MUSIQUE

Entre la cyprine et la vodka – Interview d’Odezenne

Aujourd’hui Alix a « plein de trucs à faire » : la tournée d’Odezenne commence dans moins de deux semaines, leur troisième album Dolziger Str. 2 sort le 13 novembre, et leur deuxième clip sort à peine, celui de Vilaine

Qui es-tu dans Odezenne ?

Je fais partie du groupe, qui s’est formé il y a … Je sais plus, mais il y a longtemps ! Avec Mattia qui fait la musique et Jaco qui écrit les textes avec moi. On est prêt à sortir notre troisième album, là.

Ce nouvel album, c’est Dolziger Str. 2  : peux-tu nous expliquer ce titre ?

En fait c’est l’adresse à laquelle on habitait à Berlin. On est partis en octobre 2013 jusqu’en mars-avril – je me souviens plus, pour essayer de voir si on était encore capable d’écrire un disque. Ça faisait 5-6 ans qu’on avait écumé pas mal de concerts, on avait déjà sorti deux disques et on commençait un peu à être épuisé par l’indépendance en fait, parce que finalement tu sais on envoyait nos disques tout seuls, on faisait la promotion, la production de nos tournées, enfin tu vois.  Au bout d’un moment ça commence à prendre beaucoup de temps et puis tu réalises que ça fait deux ans que t’as pas écrit un texte. Le quotidien était de plus en plus pesant et donc on a décidé de partir à Berlin tous les trois sans rien d’autre que nos instruments, pour voir ce qu’il restait, quoi. Voir si Odezenne avait encore des choses à dire ou si c’était fini.

Et au final, vous aviez des choses à dire ?

Au final ouais, on n’y croyait pas trop pourtant. Moi quand je suis arrivé là-bas, au bout de 15 jours, je me souviens, je suis allé voir Jaco et Mattia dans le salon et je leur ai dit « Ouais, je vais rentrer en France une semaine. Ça le fait pas. Je pense que le groupe, c’est mort. ». Enfin vraiment je n’y croyais pas, c’était compliqué. Et en fait je suis revenu au bout d’une semaine, et on a passé pas mal de moment un peu chacun de notre côté, à traîner un peu dans la ville, à prendre le temps, en fait, à s’ennuyer, à sortir un peu. Et en fait c’est revenu assez naturellement, on a composé super rapidement entre janvier et fin février tous les morceaux.

Et pour faire languir le public, le clip sorti en septembre : Bouche à lèvres. Pourquoi le choix de l’animation, du psychédélique à la Pink Floyd comme vous l’aviez fait aussi pour Dedans  ?

Effectivement, c’est le même réalisateur que Dedans : Vladimir, de son nom de famille. C’est devenu un ami depuis qu’on a travaillé ensemble en 2012 sur le clip de Dedans. Il est venu nous voir à Berlin en janvier, on lui a fait écouter les débuts de morceaux qu’on avait. Il a flashé sur Bouche à lèvres, il est resté trois semaines avec nous, il est venu deux fois d’ailleurs. Et du coup voilà, on a passé quelques nuits blanches à discuter, à refaire le monde, à parler du morceau, à essayer de voir comment on pouvait bosser ensemble sur ce projet-là. Après quelques jours, on a pondu un début de scénario, quelques idées, et puis il est rentré à Paris, il a motivé l’équipe et ils sont mis sur ce projet. Ça a duré 8 mois. On a de la chance de pouvoir attirer et inspirer des petits réalisateurs talentueux comme ça. C’est exceptionnel.

Les clips ont des ambiances très particulières, on constate que vous jouez beaucoup sur le côté cinématographique ; vous avez prévu des jeux de scènes pour recréer ces atmosphères en live ? 

On n’a pas tellement l’intention de le faire en fait. Pour moi, chaque truc est à traiter avec ses spécificités. Je trouve qu’un clip aujourd’hui, si ce n’est qu’un soutien promotionnel, avec une pauvre caméra sur pied devant laquelle tu chantes ton truc, avec des plans au ralenti, en noir et blanc, en stop motion, … Tu vois ces trucs à la mode ça me fait chier et ça j’ai pas envie de le faire. Donc j’aime bien qu’on se prenne la tête avec des réalisateurs pour proposer quelque chose d’assez cool. En l’occurrence, niveau concert, on est plutôt partisans des trucs bruts : pas de décor, pas de costumes, pas de VJing (ndlr : performance visuelle projetée pendant le concert). Nous c’est plutôt tu montes sur scène avec tes instruments, tu crées la lumière pour donner des ambiances en fonction des morceaux, une bouteille de whisky, deux bières par personne, et c’est parti !

Vous semblez très attachés à Bordeaux étant donné que vous en êtes, du moins en partie, originaires, mais vous parlez aussi sur votre page Facebook des villes plus ou moins bonnes ou mauvaises élèves : y a-t-il des salles que vous appréhendez ou affectionnez plus que d’autres ?

(Rires) Ouais, disons que pour les dates les villes dans lesquelles on a jamais joué, par exemple, là, Orléans, Rennes et Rouen, on appréhende un peu parce que c’est jamais pareil quand t’arrives dans une ville où tu sais pas si t’as un public. Alors qu’effectivement il y a des villes comme Lyon, Nantes ou Toulouse dans lesquelles on a joué plusieurs fois et a priori il y a quelque chose déjà à la base. Donc ouais, il y a une appréhension quand tu regardes ta tournée. La date à Paris par exemple, c’est la première de la tournée : c’est une journée avant la sortie de l’album, on va quand même faire tout l’album, la place de concert je la trouve un peu chère (bon après c’est pas moi qui fait le prix). Donc voilà, ça fait un peu flipper, tout ça. Mais ça fait partie du jeu.

Se renouveler, ça a l’air d’être important pour vous : en soi, qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans cet album, Dolziger Str. 2 ?

Ce qu’on a réussi à faire un peu plus que d’habitude, c’est d’écrire à deux, avec Jaco. Et ça c’est une nouvelle évolution pour nous parce qu’avant, chacun écrivait un peu de son côté et si ça matchait bien c’était cool, et sinon tant pis. Alors que là je pense à un morceau comme Vodka  ; c’est un morceau qu’on a écrit à deux et pourtant on a choisi qu’il n’y ait que Jaco qui l’interprète parce que sa voix collait mieux aux propos que moi. On s’est plus mélangés. On a plus écouté la musique aussi, on a écrit à chaque fois sur la musique et jamais sans. Donc je pense que ça se ressent dans la manière dont on a écrit finalement, les rythmiques qu’on a utilisé, et dans la manière dont on a composé les chansons. Donc c’est un peu ça, c’est un disque qui nous ressemble un peu plus en fait.

On a sorti une édition spéciale de cet album, une édition physique dans laquelle on a vraiment  poussé à l’extrême le concept du disque. En fait, le cover de l’album c’est un losange et dans le langage des voleurs, un losange ça veut dire « maison inoccupée ». Et donc en fait, Dolziger c’était l’adresse où on habitait, et ça appelle les gens pour qu’ils viennent cambrioler notre disque, habiller leurs souvenirs avec. Sur l’édition limitée on a cassé la porte du studio et on en a filé un bout à chacun. Il y a un drapeau à l’intérieur, un journal avec toutes les paroles, enfin c’est vraiment  un objet assez fou, on s’est vraiment fait chier à le faire, et voilà, j’espère que les gens vont kiffer parce qu’on a mis du cœur à l’ouvrage !

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Il semble que cet album aborde des thèmes plus profonds, plus cyniques, plus noirs ou simplement plus poétiques que précédemment (être parent, les addictions, la mort).  Est-ce volontaire ou est-ce simplement venu comme ça ?   

Je suis assez d’accord avec ces adjectifs, sauf avec le cynisme. Je pense qu’on n’est jamais cyniques. Le cynisme, ça m’est complètement étranger. En fait, on regarde les choses froidement, on les nomme telles qu’elles sont ou telles qu’on les voit, mais on porte pas de jugement dessus.

Par contre c’est vrai que ce genre d’adjectifs colle bien à notre disque, mais je pense pas que ce soit nouveau. C’est surtout que sur cet album il n’y a pas de morceau récréatif. Il y a pas Je veux te baiser, il y a pas Tu pu du cu, il y a pas Le plus beau cul du monde. Et du coup, peut être que le reste éclate un peu plus en lumière qu’avant. Mais ces morceaux là, ils ont toujours existé chez nous ; prends Novembre, Chimpanzé, Dieu t’es grand, ou Rien, dès le début. Donc probablement qu’auparavant on a eu des morceaux plus récréatifs qui ont vachement marché et qui ont un peu porté une ombre sur les autres, mais c’est pas nouveau, cette part-là chez nous.

Qu’est-ce qui représente le plus ce que vous êtes : les morceaux que tu dis « récréatifs » ou ceux qui sont plus bruts, plus sérieux ?

Les deux nous représentent, c’est juste une question d’envie. En l’occurrence l’année dernière on a écrit un morceau un peu du genre, c’était Bûche qu’on a sorti pour Noël. C’est ce morceau là qui nous a permis de débrider un peu les choses, comme je te disais, lorsqu’on avait du mal à faire cet album et qu’on était un peu chacun de notre côté. On s’est retrouvé autour de cette récréation là, et c’est devenu un point de départ d’écriture. Mais du coup, des morceaux récréatifs on en refera d’autres plus tard.

Ce n’est donc pas une direction que vous vous donnez de ne plus faire de morceaux récréatifs ?

Non, mais de toute façon on ne se donne jamais de direction. (rires).

Souvent en interview, vous vous êtes targués de n’être pas rappeurs, de n’être pas catégorisables. Ce nouvel album, peut-être plus poétique, et où la musicalité est plus travaillée (avec des morceaux comme Vilaine où l’instru met mal à l’aise, ou du chant comme dans Corps à prendre, ou encore comme Ciao Ciao qui ne comporte aucune parole), vient-il renforcer votre particularisme ?

En fait, on trouve que ce n’est pas bien de catégoriser n’importe quel groupe. On va reprocher la manie de mettre des étiquettes. On ne se sent pas non plus à part des autres.

Après c’est clair qu’il y a un côté plus musical. Mattia a pris toute la place dans la formation, et forcément la musique s’est invitée un peu plus à tel point qu’il y a un morceau sans parole, Ciao Ciao, que j’adore et que j’ai l’impression d’avoir écrit autant que Vilaine ou les autres. Et nous depuis le début on sait que de toute façon on dira tout le temps des choses plus ou moins différentes de nous au fur et à mesure des albums, et c’est seulement à notre dernier album qu’on pourra concevoir toute notre discographie, tu vois ; elle est mouvante, elle est changeante, moi même je sais pas trop où elle va ni à quoi elle ressemble, mais bon, voilà. De plus en plus, ça devient des indices de plus pour nous comprendre. Moi j’aime autant Sans Chantilly que O.V.N.I. que Rien que cet album. Enfin celui là je l’aime un peu plus parce qu’il est nouveau, mais j’accepte tout ce qu’on a sorti.

La provoc’ : pourquoi ? et pourquoi ça fonctionne ?

C’est surement un trait de caractère qu’on partage tous les trois, de ne pas être totalement lisse, de faire chier un peu. C’est quelque chose qui démange, en fait. C’est aussi une manière de ne pas se prendre au sérieux, de désacraliser.

La sexualité est présente dans beaucoup de vos chansons, mais au delà du côté provoc’, est-ce que c’est implicitement une critique de la « sexualisation » si je puis dire de nos sociétés, de notre quotidien ?

Je pense que ça fait partie des choses qui nous inspirent, et je pense que pour nous c’est pas rien, c’est pas anodin. C’est pas de la consommation justement, c’est pour ça que ça permet de s’en nourrir pour en sortir des chansons, ou des allusions, tu vois ce que je veux dire. C’est juste un thème qui a de l’importance dans une vie : bouffer, baiser, dormir. C’est tout con.

Est-ce que tu veux me baiser ? 

(Rires) T’as une jolie voix.

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