Si le CNNum (Conseil national du numérique), dans son rapport « Travail – Emploi – Numérique : les nouvelles trajectoires », s’adresse directement à la ministre Myriam El Khomri en défendant entre autre l’idée d’un revenu universel, ce n’est certainement pas un hasard.
Nul ne peut nier les bouleversements qu’a apporté l’ère du numérique en autorisant l’immédiateté et en favorisant l’émergence de nouveaux médias et technologies. Les activités et emplois des individus se sont ainsi transformés en profondeur, tant dans le fond que dans la forme.
Pourquoi on ne travaille déjà plus comme avant
On parle beaucoup d’économie collaborative, un nouveau mode d’organisation professionnelle qui séduit en mettant en avant la relation humaine entre les acteurs économiques grâce à la fluidité qu’offre le numérique : citons des services tels que Woofing, Blablacar, Jam ou Couchsurfing. Moins coûteux, moins hiérarchisé et plus personnel, le service séduit et le marché explose. Une des illustrations de cette nouvelle dynamique, c’est « l’uberisation » (dont on parle beaucoup, parfois sans trop savoir ce que cela veut dire), où l’entreprise organise le cadre de la rencontre directe entre consommateurs et professionnels.
La révolution numérique va cependant au-delà du simple fait de commander un Uber ou de récupérer son déjeuner fait-maison chez Mamie Régale (où des retraités s’engagent en tant que traiteurs pour compléter leur retraite). Les changements sont structurels : cette immédiateté et cette fluidité sont de nouvelles données qui transforment l’essence même du travail. Dans notre modernité liquide, adaptable et tissée de réseaux, les parcours sont de plus en plus hybrides. Penser sa carrière comme un CDI linéaire et fixe n’a que peu de sens : nous sommes passés dans l’ère de la pluriactivité, des passerelles et des changements. Ceux apportés par le numérique et la facilité à laquelle on peut communiquer, voyager, échanger, se répercute sur le travail lui-même.
Le problème, c’est que ces changements ne sont pas suivis. Les pouvoirs publics, frileux, semblent partagés entre réticence et incompréhension. Sinon, comment expliquer pourquoi il existe une application pour tout, sauf pour la sécurité sociale ? On ne peut que constater un manque d’adaptation face aux nouvelles formes du travail mais aussi face aux technologies qui font pourtant partie de la vie de tous les jours. Par exemple, les gens travaillant dans l’économie collaborative, pourtant créatrice de richesses, n’ont pas de protection sociale, leur activité n’étant pas encadrée par l’état.
Le revenu universel : un nouveau souffle ?
C’est précisément là où le revenu universel trouve sa place, puisqu’il permet de s’adapter aux nouveaux paradigmes qu’impose le numérique en tenant compte de ces différentes formes de travail. Aujourd’hui, donner la même somme à tous les citoyens sans distinction permettra donc, entre autre :
-D’accompagner la fluidité qui caractérise aujourd’hui l’emploi en « lissant » les parcours discontinus.
-D’encourager indirectement l’activité des professionnels de l’économie collaborative (boostée par le numérique) en encadrant cette dernière, permettant à ces acteurs d’être également plus indépendants.
-D’irriguer les petites start-up innovatrices et studios de jeux vidéos afin de leur donner le temps et les moyens pour leur permettre de mettre en œuvre leurs projets respectifs et ne pas les abandonner, faute de moyens.
Attention cependant, il ne s’agit pas de « rémunérer » l’ensemble du digital labour, ou « travail numérique » au sens marxiste du terme. Une partie du digital labour, c’est qu’à chaque fois que je like un contenu, il y a création de richesse et profit pour une entreprise qui exploite mon activité. Mais ce n’est pas une activité professionnelle à part entière. Gaspard Koening, créateur du Think Tank libéral Génération Libre (à l’origine d’une étude défendant le revenu universel) insiste bien sur ce point. Il faut bien comprendre que l’idée n’est pas de toucher un revenu universel pour pouvoir se consacrer, la conscience tranquille, à du bénévolat ou à une activité non rémunérée sur internet, même s’il y a production de richesse.
De plus, soyons réalistes : c’est une mesure encore compliquée à mettre en place. Gaspard Koening avoue également dans une interview donnée au magazine NEON que la mise en place de ce dispositif nécessite encore beaucoup de réflexion. Il parle par exemple de la problématique de la sécurité sociale … comme du « boss final du Think Thank ».
L’envie de vouloir créer un nouveau modèle grâce au revenu universel reste tout de même entière et légitime. Les nouvelles activités et structures, fluides et rapides, exigent un changement de système sur le long terme. Car avec la révolution numérique, ce n’est pas seulement les activités qui changent : c’est aussi la manière de penser le travail, et le lien social en général. Espérons seulement que cela arrivera plus vite qu’une application « Sécu » …