ART

Vous avez dit « contemporain » ?

En France, une grande partie de la population a du mal à comprendre l’art contemporain, souvent considéré comme élitiste ou incompréhensible. Le seul mot ”contemporain” suffit à déconcerter. L’art du passé n’est pas aussi mal considéré. Pourquoi cette mise à l’écart du contemporain, alors qu’il est censé exprimer le temps dans lequel nous vivons ?

« C’est pas de l’art »
« Toute œuvre d’art est l’enfant de son temps », écrit Kandinsky dans l’introduction de Du Spirituel dans l’art (1910). Il explique dans le même livre que l’art contemporain a du mal à être interprété par ses contemporains, qui préfèrent l’art du passé. Par exemple, encore aujourd’hui, beaucoup de personnes diront que la peinture classique est  du « vrai art », parce que l’art doit être beau et bien fait. Mais depuis l’impressionnisme, les artistes déconstruisent cette vérité, révoquant l’art académique et se permettant des libertés d’interprétation. Aujourd’hui, nous pensons comprendre l’impressionnisme, le cubisme, l’art abstrait, parce que les yeux de la société se sont habitués à ces formes. Mais les nouvelles formes d’art, que nous appelons par défaut « art contemporain » n’ont pour l’instant pas encore eu le temps d’être appréhendées par un bon nombre de personnes. Beaucoup d’artistes n’éprouvent pas le besoin de représenter le monde sous une forme naturaliste, mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne le représentent pas. Le monde est d’ailleurs la matière première de leur pratique, et sa représentation prend des formes très diverses selon les interprétations des artistes.  Depuis le début du XXème siècle, et encore plus depuis les années 50, le nombre de moyens d’expression plastique a explosé : les arts plastiques ne se limitent plus à la peinture et à la sculpture, mais comprennent le dessin, la photographie, la vidéo, la performance, l’installation… L’art plastique a su dépasser la définition de Kant : « Œuvre d’art traditionnelle : objet destiné à procurer du plaisir esthétique et sans fonction utilitaire. » (1790).

« Je n’y comprends rien »
Cette définition très restreinte, déjà erronée avant d’être écrite, limiterait l’art à un objet agréable, voire décoratif, qui se doit d’être beau et sans fonction. Pourtant depuis longtemps, toutes les formes d’art en sont très loin, servant des idées ou répondant à des commandes. Mais c’est à partir du XXème siècle que les artistes, aidés et suivis par certains théoriciens de l’art, déconstruiront ces propos, notamment en soulignant l’importance des contextes de production ; historiques, politiques, sociaux et artistiques. À chaque époque, les artistes s’inscrivent dans leur temps pour en donner une image, tout en n’oubliant pas le passé artistique et en y faisant référence. L’artiste et son œuvre sont le fruit de leur époque, et il faut parfois des clefs pour les comprendre, en interrogeant l’Histoire et le présent. C’est encore le cas des artistes contemporains, qui inscrivent leur pratique dans un contexte qui leur est propre, utilisant de nouveaux médiums, comme For the love of God (2007), où Damien Hirst fait appel à la vanité, thème prisé durant la Renaissance, tout en modifiant les codes pour l’inscrire dans une ère contemporaine. L’art contemporain ne peut être complètement apprécié sans certains pré-requis, la compréhension des œuvres n’est pas acquise, et l’expertise dans l’art n’est pas un mythe. Il ne paraît pas approprié de donner son avis sur une opération chirurgicale quand on n’en a aucune connaissance. C’est pour ça que la médiation dans les musées contemporains est importante : elle permet d’accompagner un public qui n’a pas reçu un enseignement spécialisé, afin qu’il ne se sente pas mis à l’écart dans ce monde de l’art contemporain.

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« Tout le monde peut faire ça »
Depuis Les Vies de Vasari (1550), l’Histoire de l’art véhicule l’idée que l’art doit représenter les canons de la beauté, et cette pensée est encore très présente dans les esprits d’aujourd’hui. De nombreuses avant-gardes ont pourtant essayé de changer cette idée qui continue d’exister. En sortant des écoles d’art, beaucoup d’artistes savent dessiner, connaissent les règles de la perspective et les proportions du corps. Seulement, les moyens de représentation ont évolué, et il ne semble plus nécessaire de tendre à un naturalisme (ou réalisme) formel et exact. Il arrive souvent d’entendre des plaintes par rapport à la facilité de réalisation, qui fait voir certains artistes comme des gens gagnant leur vie en faisant quelque chose de simple. Chaque œuvre, chaque ligne d’un dessin, chaque objet utilisé est finement pensé, et ne sont pas là par hasard, par flemme ou pour faire simplement beau. Une autre idée reçue est que l’art doit procurer des émotions, telles que la tristesse ou la joie, et que là s’arrête son but. S’il est nécessaire de passer par les émotions pour intéresser le public, un des grands desseins de l’art est de faire réfléchir. Les œuvres ne doivent pas donner des réponses, mais poser les questions et ainsi faire s’interroger ceux qui les regardent, les contemporains et ceux du futur. Le beau et le bien fait ne sont que des apparences, répondant à des codes sociaux qui définissent l’esthétisme, et l’artiste ne doit pas s’attarder sur ces valeurs institutionnelles. Il est important de comprendre que l’art va au-delà d’un bel objet, et qu’il faut se poser des questions en regardant une œuvre.

L’art est victime de nombreux clichés qui peinent à le faire reconnaître par le grand public : l’art doit être beau, bien fait, sophistiqué, émouvant… C’est peut-être une des raisons pour lesquelles une grande partie de la population a du mal à appréhender l’art contemporain : depuis deux siècles, les artistes ont tenté de mettre à mal ces façons de penser l’art. Les artistes contemporains nous parlent de nous, de notre monde, de notre histoire, de notre passé, de notre présent et de nos futurs. Peut-être que les prochaines générations sauront reconnaître l’art d’aujourd’hui, et qu’elles-mêmes auront du mal à apprécier leur art contemporain. Espérons que non…

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