CINÉMA

Dans les coulisses de la révolution égyptienne

Pour Je suis le peuple, son premier long-métrage, Anna Roussillon s’est armée de sa caméra et de ses convictions pour suivre les conséquences de la révolution égyptienne de 2011 loin de leur épicentre. A plus de 500 km de la place Tahrir, le principal lieu de rassemblement durant la révolution, la vie des habitants du village de Farraj et de sa famille ne subissent les retombées du renversement du pouvoir qu’indirectement : le prix du gaz augmente, des élections viennent jusqu’à eux, et la télévision les informe quotidiennement au sujet de l’avenir de leur pays. Au cours de ses voyages en Egypte, où la jeune cinéaste et enseignante en sciences politiques a grandi, Anna Roussillon a su charger ses images d’une grande sincérité dans lesquelles la situation politique et sociale du pays nous interpelle avec émotion.

Le coup d’Etat de 2011 a permis à l’Egypte d’avoir des élections libre, droit dont le régime autoritaire de Moubarak les avait privé depuis 1981. Cela dit, malgré l’élan libérateur de la révolution et tout l’espoir qu’il a pu apporter, la période qui a suivi le renversement du pouvoir n’a pas été facile. Imaginez, pour le peuple égyptien, la chute de Moubarak et l’annonce des élections signifie que chaque citoyen porte à la fois la possibilité, mais aussi la responsabilité de faire un choix pour l’avenir de leur pays. C’est de ce long processus de démocratisation du pays dont Je suis le peuple nous parle, de la prise du pouvoir sur la place Tahir jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président légitime, en passant par les hésitations de cette démocratie naissante.

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http://www.lacid.org/Je-suis-le-peuple

La force du documentaire semble en partie résider dans la relation qu’entretient Anna avec les différentes personnes qu’elle filme, elle ne s’impose jamais à l’image et leur permet ainsi d’exprimer librement ce qu’il pense de la situation du pays. Pour Farraj, la révolution est pleine de promesse pour l’Egypte et il prend très à cœur son rôle de citoyen. La position d’Anna Roussillon, toujours attentive, la caméra à la main, crée une forme de conscience démocratique pour Farraj : elle le pousse à s’interroger sur ses choix sans jamais l’influencer de manière consciente. A l’inverse, sa femme et sa fille semblent beaucoup plus sceptiques, elles ne veulent pas croire en la renaissance du pays et la mère va jusqu’à dire que Moubarak avait le mérite d’assurer leur sécurité. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas par indifférence qu’elles prennent cette attitude mais par acceptation de leur situation, en tant qu’égyptiennes et agricultrices dans un pays dont les difficultés économiques ne sont pas récentes et où les femmes ne se sentent pas encore toutes intégrées à la vie politique.

Le résultat des élections et le gouvernement mis en place par Morsi donnent raison à leur scepticisme et les promesses que portaient la démocratie égyptienne ne sont pas à la hauteur des espérances du peuple. La situation ne s’améliore pas pour les égyptiens et les décisions prises par le nouveau président ne répondent pas à leur volontés : le film montre de nouvelles manifestations qui occupent à nouveau la place Tahir et par la suite c’est le maréchal Al-Sissi qui reprendra le pouvoir avec l’aide de l’armée. Le pays connaît une réelle désillusion suite à cet échec de la démocratie, et le retour d’un gradé au gouvernement apparaît comme un retour au point de départ après tant d’efforts et d’espérances.

Le film s’achève avant l’arrivée au pouvoir d’Al-Sissi mais le pays est déjà marqué par un sentiment d’impuissance face à sa propre condition. Le choix d’Anna Roussillon de s’éloigner de l’épicentre de la révolution et du pouvoir exécutif gagne en intensité du fait de cette immuabilité de l’état du pays. Le village de Farraj n’est que très peu affecté par ce qui se passe au Caire, seul la télévision et les journaux informent les habitants et la plupart ne se sentent que très peu concernés, ils ont en tête des soucis d’ordre pratique et passent la majeure partie de leur temps à s’occuper de leur récoltes. Sans pour autant dire que les villageois sont indifférents aux décisions politiques, il semblerait qu’ils ne peuvent se permettre d’y accorder du temps, même Farraj qui apparaît comme le plus engagé dit qu’il aurait voulu allé à la place Tahir pour manifesté mais que personne ne s’occupera des champs à sa place. En ce sens, le film nous en apprend davantage sur le quotidien égyptien, sur la réalité de ses habitants et sur les manières dont ils vivent que sur la révolution elle-même.

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Le sourire des enfants et les plaisanteries de la mère nous apparaissent comme les images d’un bonheur simple et sont des instants précieux du fait de leur sincérité, c’est donner la parole à ceux que l’on n’écoutent pas que de les filmer et de les partager au monde entier. Anna Roussillon parle d’un “contre-champ nécessaire” à toute l’attention que les médias ont pu porter sur ce qu’il se passait au Caire, elle s’est faite non pas la porte-parole mais plutôt l’observatrice silencieuse d’une réalité sous-jacente à toute l’activité politique de cette période, mobilisant des images qui ne peuvent que dénoncer l’indifférence du pouvoir face à son peuple.

Choisi par l’Acid (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) cette année, et après avoir remporté des prix dans de nombreux festivals (y compris en France aux Entrevues de Belfort), le film sort en salle le 13 janvier 2016.

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