SOCIÉTÉ

Pologne : vers une démocratie autoritaire ?

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste Droit et Justice (PiS), la Pologne connaît un remaniement institutionnel douteux qui ne laisse pas de marbre. Les réformes initiées par le gouvernement dans les secteurs de la justice et des médias ont provoqué les réactions de la société civile polonaise et de la Commission européenne. Cette dernière a même engagé une procédure inédite de “sauvegarde de l’État de droit”, une appellation sinistre qui interroge sur la situation en Pologne. 

 

Droit et Justice : une idéologie très conservatrice

Fondé en 2001 par les frères Jaroslaw et Lech Kaczynski, le PiS peut se définir par son euroscepticisme décomplexé et son attachement à l’identité catholique de la Pologne. Il préconise même à ce titre d’insérer une épreuve de religion dans l’équivalent de notre baccalauréat.

Le programme électoral du parti rassemble surtout des promesses populistes alléchantes telles que l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, la baisse de la TVA, la gratuité des médicaments pour les personnes âgées ou encore une allocation familiale mensuelle de 500 zlotys par enfant, soit environ 117€. En somme, une ambition sociale très coûteuse.

A cela s’ajoute le programme commun cher à tout conservatisme politique : refus du mariage homosexuel, du PACS ou de la légalisation de l’euthanasie. En ce qui concerne les droits des femmes, on peut parler d’une pensée clairement anti-avortement et du projet de mettre fin au programme de financement de fécondation in-vitro, initié par le précédent gouvernement.

En octobre 2015, dans un contexte marqué par la crise des réfugiés, c’est surtout le discours anti-migrants qui a séduit et qui trouve sa place dans le succès du PiS aux élections législatives.

Au niveau économique, Droit et Justice est en faveur de l’instauration d’une taxe sur les supermarchés et institutions bancaires qui appartiennent en majorité à des capitaux étrangers. Une « repolonisation » de l’économie comme ses leaders aiment la qualifier, fortement inspirée de la politique de Viktor Orban en Hongrie, autre pays dans le collimateur de Bruxelles.

D’un point de vue politique, le renforcement du pouvoir exécutif pour un système centralisé est de mise : le PiS cherche à accroître l’influence du Président dans les domaines judiciaires, médiatiques et des services secrets. C’est d’ailleurs ce qui a été mis en pratique ces derniers mois et qui est responsable du bras de fer actuel entre la Commission européenne et le gouvernement polonais.

 

Les réformes qui ont fait sourciller l’Europe

Tout a commencé par le limogeage des chefs des quatre services de renseignement et contre-espionnage polonais dans la nuit qui a suivi le vote de confiance accordé au parti de Kaczynski, et leur remplacement le lendemain par la Première ministre Beata Szydlo. L’opposition a dénoncé un “coup de force nocturne contre les services spéciaux”.

Puis, quelques jours après, Le Président Andrzej Duda s’attaquait aux médias publics : selon le PiS, il s’agit de redéfinir leur mission de service public et d’en faire des « médias nationaux ». Le premier volet d’une loi plus radicale prévue pour le printemps a été promulgué début janvier. Désormais, le ministère du Trésor assure la nomination des dirigeants des médias publics et a le pouvoir de révoquer, avec effet immédiat et sans justification, les personnalités actuelles. En d’autres termes, les concours n’existent plus : tout se fait sous la tutelle du ministère.

Les rédactions redoutent « la purge » attendue pour le printemps : il est prévu que tous les employés soient limogés et réembauchés peu après une « vérification » aux contours flous. De même, certains journalistes ont confié à la presse la peur de voir les médias devenir le vecteur de la propagande patriotique du PiS.

Les médias privés ne sont toutefois pas plus à l’abri, puisque l’une des mesures économiques de Droit et Justice consiste à taxer les capitaux étrangers. De plus, les tribunaux se sont vus interdire leur abonnement à des journaux d’opposition tels que la Gazeta Wyborcza.

Une autre mainmise qui a fait réagir est la loi sur le Tribunal constitutionnel, qui interroge du point de vue de la séparation des pouvoirs : le PiS, qui y a déjà placé cinq juges de son choix, a introduit la règle de la majorité qualifiée des deux tiers, qui exigent que 13 juges sur les 15 soient présents pour statuer contre 9 auparavant. L’ajout de délais obligatoires de trois à six mois (14 jours jusqu’à maintenant) fait également parler : cela annonce des retards importants et donc une paralysie du fonctionnement du Tribunal. Le Président peut également révoquer un juge constitutionnel qui ne lui plairait pas. Le principe de l’indépendance des juges disparaît ainsi totalement. La paralysie du Tribunal constitutionnel inquiète les spécialistes qui y voient une feinte du gouvernement pour faire passer des lois au contenu douteux dans les années à venir. Pourquoi en effet s’acharner sur le Tribunal si les intentions prévues par le gouvernement étaient constitutionnelles ?

La Pologne dans la rue : « Non à la “poutinisation” »

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Cette agitation institutionnelle a conduit à l’émergence du KOD, le Comité de défense de la démocratie, un rassemblement de citoyens qui manifestent pour leur liberté. Des slogans comme « Kaczynski, va-t-en en Hongrie » illustrent les inquiétudes des polonais. Les plus anciens craignent un retour à l’ère communiste, les plus jeunes craignent pour l’avenir démocratique de leur pays, un concept avec lequel ils sont nés.

Cette ébullition civile s’est accompagnée d’une intervention de l’Union Européenne. Depuis 2014, pour pallier aux défauts du principe de subsidiarité selon lequel les affaires intérieures sont du ressort des États nationaux, il a été établi que lorsqu’une menace claire à l’État de droit sévit dans un État membre de l’Union Européenne, on peut activer la procédure de sauvegarde de l’État de droit. Celle-ci consiste à procéder à une évaluation du texte qui pose problème et comme cela a été le cas, à une sorte de Grand Oral des dirigeants polonais au Parlement européen.

Il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité de ce mécanisme, mais il devient évident que l’Union Européenne ne peut pas lutter contre la vague populiste qui s’abat sur elle : le 22 janvier dernier, les ultra-nationalistes croates ont à leur tour formé leur gouvernement. Mais l’Europe de l’Est seule n’est pas à accabler. L’Europe occidentale subit elle aussi ce revers conservateur : que penser par exemple du Danemark qui soutient une politique de saisie des biens personnels des réfugiés par la police ?

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