LITTÉRATURE

Ce qu’on a aimé lire en 2015

C’est l’heure du bilan pour la rubrique littérature après les milliers de pages lues cette année !

Check Point, Jean-Christophe Rufin

J’ai toujours beaucoup aimé les livres de Jean-Christophe Rufin. Rouge Brésil, Globalia, Le parfum d’Adam, autant de romans qui se distinguent par une écriture agréable et par des réflexions profondes sur nos sociétés. Cette année, l’académicien a sorti un nouveau roman, Check-Point, qui décrit le périple de Maud, jeune bénévole engagée dans un convoi humanitaire. On est en 1995, les guerres de Yougoslavie font rage, et ce groupe de bénévoles et d’anciens casques bleus traverse les paysages désolés bosniaques pour livrer des médicaments. Ce qui m’a plu dans cet ouvrage, ce n’est pas seulement l’écriture agréable de l’auteur, ni la façon dont il décrit en détail le point de vue de Maud. Non, ce qui m’a plu, c’est surtout la manière dont il aborde son sujet. L’humanitaire est un thème des plus personnels pour J-C Rufin. Médecin de formation, auteur d’un essai intitulé Le piège humanitaire – Quand l’humanitaire remplace la guerre, Rufin a donné en juin dernier une conférence intitulée « L’aide humanitaire en question » à Lyon. Il a participé à la création de Médecins sans frontières , a beaucoup voyagé et a notamment travaillé pour la Croix-Rouge ainsi que dans des ONG situées dans les Balkans. C’est donc un sujet qu’il connait et qui pose les problèmes qu’il aborde dans cet ouvrage. Plusieurs questions sont formulées : Quelles sont les motivations de ces bénévoles qui s’engagent dans cette étendue gelée ? Dire « l’altruisme » ne semble pas suffire à répondre à cette question. La question de l’engagement est donc centrale. Et surtout : Face à l’horreur de la guerre, peut-on et a-t-on le droit de se dire « neutres » ? J-C Rufin évoque ces problématiques tout au long d’un récit de fiction haletant. Des personnages plus ou moins attachants, des paysages glaciaux et une atmosphère de guerre qui, derrière l’intrigue, aborde des problèmes qui se posent de plus en plus aujourd’hui. A lire !

Mary Laduoad

Un balcon en forêt, Julien Gracq

Il n’est de lecture mémorable que celle qui nous touche. Un balcon en forêt, publié en 1958 par Julien Gracq, figure à ce titre parmi mes coups de cœur de l’année. Suivre l’aspirant Grange, affecté à l’automne 1939 dans une maison-forte des Ardennes, a été une expérience formidable. Le jeune homme, saisi par cette sorte d’insouciance propre à la drôle-de-guerre, s’évade de son fortin et goûte à la vie. Il y a les bois et les chemins mélancoliques ; il y a le village de Moriarmé et la belle Mona ; il y a les boucles de la Meuse, les hommes et les méditations. Et il y a cette guerre qui rôde, et qui pourtant n’a jamais été si irréelle. Grange succombe à l’appel onirique du monde – ce monde qui devient le sien. L’Ardenne et l’amour offrent leur beauté aux yeux de l’aspirant rêveur. La vie est en suspens. Mais lentement elle s’écoule vers la rupture du 10 mai 1940, vers les obus qui éclatent alors qu’on les croyait si loin. C’est la fin de la drôle-de-guerre. La fin d’un monde. La fin d’un rêve. Et Gracq d’écrire : « La vie retombait à ce silence douceâtre de prairie d’asphodèles, plein du léger froissement du sang contre l’oreille, comme au fond d’un coquillage le bruit de la mer qu’on n’atteindra jamais ».

Loïc Pierrot

Palmyre, L’Irremplaçable trésor, Paul Veyne

Palmyre, mon coup de cœur de 2015, est définitivement l’un de ses ouvrages qui me fascine par les nombreuses dimensions qu’il ouvre pendant et après la lecture ! En effet, si on le lit quasiment d’une traite, il est difficile de savoir où classer Palmyre lorsque s’achève notre lecture. C’est d’abord un essai d’Histoire méthodique et documenté sur la cité syrienne, dans la mesure où il traite d’une ville antique qui n’est plus, joyau de l’humanité dans la vie et dans la mort, aux ruines sauvagement détruites cet été par les barbares de Daech. C’est en même temps un livre engagé, écrit par un spécialiste incontestable de l’Antiquité gréco-romaine du haut de ses quatre-vingt-cinq sous la pression du « devoir », un sincère plaidoyer pour la tolérance qui ne tombe jamais dans un gnangan moraliste et moralisateur. C’est enfin un vrai roman, tant la vie quotidienne de celles et ceux qui furent nos semblables d’un autre temps, l’épopée des héros palmyréniens comme Zénobie ou les luttes de pouvoir dans une cité qui se veut romaine par universalisme et orientale par chauvinisme prennent une force qui nous parle d’homme à homme. C’est enfin une sorte de paradoxe : Palmyre n’est plus, et même si elle sera peut-être reconstruite un jour, les générations futures ne pourront la découvrir vraiment qu’à travers ce genre de livre, à l’écriture précise et implacable. C’est un livre qui rend les mots plus forts que la réalité, et ça ne peut que nous émouvoir. Les photographies au centre de l’ouvrage, savamment choisies, accompagnent magnifiquement le propos. On ressort grandi de la lecture d’un tel ouvrage, qui gagne à être lu.

Basile Imbert

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