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Ca ira (1) Fin de Louis, de Joël Pommerat

Avec sa nouvelle création, Ca ira (1) Fin de Louis, le dramaturge et metteur en scène Joël Pommerat nous offre une pièce historique, très différente des précédentes, mais toujours pleine d’humour et d’intelligence. La pièce retrace l’histoire d’un roi nommé Louis XVI, d’un pays dans une situation de crise, la France, et d’un ensemble d’hommes et de femmes prêts à faire basculer l’histoire. Ainsi, ce spectacle surprenant met en avant l’aptitude de Pommerat à nous divertir divinement tout en nous plongeant dans une profonde réflexion.

Une pièce de quatre heures traitant de faits historiques connus de tous, peut, de prime abord, sembler un pari risqué. Pourtant, l’immersion des spectateurs dans le spectacle est rapidement permise par la mise en scène très réussie. Sa scénographie épurée permet au spectateur de comprendre rapidement où se situe la scène. Les personnages vont et viennent, non seulement sur le plateau mais également à proximité des spectateurs, à côté et derrière eux. Le public, entouré par les personnages, prend le rôle d’une assemblée active, presque participative. Ce rôle est accentué par le fait que les personnages s’adressent parfois directement à nous. Le metteur en scène joue sur l’indétermination des rôles, la confusion entre les acteurs et les spectateurs. La mise en scène balance entre deux mondes ; discours politiques d’un côté, et, de l’autre, une petite touche mystérieuse qui nous rappelle que nous sommes bien au théâtre.

Lorsque le passé résonne…

En traitant l’histoire de la France, de la Révolution française comme un mythe, Pommerat offre un rappel historique et une réflexion sur les événements du passé, ainsi que la résonance de ces événements à l’heure actuelle. Avec beaucoup d’humour, le metteur en scène n’a de cesse de teinter sa pièce de modernisme, par petites touches d’anachronismes. L’arrivée du roi est ainsi annoncée comme celle d’un boxeur arrivant sur le ring, acclamée par la foule en délire avec (cerise sur le gâteau) en fond sonore, l’intense musique The Final Countdown. Mais aussi lorsqu’une femme s’octroie une photo (presque de l’ordre du selfie) avec son roi adoré après lui avoir exposé ses revendications…

Dans ce spectacle, Pommerat s’entoure de douze comédiens qui, par leur jeu d’acteur (terriblement bon) apportent chez chaque personnage, une personnalité politique, sans pour autant tomber dans l’archétype : le roi, par exemple, apparait comme un homme apprécié de tous qui tente simplement de faire de son mieux et pour le bien commun, mais est incapable de se défaire des propositions insistantes de ses conseillers.

Les personnages qui composent l’Assemblée ne sont pas immédiatement assimilés à des figures importantes de la Révolution (Robespierre, Lafayette…). Si les idées sont présentes, elles sont cependant énoncées par des anonymes. Les héros de la Révolution sont les citoyens, pour la plupart issus du tiers-état et comptant à leur côté quelques membres de la noblesse et du clergé. D’une façon tout à fait originale, ces personnages parviennent, de plus, à nous rappeler quelques politiciens bien connus (Nadine Morano, Christiane Taubira, Jean-Luc Mélanchon…), par leur physique, comme par leur comportement. Des rapprochements qui nous donnent à penser la politique actuelle, sa fonction première… Nous nous interrogeons sur la représentativité politique, quand la pièce nous rappelle la véritable fracture qui sépare le peuple de l’Assemblée. Assemblée Nationale dont l’objectif premier est de représenter ses concitoyens et qui pourtant, bien rapidement se tourne vers des intérêts purement égoïstes. L’écho avec le présent est flagrant quand, aujourd’hui, une majorité de citoyens ne se sent plus représentée par ses dirigeants.

source : tnp-villeurbanne.com@Elizabeth Carecchio

Mais le spectacle n’est pas que politique, et il est important de souligner sa dimension philosophique. Celle-ci apparaît notamment par la question de la manipulation de la parole dans un discours, de la nécessité de se battre pour ses idées, et à quel prix. Pommerat ne prétend pas tenir un discours sur le contexte politique actuel dans son spectacle, mais chaque spectateur, par son expérience propre, construit sa réflexion, et remet alors peut être en cause ce qu’il croyait jusqu’à présent être juste.

Un roi qui n’est pas diabolisé, une Assemblée Nationale constituée d’anonymes et qui, si rapidement, est incapable de représenter le peuple dans son entier. C’est là le message de Pommerat, par la figuration de ces hommes et ces femmes qui se battent, quitte à franchir les limites qui leur ont toujours été imposées. Ces personnages prêts à se battre pour la liberté, pour le changement et qui pourtant sont ceux qui rapidement délaisseront leurs idéaux. Le spectacle, à peine le rideau levé, produit une tension chez les spectateurs. Ceux- ci sont invités à réfléchir, donner leur avis et même parfois à applaudir presque malgré eux à certains discours, et même à voter.

Pommerat ne fait pas que retracer l’histoire de la Révolution française, il sème une petite graine de révolutionnaire dans chacun des spectateurs.

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