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Anselm Kiefer et l’art de la métamorphose

Dans une vitrine, des fougères, dont l’apparition en tant qu’espèce remonte à plusieurs centaines de milliers d’années ; un tuyau vieux et abîmé, de plomb, lourd, brut, malléable ; de plomb également, des poumons humains. Le support, noir craquelé blanc, sur lequel repose ces éléments, évoque l’usure du temps. « Métamorphoses », titre l’artiste. Métamorphoses de la matière par la main humaine, celle de l’artiste, mais également par le temps qui passe et qu’Anselm Kiefer ne cesse d’interroger.  Après la rétrospective consacrée par la BnF, le Centre Pompidou vous invite à découvrir l’oeuvre de ce géant de l’art contemporain, jusqu’au 18 avril.

Né en 1945, l’artiste allemand entend repenser la mémoire d’une patrie honteuse et amnésique. Brandissant les symboles du nazisme, côte à côte avec ceux qui font la fierté de l’Allemagne, il démystifie le tabou et démonte la culpabilité, en réaffirmant la nécessité de se confronter à une histoire constitutive de l’identité du peuple allemand. Chez Anselm Kiefer, l’histoire est une dialectique sans cesse rejouée entre destruction et création, l’une étant nécessaire à l’autre. La contradiction entre déclin et apogée est portée à son paroxysme quand le peintre représente les ruines de grands monuments nazis, évoquant en même temps les deux temps charnières de l’histoire hégélienne.

Série des "Métamorphoses" : Saturn – Zeit [Temps de Saturne], 2015. Verre, métal, argile, acrylique, plomb, cuivre, résine et encre, 152 x 180 x 70 cm, Collection particulière. © Georges Poncet

Série des “Métamorphoses” : Saturn – Zeit [Temps de Saturne], 2015. Verre, métal, argile, acrylique, plomb, cuivre, résine et encre, 152 x 180 x 70 cm, Collection particulière. © Georges Poncet

Le support de l’œuvre questionne, lui aussi, la mémoire et le temps. L’agglutination de la peinture évoque le processus de création artistique, vécu à la fois comme reproduction du réel et échec à reproduire ce réel, . De la même manière, le livre, support majeur de l’œuvre de Kiefer, figure la volonté d’opposer le durable à l’éphémère. Sa mise en scène interroge le rapport du sujet à un passé fixé, mais non immuable pour autant : en superposant, plusieurs années après, de nouvelles couches de matière sur ses livres, l’artiste ouvre la possibilité d’un renouveau dans notre expérience de l’histoire. De même, en enflammant et carbonisant ses livres, en recomposant sans cesse la matière par des procédés alchimiques, Anselm Kiefer recherche la putréfaction, la désagrégation, la dissolution devant précéder toute régénérescence.

L’histoire, parfois, semble n’offrir aucune issue. La terre brûlée, la noirceur des ciels, même étoilés, l’épaisseur des forêts n’offre rien au spectateur englouti dans l’immensité des toiles que la promesse angoissante d’un futur toujours plus noir. Des perspectives existent, mais cloisonnées et étroites, comme dans ces Ateliers où Kiefer enferme des symboles sanglants de l’histoire allemande. Et si ses paysages offrent toujours un point de fuite, c’est une répétition à l’infini des mêmes routes meurtries que semble annoncer l’horizon toujours noire, toujours fermée. Les matériaux divers qu’il contient dans des vitrines, « accumulations de possibles », semblent proclamer que les possibilités de l’histoire sont, elles aussi, confinées.

 

Varus, 1976, Huile et acrylique sur toile de jute, 200 x 270 cm, Collection Van Abbemuseum, Eindhoven. © Jochen Littkemann, Berlin

Varus, 1976, Huile et acrylique sur toile de jute, 200 x 270 cm, Collection Van Abbemuseum, Eindhoven. © Jochen Littkemann, Berlin

 

L’art d’Anselm Kiefer, aussi violent et sombre qu’il soit, est aussi annonciateur d’un printemps nouveau. Explorant l’énigme de la création du monde et de l’origine de la vie, il puise dans les mythologies égyptienne, mésopotamienne, aztèque, dans les religions orientales et la spiritualité juive les éléments constitutifs d’une cosmogonie profondément humaine. La représentation de vastes étendues célestes couvertes d’étoiles, l’utilisation d’éléments naturels, fleurs, feuilles, graines, dans ses compositions, et le recours permanent au symbole de l’arbre sont autant de chemins menant vers les confins de la création. Au cœur de cette recherche se trouve l’homme, spectateur contenu dans l’œuvre, à la recherche de son passé, écrivant, avec Anselm Kiefer, une histoire de l’humanité : « Nous possédons dans nos cellules l’histoire et le cosmos », clamait l’artiste.

Cartooniste et féministe, j'écris et dessine pour Maze depuis la Chine.

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