On n’a pas pu s’empêcher d’apporter du nouveau pour 2016, c’est pourquoi Maze Magazine vous a concocté un nouveau format pour aborder le cinéma : désormais vous pourrez retrouver chaque mois un nouveau thème illustré d’images de films et de textes rédigés par nos rédacteurs. Ce mois-ci, parce qu’on ne voulait pas se lamenter sur l’année difficile qui vient de s’achever, on a voulu égayer ce premier numéro de la nouvelle année en choisissant de travailler autour du thème “Le cinéma est une fête !”.
La fête parce qu’elle est le moment du rassemblement, de l’ivresse, de l’amour et que c’est ce dont le monde a besoin aujourd’hui. Pour autant, les différents événements survenus au cours de l’année nous ont laissé avec une belle gueule de bois avant même que la fête ait pu commencer. Le thème renvoie bien sûr à l’ouvrage d’Hemingway, Paris est une fête, mais aussi à la triste fête que connait le monde quotidiennement, celle où les uns dansent sans se soucier de ceux qui meurent. Le cinéma, face au mélange d’exaltation, de mélancolie et d’ivresse de la fête, est le lieu de la plus grande compassion : trinquer avec ceux qu’on aime un verre à la main et partager la vision du monde d’un cinéaste dans les salles obscures sont des instants qui ont pour point commun de nous rappeler que l’on porte tous un même fardeau, celui du genre humain, avec les joies et les peines qu’il suppose.
Les séquences de fête durant lesquelles les personnages passent du rire aux larmes, aussi bien dans Husbands de John Cassavetes que dans Idiotern de Lars Von Trier, me paraissent être très représentatives du sentiment de compassion que j’ai mentionné. Après quelques verres d’alcool comme face à des images de cinéma qui nous dépassent, on est mis à nu et on laisse chacun voir nos peurs et nos angoisses, on cherche les bras d’un ami pour nous rassurer et nous chuchoter : “Moi aussi.” (Adam Garner)
La fête est l’occasion de se retrouver et de retrouver les siens autour d’un bon repas où l’alcool coule à flots. On replonge dans nos racines, ici tziganes pour Kusturica, et on s’oublie dans la fête et l’ivresse. C’est le moment d’expier ses péchés et de purger ses passions. Mais si la fête peut créer une harmonieuse alchimie entre les êtres, elle peut aussi devenir le lieu des règlements de compte, quand un grain de sable vient faire grincer les rouages de la machine festive. C’est le cas dans Festen de Thomas Vintenberg. Dans ce cas là, la fête devient tranchante et blesse de ses griffes acérées du passé. Deux visions de la catharsis des fêtes, entre chat noir et chat blanc. (Hugo Prevel)
Fresques sociales, Mountains May Depart et Bande de filles n’ont à priori rien à voir avec la fête. Pour sûr, devant ces films, les larmes et les grimaces douloureuses sont de mise ! Et pourtant, une musique se déclenche. Une musique bien kitsch ou confortablement commerciale. Vous détestez ces musiques d’habitude, n’est ce pas ? Qui écoute encore des vieux tubes italiens des années 1970 ? Mais ici, les acteurs dansent et ce moment de souffle, aussi pathétique dans Moutains may départ que puissant dans Bande de filles provoquent un sourire inconditionnel ainsi que l’irrésistible envie de gigoter sur votre siège pour danser avec eux. Le cinéma est une fête lors de ces moments où le son, la musique va guider l’image. Loin d’être une facilité, savoir doser ces instants et les insérer pour devenir des parenthèses d’extase demande parcimonie et délicatesse. Il semble que ces instants touchent à une ultime empathie. Plus que dans la souffrance, nous rejoignons les acteurs pour toucher à leur libération. (Emma Pellegrino)
La fête est ici le lieu d’une transgression, celle d’un empereur qui se laisse guider par la belle Kwei Fei au cœur d’une fête populaire, loin du palais et de ses devoirs astreignants de monarque. La transgression de cette fête ne réside pas tant dans le fait que le couple se mêle au peuple que dans la mise en place d’une cérémonie au cœur même de l’évènement festif. Ainsi la fête ne serait pas la simple expérience éphémère du sentiment de clandestinité, celui qui nous donne l’impression de faire quelque chose d’exceptionnel et d’irrégulier. L’euphorie d’une fête peut certes se mesurer aux interdits qu’on brave, aux risques qu’on peut prendre ; on peut même parfois être amené à penser que la « vraie vie », c’est ça : jouer de la musique et danser dans la rue, au milieu d’une foule joviale réunie exceptionnellement. Cependant le couple impérial ne cherche pas à se fondre dans la masse des petites gens. Ils cherchent, en entamant une danse, à célébrer la fête même. Celle-ci devient alors plus belle encore, lorsque l’improvisation devient chorégraphie, pour atteindre la forme la plus aboutie de la célébration, la cérémonie. Penser un moment qu’on puisse célébrer la fête, c’est se permettre de vivre la fête pleinement, comme une occasion de se réjouir du réjouissement. (Clémence Thiard)
Happy Feet Two de George Miller : George Miller a toujours perçu le cinéma comme un moyen d’expression visuel. Que ce soit avec un point de montage, un mouvement de caméra ou un cadrage, le cinéaste cherche à communiquer avec le spectateur. Les deux Happy Feet, et encore plus le deuxième, sont des films qui visent à renouer le dialogue entre les êtres. Ici c’est à travers le chant et la danse que les différents peuples présents sur la calotte glaciaire dialoguent. La scène finale voit toutes les nations s’unir en chantant et dansant, sur Under Pressure de Queen, pour briser un bloc de glace qui emprisonne le peuple manchot. La mise en scène galvanisante de G. Miller réunit l’ensemble de ces communautés dans un même mouvement de caméra. Le point final est donné lors d’un enchaînement parfait de plans qui associe un pas minuscule d’un krill à l’effondrement du bloc de glace. L’individuel et le collectif, l’infiniment petit et l’infiniment grand réunis par un même acte d’expression primaire, la danse.
Le seigneur des anneaux : le retour du roi de Peter Jackson : A l’évocation du Seigneur des anneaux on se souvient rapidement des effets spéciaux révolutionnaires, des batailles titanesques, des multiples créatures, ou de l’héroïsme galvanisant. Mais à côté de ce spectacle, il y a également des scènes intimistes à l’émotion pure. Voyez plutôt la scène dans le dernier volet (Le retour du roi) lorsque nos quatre hobbits sont rentrés de leur périple et sont dans une taverne, une pinte de bière à la main. Tout autour d’eux les personnes rient, s’amusent, sont heureux. Eux sont assis, ne prononcent aucun mot et se regardent. On imagine alors le poids de l’aventure qui pèse sur eux et dont les stigmates sont encore frais. Soudain, Sam voit une femme et part lui parler. Le plan d’après montre leur mariage, les hobbits ont retrouvé le sourire et la caméra s’arrête alors sur le héro Frodon : sa joie s’efface peu à peu. Avec un habile jeu de regards et une musique habitée de Howard Shore, le spectateur se rend compte de la douleur du retour à la maison, et de l’impossibilité de reprendre une vie normale pour certains. Peter Jackson sait repousser les limites du spectaculaire mais il sait tout aussi bien nous plonger dans l’intimité de ses personnages. (Nicolas Renaud)
Le cinéma est une fête : à la fois exaltation et son auto-célébration, il est un lieu propre à l’excès, à l’ivresse et au débordement, comme l’illustre Les Amants du Pont-Neuf de Leos Carax, à l’œuvre peu prolifique mais singulier. Le film est porté par deux jeunes au sortis de l’adolescence et à l’entrée de l’âge adulte qui se réfugient du monde sur le célèbre pont éponyme en rénovation. Ces deux écorchés vifs, avec un désir irrépressible de vitesse et d’abandon, fêtent dans une séquence mémorable le quatorze juillet, en dansant, en chantant et en s’élançant. Ce film radical et poétique plein de fureur et de rage évoque un autre grand film, sorti en 2015, du controversé cinéaste américain Larry Clark. Dans The Smell of Us, il y a une séquence incroyable qui se déroule dans une soirée underground parisienne, où le cinéaste coupe la musique diégétique pour mettre du Bob Dylan. Ce geste radical lie la fête mélancolique et lyrique de l’intime à celle de l’énergie du groupe, de la jeunesse. Des têtes qui s’épanchent et des corps qui se dépensent. Qu’en sera t-il de demain, des lendemains de fêtes ? (Lisha Pu)
Le cinéma est une fête. Le cinéma est aussi une célébration. Le cinéma nous montre le réel. Mais le cinéma fête aussi l’irréel. Cette photo tirée de Voyage au bout de l’enfer fête un mariage. On y voit Meryl Streep faisant ses premiers pas d’actrice, dansant avec un De Niro au sommet de sa gloire. Mais la suite du film nous raccroche violemment à la réalité, à la violence, au hasard, des choses de la vie. Le cinéma est une fête et ce film, magnifique, a révélé de grands acteurs. Ce film a fêté le cinéma comme un art à part entière. Mais ce film a aussi vu la mort d’un de ses acteurs, Christoper Walken, raccrochant ainsi la beauté, la vie, la fête du cinéma, à la réalité, à la violence, au hasard des choses de la vie. (Philippe Husson)
Une sensation, un ailleurs, un moment précieux, éphémère et surtout collectif. Elle est une danse, une musique. Ivresse et chaleur, bonheur et rituel des lumières, des couleurs. La fête au cinéma se montre esthétique et poignante dans Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan, lorsqu’avec une musique suave, des flashs de lumières froides elle sépare d’un côté le bel apollon, les yeux fermés, dansant comme un feu entouré de ses Vestales et de l’autre coté les deux cœurs brisés, interdits sur ce petit morceau de canapé.
Mais le cinéma est une fête lorsqu’elle est un rassemblement de personnes qui n’ont plus peur du ridicule. Chacun peut être un grand enfant, perdant son sérieux pour partager un sentiment de joie. A la fin du Grinch de Ron Howard et avec beaucoup d’humour, la fête de Noël devient synonyme de tolérance et de compromis et non plus d’une fête commerciale et compétitive.
Moment d’abandon de soi pour un plaisir momentané, ou événement plus collectif à la recherche d’une certaine euphorie, la fête est partout et le cinéma est une fête ! (Alénice Legoux)
La sueur, les rires gras, les oreilles qui sifflent, une légère impression de s’étouffer le cul au fond d’un canapé ; les verres qui claquent à nos oreilles, les voix qui se coupent et s’entrecroisent, certaines timides et d’autres rauques, graves ; l’alcool dans les artères, les idées, les regards. L’effusion, la saturation et autres brouhaha propres à la fête entre amis, le cinéma sait parfois les figurer au son, en profitant de ses propres défauts de micros comme dans René, d’Alain Cavalier. Le son des enregistrements se dégrade, au fur et à mesure des excès de boisson. C’est un choc pour nos oreilles. Les personnages, eux, se dévoilent, discutent, s’écoutent parfois. Nous accueillons alors le sens de la scène.
Le cinéma est fait de chocs et de mains tendues ; les images et le son trinquent, s’embrassent, s’étreignent, s’opposent, se lient et se délient. Si le cinéma est une fête, il fait aussi la fête devant nous et avec nous. (Benoît Michaely)