CINÉMA

JE NE SUIS PAS UN SALAUD – Banlieue Nord

Une masse de chaire tatouée occupe un lit aux draps blancs. Eddie, incarné par Nicolas Duvauchelle est une bête humaine qui fume frénétiquement ses cigarettes, alternant Ricard et cognac sur les comptoirs en bois des PMU de banlieue. Son regard, en deçà du monde, erre dans la ville, enrobé de cuir noir.

Eddie est un trentenaire un peu lourd qui boit seul avant de se décider d’aller aborder un groupe de jeunes femmes qui se pinte au Mojito. Une d’entre elles n’osera pas dire non quand il lui proposera de la raccompagner. Dans une ruelle, la troisième à droite, deux gosses cambriolent une voiture. Eddie, dans un élan de virilité tente de les arrêter. C’était sans compter la bande de grands frères, assise un peu plus loin. C’était sans compter la lame, planquée dans le caleçon de l’un d’entre eux.

 © Bac Films

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Des bruits hospitaliers et des blouses blanches entourent Eddie. Le monde lui porte attention, son ex-compagne, Karine, et son fils viennent le voir. La lame qui l’a plantée le reconstruit finalement. Il se sent héros, il s’est battu pour sa famille et pour son territoire comme il dit. Alors il gagne le droit de retourner dormir sur le canapé de Karine, puis dans son lit.

Mais Eddie ne sait toujours pas faire avec le monde. Il bat sa compagne et vous pleurez pour lui. Une ritournelle revient, sans cesse.

Bus, pollution, barres d’immeuble. Chômage, bouchon, séparation.

Eddie fera tout pour exister face aux autres tant il se sent faible mais il se trouve incapable de voir la vie autrement qu’à travers son propre prisme et ne perçoit le monde qu’à travers les images véhiculées par la société, à laquelle il aimerait appartenir mais qui le refuse systématiquement. Ainsi, même à la caméra, sa vision du monde devient une vision universelle.

© Bac Films

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Eddie, le monde l’a bouffé et, instinctivement, c’est en animal qu’il réagit. Dans la violence et dans la haine. Je ne suis pas un salaud est un cri contre les stéréotypes. Sans pardonner les violences faites aux femmes, il confronte la société à ce qu’elle a créé en exigeant des hommes une pseudo virilité. Eddie l’a pris trop au sérieux, c’est de sa faute, il s’est planté. Mais quand il veut parler, avouer, pleurer personne ne l’écoute. Les têtes se retournent uniquement quand il hurle ou quand il frappe.

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Je ne suis pas un salaud use de codes similaires aux films d’Audiard mais dans des directions opposées : la fiction reste au premier plan, tirant les larmes et jouant sur la sensation. Les scènes de violences sont très découpées, le gros plan intervient régulièrement, nous confrontant à l’action. Tout comme Eddie, nous subissons le film et son monde. Mais, contrairement à Audiard, les tableaux de société qui sont dépeints ne sont pas que des supports à la fiction. Le réalisateur, Emmanuel Finkiel, en use pour critiquer la société. C’est de l’imaginaire au service du réel, conférant au film une dimension éthique importante parce que la souffrance d’Eddie, la pauvreté qu’il subit et ses manques affectifs ne sont pas moqués. Finkiel ne se sert pas des malheurs des gens pour donner de la vraisemblance à son histoire, il crée Eddie en écho à ces malheurs. Choix éthiques qu’il confirme en ne tournant qu’en équipe réduite, refusant l’industrialisation du cinéma. S’ajoute alors de la satire avec la parodie d’Ikea et des personnages caricaturaux comme le patron d’Eddie, type en polo rose pâle qui organise des soirées barbecue-punch dans son jardin. De même que Ahmed, qui se trouvera accusé à tort d’avoir planté Eddie lors de son agression, représente finalement le salaud, c’est lui qui n’accepte pas sa véritable identité, racontant s’appeler Michel pour mieux vendre dans une société de communication. Ici, le salaud prend de sa dimension sartrienne.

Quant à ce titre, Je ne suis pas un salaud, il ressemble plus à une sorte de plaidoirie qu’à une affirmation. Il est le salaud désigné, le coupable parfait. Mais il est incapable d’être quelqu’un d’autre que lui même et ne joue pas des autres.

Brut, critique et philosophique, le film d’Emmanuel Finkiel met en scènes les crises identitaires modernes et dénonce le mensonge collectif sur nos travers communs.

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