L’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) a été créée en 1992 suite à la parution du manifeste nommé “Résister” dont le mot d’ordre était de défendre le cinéma indépendant et de donner une chance à tous les films. Outre les actions culturelles qu’elle mène toute l’année, l’ACID présente chaque année à Cannes une sélection de long-métrages qu’elle accompagne et qu’elle aide à diffuser.
Pour cette 69ème édition, nous nous sommes rendus au cinéma Les Arcades pour voir Swagger d’Olivier Babinet, un film qui donne la parole à des jeunes passés sous silence, un peu comme le fait l’ACID avec certains cinéastes. Comme c’est souvent le cas avec les films programmés par l’ACID, les avis divergent, c’est pourquoi deux de nos rédacteurs envoyés à Cannes ont tenu à confronter leurs opinions.
Le POUR, par Clémence Thiard
Avec ce teen-movie documentaire, Olivier Babinet nous donne un aperçu des banlieues d’Aulnay et Sevran à travers le regard de gamins tous étonnants à leur manière. Le dispositif qu’il met en place donne la parole à ces derniers, s’efforçant toujours de capter leurs propos dans toute leur sincérité et leur naïveté. Abordant de nombreux et épineux sujets liés à la vie “de cité” (mais pas uniquement en réalité…), tels que la religion, l’école, l’intégration, l’avenir, la vie de famille, l’amour, le racisme, et les centres d’intérêt, on peut sentir qu’il est permis aux enfants de laisser libre-court à leurs pensées. Leur parole est libre et retransmise comme tel à travers un dispositif qui donne l’impression d’assister à non pas à de simples témoignages mais à de véritables dialogues, face à face, entre le cinéaste et ses “sujets”. Cette impression de dialogue sincère est redoublée par le montage qui, à l’intérieur du film, fait dialoguer les enfants entre eux ; grâce à des champs contre- champs entre différents enfants se trouvant dans différents espaces, grâce à un jeu sur la profondeur de champ qui réunit deux enfants dans un même plan. Naît ainsi une certaine complicité entre eux, en plus de celle qui naît avec le spectateur, qui lui, découvre peu à peu la personnalité attachante de chacun des enfants. Les portraits qu’il découvre sont filmés dans les décors colorés de l’école, et grâce à ces teintes (bleu, rose, jaune…) l’image est plaisante, acidulée comme un bonbon. D’ailleurs Swagger se savoure plutôt de cette manière puisque, ne basculant jamais vers l’apitoiement, mais au contraire vers l’espoir, il dévoile les passions et rêves qui animent ces jeunes enfants (la mode, les Feux de l’amour, le rock, les études, etc). Babinet réalise parfois quelques moments de pure mise en scène qui montrent ces enfants dansant ou se pavanant en veste de fourrure au collège. Des moments toujours drôles et touchants qui révèlent toute l’envie et la fougue des enfants et donnent la pêche ! C’est donc un film positif que nous offre Babinet, généreux et optimiste. Finalement, la vie de cité que dépeint ce documentaire donne envie de crier à tous les enfants, de cité ou non : Let’s swagger ! Fanfaronnez* !
Le CONTRE, par Adam Garner
Né de la rencontre et de l’amitié tissée entre le réalisateur, Olivier Babinet, et les différents jeunes venus d’Aulnay et de Sevran, Swagger est un très beau projet pédagogique mais pas tout à fait un bon film. Le principal problème semble être que dans son ensemble, Swagger ne parviendra jamais à détruire cette frontière qui nous sépare de la réalité des jeunes de banlieue. Toute la réussite de Swagger dépendait de l’intérêt de ce que les différents jeunes dont les vies structurent le récit avaient à raconter aux spectateurs du reste de la France. Or, le bilan est compliqué. Mis à part quelques déclarations touchantes et révélatrices, certains propos témoignent d’une forme de naïveté ou de confusion vis-à-vis des problèmes dont il est question et l’on a parfois du mal à les comprendre. Certains affirment ne pas connaître de “français pur souche” et en parlent comme s’il s’agissait d’une espèce rare, d’autres condamnent les Roms et sous-entendent que contrairement à eux (“les arabes et les noirs”), ce sont des voleurs.
Ce qu’il manque au film c’est la rencontre, c’est un effort pour réintégrer ces jeunes de banlieue au sein de la société et faire reculer l’idée que nous sommes différents les uns des autres. Au lieu de filmer les banlieues comme des mondes qui fonctionnent en autonomie vis-à-vis du reste du pays, et de laisser ces jeunes face à des questions dont ils n’ont pas les réponses, ce dont on a besoin aujourd’hui sont des films qui cherchent à retisser du lien, à unifier.
En faisant le choix du docu-fiction fortement esthétisé, Olivier Babinet ne nous permet pas de découvrir les quartiers de Sevran et Aulnay tel qu’ils sont. Cela dit, le fait d’ajouter une part de fiction au propos documentaire n’est pas problématique en soi mais il suppose une certaine interprétation de la part du réalisateur. Dès lors, l’image de cette banlieue retravaillée selon l’imagination du réalisateur colle une fois de plus à une sorte de territoire de guerre (cf. les guetteurs postés un peu partout sur les toits) qui ne fait que réconforter une vision stéréotypée. La question de la représentation de la banlieue est un enjeu important au sein du cinéma contemporain, l’un des films qui a su plaire à la fois aux jeunes des quartiers et aux spectateurs venus d’autres horizons reste La Haine. Si les enjeux du film de Mathieu Kassovitz sont à des années lumières du travail d’Olivier Babinet, la différence qu’il y a dans la façon de filmer la banlieue parisienne et ses occupants est signifiante. Babinet donne à la banlieue des teintes très vives et colorées (malgré le caractère menaçant qu’il confère au lieu) là où Kassovitz fait le choix de la froideur du noir et blanc. De plus, une différence importante est que contrairement aux personnages de La Haine, dont les vies nous sont présentées comme des destins parmi tant d’autres, ceux de Swagger nous rappellent constamment que leur mode de vie est différent du “nôtre”.
Enfin, Swagger présente quelques faiblesses de scénario… On se rend assez vite compte du fait que les propos des différents protagonistes sont organisés par thème (l’avenir, la religion, les Roms, etc). Aussi, Olivier Babinet a fait le choix de figurer certains des propos des jeunes à l’écran. La démarche n’a pas grand intérêt puisque les illustrations visuelles n’apportent rien : une enfant dit qu’elle est toujours choisie en dernière en sport au moment de faire les équipes puis on voit une enfant être choisie en dernière à la récréation…
En bref, le film n’est pas en état de changer les mentalités car ses différents protagonistes semblent eux-mêmes prisonniers d’une idéologie qui joue en leur défaveur et face à laquelle Olivier Babinet n’a pas su créer une prise de conscience.