence de l’italien Gianfranco Rosi qui venait montrer son dernier film, Fuocommare, qui a reçu l’Ours d’or au dernier festival de Berlin, et un autre plus ancien Bellow Sea Level (2009).

Une communauté autarcique, sans loi, sans gouvernement, sans eau ni électricité, trente mètres au dessous du niveau de la mer, en plein désert, à plusieurs centaines de kilomètres de Los Angeles. C’est le décor dans lequel se déroule Below Sea Level, fait de rencontres étonnantes et intimes avec des oubliés, des âmes perdues, des solitaires. Gianfranco Rosi filme avec pudeur et tendresse un monde inconnu, inimaginé et inimaginable, à la fois d’une absence objective et d’une présence inexplicable. Lors de la rencontre organisée par le Festival avec le public, il a confié avoir découvert cet endroit alors qu’il traversait une crise personnelle proche de la dépression. « J’ai vécu une à deux années là-bas, je m’y suis totalement intégré. » C’est sûrement ce qui explique la justesse de son regard sur les personnages qui se confient à lui, peut-être plus qu’à la caméra. Le temps a été long avant qu’ils ne l’acceptent et ne lui fassent confiance, mais la rencontre a bien eu lieu. « Ce que j’aime avec les documentaires, c’est qu’il faut s’ouvrir à un nouveau langage à chaque fois. J’ai vraiment cette envie d’apprendre à connaître des lieux que je ne connais pas, c’est comme cela que ça se passe. C’est d’abord une rencontre avec un lieu, puis avec des gens qui représentent l’idée précise que je me fais de ce lieu. » Rosi voulait que le désert soit un personnage de son film quand il le parcourait, et il a trouvé dans cette communauté des vies brisées, des espoirs perdus, des cœurs déchirés qui s’unissent à la sécheresse cruelle de ce paysage. Pourtant, rien de cruel dans les images. Malgré une réalité parfois dure, elles restent caressantes, émouvantes, drôles parfois. « Le seul langage que je sais utiliser pour accéder à la vérité de ceux qui sont devant ma caméra est le langage cinématographique. J’essaye toujours de créer de la circularité dans les entretiens avec ces gens, avec un début, un milieu et une fin naturelle, des moments que je ne coupe pas, que je ne monte pas. La vérité ne s’écrit pas. » Ces entretiens, ils sont le grand mystère du cinéma de Rosi. Ces personnages inconnus se dévoilent, se livrent tant, sans que jamais la voix ni le corps du réalisateur n’interviennent à l’écran. Nous découvrons petit à petit les histoires de chacun, les raisons qui les ont menés à se retrancher en plein désert, loin de toute civilisation, les tragédies qu’ils ont affrontées, la manière dont ils vivent dans ces conditions si particulières, les relations qu’ils entretiennent. Ils semblent se lancer dans leurs confidences comme s’ils se parlaient à eux-mêmes, et évoluer avec un tel naturel, une telle aisance, que le doute se crée : fiction, ou documentaire ? « Définir mes films en tant que fiction ou documentaire ne m’intéresse pas. Je ne suis pas capable de dire ce que je fais. » : voilà ce que Gianfranco Rosi en dit. Il est pourtant sûr qu’il a créé une nouvelle façon de manier le registre.

Cela se confirme avec Fuocoammare, par-delà Lampedusa. Se dégagent de la réalisation une liberté, des émotions, un naturel et une justesse surprenante, qui créent davantage de doutes encore sur la frontière entre les genres. La caméra semble avoir été posée là, presque par hasard, mais les scènes qui se déroulent devant elle sont parfois paradoxalement trop vraies pour être vraies. Sans explication, sans voix-off, sans commentaire, la vie de six habitants de l’île et l’arrivée des migrants à la nouvelle frontière déplacée dans la mer s’entremêlent sans jamais se rencontrer réellement. « Le vrai défi que je me lance, dans ce monde plein d’informations, est de fermer la porte, de ne pas l’ouvrir, et de filmer ce que je vois à travers le trou de la serrure. Il y a évidemment tout un monde autour de ce que je filme, il y a une multitude de choses à voir derrière une image, et cela appartient à la liberté du spectateur. » Une intemporalité enveloppe en effet les films de Rosi, un accès au plus essentiel est offert au public par l’étude sociologique des caractères à laquelle s’évertue le cinéaste, dans des lieux-cocons coupés du monde. Fuocoammare lève ainsi le voile sur les tragédies migratoires immenses qui ont frappées les portes de l’Europe ces dernières décennies, et auxquelles le réalisateur a été particulièrement sensible, faisant de ce tournage un des plus compliqués qu’il ait vécu. « Filmer les migrants et les morts de Fuocoammare a été très dur. J’ai eu l’impression de me retrouver face à une chambre à gaz. Quand je suis descendu dans les cales des bateaux et que j’ai vu ces cadavres, quelque chose s’est brisé en moi. Je me suis dit que le monde devait savoir. C’était un choix politique et éthique. » Les images de ce dernier documentaire touchent alors à l’humanité même de chacun des spectateurs. Une nouvelle fois, l’objectivité avec laquelle sont filmées ces images permettent au documentaire de ne pas tomber dans un pathos dérangeant. Les choses sont montrées comme elles sont, sans explicitation orale, sans exagération, sans dramatisation, sans théâtralisation. Les deux lignes directrices du film se compensent l’une et l’autre, et les histoires des habitants de l’île montrent aussi que la vie continue et triomphe tout près de ce cimetière maritime. Samuele, un jeune garçon d’une dizaine d’années, occupe une large place dans cette part là du documentaire, y apportant autant de fraîcheur et de légèreté que d’humour. « J’avais besoin de trouver un enfant qui soit encore en train de découvrir le monde, qui ne parle pas des migrants ni de la politique, et qui justifie aussi le fait que je n’en parle pas sur l’île. » Fuocoammare est en effet aussi l’histoire de deux mondes qui ne se rencontrent jamais, tout en cohabitant, interrogeant à nouveau le motif de la frontière. Gianfranco Rosi a significativement conclu la rencontre publique du Festival en ces termes : « La frontière est un concept très important. Dans Below Sea Level, le désert représente une frontière entre la vie et la mort. Lampedusa est, de la même façon, une limite invisible entre la liberté et la tragédie. »

À Frederick Wiseman et Gianfranco Rosi, on pourrait rajouter le cycle dédié au documentaire d’animation, genre en plein essor depuis Persépolis et Valse avec Bachir, pour donner une pleine mesure du documentaire en 2016.

Jean Vigo et Carl Theordor Dreyer à l’honneur

Durant cette quarante-quatrième édition de FIFLR, deux cinéastes avaient les honneurs d’une rétrospective. Celle consacrée au danois Carl Theodor Dreyer permettait de faire le tour d’une filmographie qui s’étend de 1919 (Le Président) à 1964 (Gertrud), entre le cinéma muet et le cinéma parlant avec une carrière qui semble en deux temps. Plutôt prolifique au moment du muet, Dreyer se fait plus rare après le passage au parlant marqué par Vampyr, qui garde par ailleurs quelques traces du muet, avec un film tous les dix ans. L’occasion donc de vérifier que Vampyr (1932) avait bien gardé intacte son étrangeté et que Ordet était toujours d’une force sublime. A travers cette rétrospective, la grande précision de Dreyer et son extrême croyance dans le cinéma impressionne.

Malgré sa très courte carrière (seulement quatre ans), Jean Vigo a aussi eu le droit à une rétrospective. Celle-ci a permis l’émerveillement devant la beauté sur grand écran du célèbre L’Atalante. Un cinéma riche aussi de toutes les trouvailles du chef opérateur de Vigo, Boris Kaufman, fait de trucages en tous genres. Cette volonté d’une expérimentation constante est encore plus visible avec les courts-métrages documentaire de Vigo comme La Natation par Jean Taris, champion de France.

Ce (vieux) rêve qui bouge

Enfin, dernier cinéaste à l’honneur, Alain Guiraudie qui depuis maintenant vingt ans étonne par son cinéma étrange et fantasque, inventant un territoire, une époque. Outre le merveilleux L’Inconnu du lac, sorti il y a déjà trois ans, l’ensemble de ses moyens et longs métrages était montré à La Rochelle. Entre western moderne, traques des bandits, histoires de bergers d’ounayes, monde en désindustrialisation, recherche du plaisir, le cinéma de Guiraudie est parcouru par une noirceur qui semble ne cesser d’augmenter, à l’image de son dernier film Rester Vertical.

D’aujourd’hui et d’ailleurs

Le Festival International du Film de La Rochelle a aussi à cœur de donner des nouvelles du cinéma d’aujourd’hui ou d’hier. Parmi les prochaines ressorties de film anciens restaurés, retenons Fargo des frères Coen, qui fête ses vingt ans, Little Big Man d’Arthur Penn ou encore Masculin Féminin de Jean-Luc Godard. Parmi les films d’aujourd’hui, le rire pouvait être de mise avec le l’hilarant Victoria de Justine Triet, l’aventurier Le Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder ou le délirant Apnée de Jean-Christophe Meurisse.

Une nouvelle fois, Le Festival du film de La Rochelle a montré qu’il était le lieu de tous les cinémas, où la fiction et le documentaire ne cessent de se croiser et de se brouiller, où la douleur et la noirceur deviennent tout de même jouissance.

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