CINÉMA

Saint Amour – Verre à pieds ou en taxi

Imaginez Gérard Depardieu (Jean), Benoît Poelvoorde (Bruno) et Vincent Lacoste (Mike, à prononcer « Mique », à la française) arrivant dans une « chambre d’hôte » où Michel Houellebecq propose des nuits pour la modique somme de 70 euros avec – au choix – une chambre un peu miteuse et quelques tapis de sols dans le salon. Imaginez maintenant une certaine Vénus – jeune femme rousse et habillée en vert – en train de faire du cheval sur le champ de Mars, à Paris. Ces deux situations sont dans le même film. Le lien ? Ils sont tous les trois potentiellement pères de l’enfant qu’attend Vénus. Non, vous n’avez pas bu, c’est dans ce film, Saint Amour, de Gustave Kervern et Benoît Delépine, que l’on boit beaucoup et avec joie.

Jean, agriculteur, et son fils Bruno, agriculteur lui aussi, sont avec deux amis, agriculteurs eux aussi, attablés. Ils sont là, ils parlotent, buvant pas si gaiement. Ce n’est pas un apéro de vieux copains ou de voisinage, ils sont tous là pour concourir à qui aura la plus belle bête. Même si on ne croise pas de ministre légèrement alcoolisé, vous aurez devinés avant que je ne vous le dise, nous sommes bel et bien au salon de l’Agriculture ! Qui dit salon de l’Agriculture ne dit pas que vaches et taureaux peignés comme caniches anglais ; on y trouve aussi suffisamment de crus pour faire la route des vins sans sortir du salon. C’est ce que décident d’entreprendre à nouveau Bruno et son oncle – interprété par Gustave Kervern lui-même – et ce serait peu dire qu’ils ont de la bouteille dans l’exercice. Sur une BO signée Sébastien Tellier, ils passent de région en région, prévenant les exposants que c’est certainement mieux de les avoir au début de la route qu’à la fin. Après quelques vins dégustés avec toute la modération d’un Gustave Kervern et d’un Benoît Poelvoorde, Jean récupère son fils Bruno, rond comme un cul de pelle et pleurant le vin qu’il avait bu. Désemparé à la Gérard Depardieu, Jean décide de partir une semaine avec Bruno, faire la vraie route des vins. Et ce ne sera ni en vélo, ni en VTC, ce sera en taxi. En plus d’un voyage évalué à environ 2644 euros, ils écopent d’un chauffeur d’exception : Mike, alias Vincent Lacoste.

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© Roger Arpajou / No Money Production

En dehors du fait que l’histoire est complètement surréaliste et que la bête qu’ils présentent au concours a un nom de dinosaure, les cinéastes mettent en scènes des moments complètement hilarants. Dans Saint Amour, les dialogues exquis ne sont qu’une part infime du sens de la comédie des deux cinéastes. Quand, arrivés au premier village de la route des vins, Depardieu annonce à une serveuse débutante et un peu maladroite, qu’il aimerait tout l’aquarium pour son repas, nous ne voyons pas cet aquarium. C’est par un recadrage des plus simples de l’autre côté de la table des deux personnages, que l’on découvre cette même serveuse en train d’essayer d’attraper des langoustes et des crabes, dans la profondeur de champ, en second plan de l’image. Cette façon de nous mettre en avance ou en retard par rapport à ce qu’il se déroule dans la scène est d’une efficacité comique implacable ; on le vérifie encore dans une scène où Jean va téléphoner à sa « douce » dans les toilettes d’une aire d’autoroute. Nous restons d’abord à l’extérieur de la cabine depuis laquelle il donne son appel. A la fin de son appel, Bruno entre dans les sanitaires et entend une partie de la discussion. Jean sort et tombe nez à nez avec son fils, c’est la stupéfaction : ils s’engueulent, pleurent à moitié. Puis, soudainement, une voix retentit « vous êtes chez les filles ». Nous étions en avance sur Jean, nous savions que Bruno était dans les toilettes et qu’il allait le surprendre. En revanche, nous ne savions pas qu’ils étaient dans les toilettes pour femme. En décidant de nous faire croire qu’on sait tout de la situation, les cinéastes nous surprennent : chaque scène du film a sa surprise.

© Roger Arpajou / No Money Production

© Roger Arpajou / No Money Production

Après Near Death Experience, où la dépression était le fil conducteur d’un film affreux, Gustave Kervern et Benoît Delépine décident de quitter les lacets interminables des routes montagneuses que gravissait lentement Houellebecq pour reprendre la route avec fougue, en compagnie de trois acteurs à qui vont bien la dérision sur fond de détresse sociale. Si expliquer ce n’est pas excuser, rire c’est peut-être soigner. Oui, quand un film transpirant l’amour et le vin, tourne en dérision aussi bien le conflit taxi/VTC que la condition désastreuse des agriculteurs pour finalement les placer sous le signe du bonheur et de la naissance, on en sort le cœur léger et optimiste. Saint Amour est un grand cru, long en bouche.

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