ART

Take Me (I’m Yours), l’expo à emporter

Qui n’a pas déjà rêvé, en visitant un musée ou une galerie, de repartir avec une œuvre sous le bras sans avoir à débourser une fortune ? Jusqu’au 8 novembre à la Monnaie de Paris, c’est possible, et même encouragé. Le curator Hans Ulrich Obrist et l’artiste-plasticien Christian Boltanski (qui avaient déjà exploré le même concept à la Serpentine Gallery de Londres en 1995) vous invitent à questionner votre rapport à l’art à travers cette expo participative unique en son genre.

Hans-Peter Feldmann, Postcards- ©Maze.fr

Hans-Peter Feldmann, Postcards- ©Maze.fr

L’exposition, collective, repose sur trois principes : le don, l’échange et la participation, dans un dialogue continu avec le public. Le concept est simple : contre l’achat d’un billet, l’ensemble des œuvres vous devient accessible et l’expérience insolite peut commencer, invitant le spectateur à déambuler au fil des salles, à toucher, participer, piocher et emporter ce qu’il voit dans un grand sac en papier offert à l’entrée. Au programme, des œuvres de nombreux artistes contemporains tels que Christian Boltanski lui-même, Yoko Ono, Gilbert et George ou encore Felix Gonzalez-Torres.

Yoko Ono, Air Dispensers (distributeurs de capsules d’air, 50 ct)- ©Maze.fr

Vous pourrez ainsi chercher la perle rare dans les piles de vêtements de Dispersion, de Boltanski, récupérer l’une des affiches de Felix Gonzalez-Torres empilées là, décrocher l’une des cartes postales de la Tour Eiffel exposées par Hans-Peter Feldman, repartir avec des badges Gilbert et George… Laisser votre empreinte au sein des œuvres est également possible, par exemple en griffonnant un vœu pour le Wish Tree de Yoko Ono, en laissant un objet personnel sur l’un des présentoirs prévus à cet effet par Jonathan Horowitz, ou encore en passant par le photomaton de Franco Vaccari. Dans l’une des salles, un performeur assis à une table vous propose même de troquer l’objet qu’il a devant lui (parfois un simple carnet, parfois un smartphone laissé là par un visiteur amusé et vraisemblablement aisé) contre un objet personnel, l’issue de ce troc dépendant entièrement de son bon vouloir et des règles posées par l’artiste qui le supervise.

Parfois certains visiteurs hésitent, se sentent légèrement kleptomanes puis, avec un haussement d’épaules, finissent par fourrer dans leur poche une poignée des bonbons à la menthe de Felix Gonzalez-Torres. Dans l’ensemble, tout le monde est ravi de cette exposition ludique et remplit son sachet avec un grand sourire, en n’oubliant pas, au passage, de se questionner sur la signification intrinsèque de chaque œuvre.

Felix Gonzalez-Torres, Untitled (Revenge), 1991- © Maze.fr

Felix Gonzalez-Torres, Untitled (Revenge), 1991- © Maze.fr

Il règne sur l’exposition une ambiance de joyeux marché, loin du business ultra-lucratif qui régit le milieu artistique contemporain entièrement déconnecté du spectateur lambda. Les œuvres ici ne sont pas uniques, mais produites en série et destinées à se propager partout hors du musée ; les divers objets circulent et s’échangent, créant presque un système monétaire inédit (le choix du lieu d’exposition prend alors tout son sens). Ainsi, les artistes posent la question de la valeur marchande des œuvres, rappelant le but premier de l’exposition de 1995 : démocratiser l’art, et le rendre accessible à tous. Le paradoxe étant bien sûr que la plupart des artistes exposés font également leur beurre à la FIAC* (qui aura d’ailleurs lieu cette année pendant le temps de l’exposition et en lien avec celle-ci), ce dont ils ne se cachent pas… De plus, malgré l’esprit de don, d’échange, et de bouleversement des codes qui est mis en avant, on ne peut s’empêcher, au vu de ces sachets bien remplis par les mêmes choses et petits objets somme toute inutiles, de s’interroger sur notre époque et ses réflexes consuméristes. S’emparer de l’œuvre est certes euphorisant, mais est-ce vraiment suffisant pour la comprendre ?

Yoko Ono, Wish Tree (1990-2015)- ©Maze.fr

Yoko Ono, Wish Tree (1990-2015)- ©Maze.fr

Dans tous les cas, le but premier de Take Me (I’m Yours) reste intéressant : dans un endroit où la règle d’or est ordinairement de ne pas toucher, de ne surtout pas dérober, et où la contemplation (parfois perplexe) est souvent de mise, cette fois, le spectateur est encouragé à s’approprier pleinement l’art dont il est témoin, à s’investir physiquement dans les œuvres sur lesquelles il s’interroge. Finalement, c’est sans doute cela qu’il faut retenir de cette exposition où « tout doit disparaître ».

Gilbert & George, "Burn that Book" (extrait de leur série Banners déclinée en badges)- ©Maze.fr

Gilbert & George, “Burn that Book” (extrait de leur série Banners déclinée en badges)- ©Maze.fr

 

*  Foire Internationale d’Art Contemporain, évènement parisien annuel.

 

Etudiante en cinéma à la Sorbonne Nouvelle, passionnée d'art et de culture, et aimant en parler.

    You may also like

    More in ART