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Vers une modernité traditionnelle

Au mois de juillet, la maison Saint Laurent annonçait son retour en Haute Couture. S’il a été clair que les créations proposées seront dédiées à une clientèle très select, rien n’est encore sûr quant à de possibles défilés. Encore une fois, la célèbre maison de couture est hors des conventions, et va à l’encontre de l’une de ses principales concurrentes : Chanel. La décision d’Hedi Slimane pourrait alors être une alternative pour ce secteur.

Lorsqu’en 2012 Hedi Slimane est nommé directeur de création chez Saint Laurent, il ne fait aucun doute que le créateur est sûrement le meilleur choix. En effet, à la fin des années 1990, le jeune Slimane est nommé par Pierre Bergé directeur artistique du prêt-à-porter homme d’Yves Saint Laurent. Lors des défilés de l’hiver 2001, il crée l’événement avec la silhouette rock et skinny de la collection « Black Tie ». Cette dernière deviendra sa marque de fabrique, et il la gardera chez Dior Homme, recréant ainsi l’identité de la maison.

La fameuse silhouette créer par Hedi Slimane pour la collection YSL Homme automne hiver 2001

La fameuse silhouette crée par Hedi Slimane pour la  collection YSL Homme automne hiver 2001

Le créateur a su redéfinir la garde-robe de l’homme du XXIème siècle, comme Yves Saint Laurent l’avait fait pour la garde-robe de la femme de la fin du XXème siècle. Il s’impose comme un digne héritier de celui que l’on appelait « le petit prince de la haute couture », et son retour au sein de l’emblématique maison ne fait que confirmer son statut : Slimane a rendu son ADN non-conventionnel à la marque. De plus, il a très rapidement travaillé à la réouverture des ateliers de Haute Couture, alors fermés depuis la retraite du fondateur.
C’est ainsi que le couturier a permis la rénovation de l’originel Hôtel Sénecterre, dans le quartier Saint Germain. Ce dernier a récemment accueilli les ateliers Flou et Tailleurs, garants de la pérennité du savoir-faire de la maison.

Les premières images du nouveau Yves Saint Laurent Couture – Droits réservés

Car c’est bien la pérennité de savoirs-faire, et même la survie d’un patrimoine qui sont en jeu. Si la Haute Couture semble hermétique, hors du temps, elle est, elle aussi, touchée par les nombreux changements économiques qui se sont effectués dans la seconde moitié du XXème siècle.
En effet, si dans les années 1950 la France comptait des milliers de tailleurs et autres ateliers de métiers d’art, de nos jours ils ne seraient plus qu’une centaine selon la Fédération nationale des Maîtres-Tailleurs de France. Pourquoi une réduction si impressionnante ? Ces ateliers dont les savoirs demandent un long apprentissage se retrouvent souvent sans succession. Et puis, avec l’avènement du prêt-à-porter (d’ailleurs lancé par Yves Saint Laurent !), le rapport au vêtement a radicalement changé. La productivité primant sur la créativité, les couturiers font moins appel à des créations, qui demandent du temps et de la patience, qu’à des produits consommables.

Karl Lagerfeld a compris avant bon nombre de gens les difficultés et le danger pour la Haute Couture que représenterait la perte de ces métiers. Dès les années 1980, Chanel décide de racheter les ateliers sans repreneurs et de les regrouper dans une filiale nommée plus tard Paraffection. Le Kaiser cherche alors à conserver le savoir-faire à la française tant réputé, et sauve les ateliers ayant travaillé avec la maison depuis ses débuts. Ainsi la première entreprise artisanale à appartenir aux ateliers Paraffection est le parurier Desrues, fondé dans les années 1920. Suivront les broderies Lesage, le plumassier et fleuriste Lemarier, le bottier Massaro, ou encore plus récemment l’atelier Lognon, travaillant sur les plissés. En 2003, Lagerfeld lance le défilé des Métiers d’Art qui devient rapidement une institution. Et depuis quelques temps les ateliers sont regroupés, cette fois-ci physiquement, en banlieue. Ce fut le cas notamment pour trois d’entre eux, réunis dans l’ancienne manufacture d’allumette d’Aubervilliers.

Défilés Métiers d’art Chanel Paris-Salzburg 2014-2015 – Droits réservés

Cependant comme l’explique Bruno Kapferer, président de la filiale Paraffection, dans une interview donnée récemment au Parisien, la maison n’est pas « un mécène » et souhaite que ces ateliers restent autonomes en travaillant avec d’autres maisons. Il n’est pas question d’investir à perte.
Mais est-il possible de parler d’une réelle autonomie pour ces ateliers ?
Dans le documentaire Le temps suspendu de Julie Bernard diffusé cet été sur Paris Première, de nombreuses ouvrières témoignent de la surcharge des plannings, ce qui est vu d’ailleurs comme une modernisation nécessaire pour Pavlovsky.
Nombre d’artisans ont hésité aussi à se regrouper sous la coupe de Chanel. Une ancienne ouvrière de Massaro se souvient du bottier disant qu’il valait mieux « un petit chez soi qu’un grand chez les autres ». Certains, d’ailleurs, résistent encore, à l’image du plumassier Bruno Legeron dans l’historique rue des Petits Champs.
Seulement les enjeux économiques, et de la conservation d’un savoir faire, d’un patrimoine, et d’une maison restent trop présents, et ces artisans de la mode finissent par céder.

L’idée d’Hedi Slimane de revenir à une couture plus sélective et moins régie par le prêt-à-porter serait contraire alors, en quelque sorte, à l’idée de Karl Lagerfeld, opposant créateur et communiquant. Elle permettrait aussi de revenir à une couture plus libérée des contraintes de temps et donc plus créative. Cela pourrait être un retour vers un modèle plus ancien où art et artisanat ne faisaient qu’un.

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