Encore une fois, le Musée d’Art contemporain de Montréal s’est distingué dans son choix d’exposition cette année. En effet, le MAC a accueilli le travail de l’artiste montréalais David Altmejd, avec une trentaine d’oeuvres qui représentent pas moins de quinze années d’ouvrage. Le sculpteur, qui avait commencé des études en biologie avant de les arrêter au profit de l’art, est désormais considéré comme une référence dans son domaine.
Nous sommes à Montréal, durant le début de la saison estivale. L’excitation est palpable à l’entrée du Musée d’Art contemporain. Une ligne d’attente s’est formée, et « c’est ainsi chaque jour depuis le lancement de l’exposition », affirme un des hommes du service de sécurité du musée. Un peu de patience, et quelques dizaines de minutes plus tard, nous y sommes enfin, à quelques pas d’une découverte artistique qui se révélera pour le moins époustouflante. Nous apercevons la première œuvre, un portrait de sa sœur Sarah. Quand on s’approche, premier choc. À la place d’un visage, le néant. Pas de nez, pas de bouche, pas d’œil. Seulement un contour de visage scintillant, un cou naissant et des cheveux.
Les premières interrogations apparaissent : pourquoi réaliser un portrait de sa sœur sans visage ? Est-ce que cela incite une propre projection du spectateur, est-ce une invitation qui nous est adressée ? Car, déjà avec cette première sculpture, le beau se mêle au violent. Après cette première découverte, nos pas nous amènent à la rencontre de la seconde œuvre, très différente du reste de l’exposition. Il s’agit d’une structure architecturale composée de miroirs qui brillent et se projettent dans la pénombre de la salle d’exposition. C’est une rencontre avec l’univers tant l’œuvre est cosmique. Les possibilités d’observations semblent infinies.
Mais il faut avancer, le reste de l’exposition nous appelle déjà. Nous nous retrouvons alors dans une salle avec des portraits, semblables à celui de sa sœur, notamment dans l’utilisation des matériaux. Puis, une structure entourée de verre dont l’intérieur est composé de fils dorés. Des pensées cheminent ; serait-ce une représentation de l’esprit de l’artiste ? En effet, la structure de cette œuvre ressemble au processus mental d’une personne en plein acte de création. Puis, une autre composition, celle-ci créée spécialement in situ, et qui fait écho au reste de l’exposition. Nous pouvons y voir des mains qui façonnent et défont un visage qui se transforme en loup, l’acte de fabriquer et l’œuvre se rejoignent, créant ainsi un cycle sans fin. Le loup est d’ailleurs un animal présent de façon récurrente dans le travail de l’artiste québécois.
Nous avançons vers la prochaine salle pour admirer une sculpture blanche, et des murs tout aussi blancs, en processus de façonnage, ou de destruction. Mais il ne s’agit pas ici d’une simple vision manichéenne, tant les mains, telles celles de l’artiste, creusent et façonnent de toute part, refont et défont sans cesse. Nous pénétrons alors dans la prochaine salle, avec ses colosses aux nombreuses matières. Des miroirs encore, du plâtre, du polystyrène, de la mousse, de l’argile, du bois, des cheveux synthétiques, de la résine, du quartz, du plexiglas, des noix de coco, du fil de fer, des paillettes, de la peinture. Les matières se mélangent dans une harmonie violente et époustouflante. Ces ¨bodybuilders¨ de plusieurs mètres dominent l’espace et le spectateur, et les nombreux détails qui les composent attirent l’œil.
L’excitation du début ne retombe pas. Bien au contraire, elle gonfle, prend de la place et nous pousse en direction de la prochaine salle où domine l’œuvre Le spectre et la main. Le travail sur les couleurs, la composition, et les matières est impressionnant. L’œuvre, pourtant imposante, semble aérienne. Les zèbres sont légers, prêts à prendre leur envol à tout moment. En s’approchant, la finesse des détails impressionne. Des fils de couleurs tissés accentuent cette sensation de légèreté et participent au cycle de création infini, qui semble cher à l’artiste.
Dans un entretien réalisé par le MAC à l’occasion de l’exposition, David Altmejd explique ainsi qu’il veut « faire des objets potentiellement capables d’exister comme des corps », car il considère le corps comme la chose la plus extraordinaire du monde, et que « ce qui rend le corps extraordinaire, c’est que le volume qu’il contient est infini, mais son extérieur est fini ». Une intention qui apparaît clairement durant la visite de l’exposition. Ses œuvres sont des corps, qui, comme le corps humain, possèdent un extérieur fini, mais sont infiniment complexes à l’intérieur par leur composition en multitude de matières.
Et puis la dernière salle. La dernière œuvre, The Flux and the puddle, qui réunit tous les matériaux utilisés par l’artiste dans son atelier. C’est alors comme si toute l’intensité, la tension, la transcendance et l’émerveillement ressentis durant la visite de l’exposition étaient réunis en une même œuvre-mère, fondamentale. Nous avons alors l’impression d’être plongés dans le cerveau de l’artiste. Le résultat est grandiose et infiniment complexe. L’œuvre herculéenne est entourée de murs composés de miroirs, qui est un objet très récurrent dans le travail du sculpteur.
À ce propos, David Altmejd considère que le miroir n’a pas d’identité et que, « l’acte de le casser lui en procure une ». Il considère également que, tel le corps en proie aux changements durant la vie, ses œuvres ne sont jamais terminées. La visite, elle, est désormais terminée. Les questions se mêlent aux interprétations, très différentes selon les visiteurs, comme nous l’apprendrons des bribes de conversations entendues ici et là. Les sensations restent, les images aussi, et on en redemande.