MUSIQUE

Entretien avec Great Mountain Fire – « Le français nous parle à un endroit plus poétique que musical »

Lors du festival de Ronquières, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer Great Mountain Fire, le groupe belge dont tout le monde parle et qui ne cesse d’évoluer au fil du temps. Plutôt que de coller des étiquettes pour décrire leur style, nous vous proposons de lire ce que les membres du groupe ont à dire sur leur formation. 

On vous considère comme les OVNI de la musique belge actuelle, en êtes vous conscients ? En jouez-vous ? 

Alex : On n’en joue pas mais on en prend conscience petit à petit.

Thomas : Moi j’adore les OVNI parce que c’est rare. Personnellement, je n’en ai jamais vu, j’aimerais bien en voir quand même, donc dans ce sens-là je trouve ça cool. Mais non, moi je ne suis pas conscient de ça, c’est difficile d’avoir un vrai recul sur la façon qu’ont les gens de nous percevoir. Tant mieux si on est perçus comme ça. Mais je crois qu’on est toujours l’OVNI de quelqu’un d’autre. Par exemple, pour nous, les Frero Delavega ce sont de vrais OVNI.

Alex : Belle conclusion, arrête-toi là. Thomas a raison, dans la société on est toujours un cas pour un autre, c’est un phénomène qui existe depuis la nuit des temps. On a bien compris qu’on a fait un album qui demandait une attention un peu différente que celle du premier, il a une accessibilité peut-être moins immédiate. On n’a pas planqué les œufs de Pâques dans des cachettes faciles, on les a un peu mis dans des endroits spéciaux. Donc on suppose que le jeu de l’auditeur va être un peu plus amusant. On a essayé d’être sincères avant tout, le plus juste possible…

Thomas : Le plus juste possible sur ce que nous on avait envie d’entendre.

Donc vous avez travaillé dans l’optique où vous faisiez ce qui vous plaisait, pas dans l’optique où vous vouliez absolument être différents de ce qui se fait.

Alex : Exactement. On sait que ce qu’on fait ressemble à ce qui se fait ailleurs.

Thomas : On a toujours envie de nous surprendre nous-mêmes. Quand on joue, il faut qu’on soit étonnés, si ça ne nous surprend pas, ça nous fait chier. On considère que quand on crée des titres, ils sont toujours liés entre eux. On a la mère, puis il y a les sœurs, les cousins, c’est une sorte de famille. Dans nos albums, on est dans l’esprit où il y a des liens de parenté entre nos chansons. Parfois même les sonorités sont très différentes mais on se dit que c’est un mariage de sang. On a beaucoup d’exemples de groupes qu’on adore et qui se sont réinventés et qui prenaient des risques.

Cette façon de créer une famille par album, elle vient d’inspirations d’autres groupes ? 

Thomas : C’est clair qu’on s’identifie à ces groupes. On est un collectif, on ne veut pas s’asseoir sur des bases prédéfinies ou des formules qui marchent forcément. Parce que faire des formules qui marchent forcément, ça peut être très vite rébarbatif, à mon avis. Mais ça peut ne pas l’être. On n’a pas pensé cet album en réfléchissant à l’impact qu’aurait une musique forcément efficace. On s’est juste mis ensemble, on s’est dit « ah, ça ça me fait triper, ça pas » point. C’est juste une histoire de délire collectif avant tout.

Quand vous voyez les têtes d’affiche d’un festival, souvent ce sont des artistes qui utilisent ces fameuses formules gagnantes. Est-ce qu’un jour vous seriez prêts à travailler comme eux pour vous assurer un certain succès ? 

Thomas : Si on perd nos allocations familiales, oui. Ah non merde j’ai plus de dix-huit ans… Non mais si un jour on a des gros problèmes d’argent…

Alex : Je ne sais pas en fait. Y’a un phénomène actuellement qui monte, c’est qu’on identifie le musicien à un historien de la musique. On a tous les références, on a tous vu les légendes, on a tous décortiqué les formules, on sait ce qui marche. Mais nous dans notre projet, on ne se sent pas critiques musicaux, on est juste des musiciens normaux qui ne se prennent pas la tête dans des analyses dingues qui assurent un succès fulgurant. On n’est pas là-dedans sinon on ne serait vraiment pas sincères. Y’a aucun intérêt pour nous à se servir de la musique à des fins commerciales.

Donc vous êtes plus dans la recherche de l’inattendu que dans l’exploitation d’un style musical bien précis ? 

Thomas : Le truc c’est qu’on ne le décide pas à l’avance. Y’a des choses qui sortent, ça peut nous emmener loin dans une stylistique, mais à partir du moment où on passe un certain cap qui nous permet de définir un style bien précis, on s’arrête. On ne veut pas être dans l’ombre de tel groupe parce qu’un de nos morceaux fait penser à ce groupe-là. C’est certain qu’il y a un jeu d’influence, mais c’est complètement inconscient, on ne fait pas en sorte de ressembler à nos idoles, on ne veut pas y penser. On veut avant tout que notre album raconte une histoire, pas qu’il soit une vitrine qui montre qu’on a écouté les bons groupes dans notre jeunesse. Dans notre processus d’écriture, on écoute toujours la chanson finalisée plusieurs fois. Si au bout de quatre fois elle nous fait chier, on la laisse tomber.

Alex : On fait un peu comme les Monty Python. Quand ils écrivaient un sketch, il fallait qu’au moins chacun d’eux aie un fou rire pendant qu’ils le lisaient, sinon ils le mettaient à la poubelle. Cette façon de penser me parle vraiment, ça veut juste dire qu’on est pointilleux dans ce qu’on fait et qu’on cherche toujours à surprendre notre public. On n’est jamais dans la facilité, c’est pas si excitant.

A qui vous compare-t-on souvent ?

Alex : Sur le premier album, des journalistes américains nous ont dit qu’on était les Phoenix belges. Je crois qu’ils ont dit ça parce qu’on se ressemble au niveau de l’écriture minutieuse de la voix, on sent le cheminement. Y’a certains sons de guitare similaires. C’était peut-être l’idée qu’ils se faisaient de la musique francophone.

Thomas : Dans le premier album il y a un accent quand on chante en anglais. On reste honnêtes avec nous-mêmes, on ne prend pas de faux accent, on fait les choses comme elles sortent. On ne singe pas, et c’est peut-être le fait d’être naturels qui nous fait ressembler à Phoenix.

Pourquoi toujours écrire en anglais ? 

Alex : Aussi loin que je me souvienne, on a toujours écouté de la musique en anglais. Le français nous parle à un autre endroit.

Thomas : Il nous parle à un endroit plus poétique que musical.

Pourquoi ne pas mêler musicalité et poésie dans ce cas ? 

Alex : Parce qu’on n’a pas la prétention d’écrire aussi bien que ça. On ne se permettrait pas. On écrit nos paroles et on admire cette possibilité de l’anglais d’avoir une puissance de son qui ne nécessite pas d’être un écrivain talentueux. C’est une question d’esthétique. C’est une culture qui a été diffusée dans notre pays, nous on est les récepteurs et on répond en faisant honneur à cette langue. On ne ressent pas de problème de légitimité à ne pas chanter dans notre langue. On n’a pas été touchés de la même manière par la musique francophone et franchement ce que je ressens en écoutant du français, c’est à un autre niveau dans mon esprit, c’est aux antipodes des sons anglo-saxons. Y’a que Serge Gainsbourg pour moi qui a su mêler les paroles en français avec la musique internationale. Sinon, que tu le veuilles ou non, à partir du moment où tu chantes en français, t’as beau avoir n’importe quele instru derrière, on te classera toujours en tant que variété française. C’est cognitif, c’est immédiat.

Thomas : Peut-être qu’un jour on chantera en français. Pour nous la musique évolue sans cesse et sa perception avec. D’année en année on change, c’est l’évolution naturelle. Peut-être que ça se fera.

Alex : La langue française demande un respect, et on ne va pas aller la souiller comme ça avec des paroles de merde. En anglais ça passe parce que ce n’est pas notre langue maternelle donc on ne pourrait pas se faire engueuler de mal utiliser une langue qu’on ne maîtrise pas sur le bout des doigts. On ne ressent pas cette pression donc on se sent plus libres d’écrire. Avec tous les auteurs qu’on se tape en francophonie, on a conscience de la qualité de notre langue. Il y a des gens qui ont trop bien écrit et ce serait insultant de venir souiller leur travail. Rimbaud ou Baudelaire, ils ont posé des bases que seuls certains ont réussi à reprendre, comme Artaud ou Gainsbourg. J’ai énormément de respect pour les paroliers qui écrivent en français et qui écrivent bien. Je ne trouve pas que ça soit plus facile.

Alors pour vous, il y a des chanteurs qui souillent la langue parce qu’ils écrivent mal ? 

Alex : Complètement, et je les emmerde. Je ne vais pas citer de noms pour ne pas les faire chier mais ils se reconnaîtront. On a tous lu les classiques, et on sait quand on écrit des paroles de merde.

Vivez-vous seulement du succès de Great Mountain Fire ?

Thomas : Non, on a d’autres choses à côté, c’est pas possible de vivre seulement de ça.

Alex : C’est important d’avoir autre chose à côté. Personnellement, trop de musique me rendrait moins vif. Si j’avais la tête dans la musique toute la vie, je me sentirais moins nourri, j’aurais l’impression de ne pas pouvoir donner tout ce que je voudrais donner. La curiosité, aller voir ailleurs, c’est sain pour un être humain.

Thomas : Moi si je fais des choses à côté c’est pour gagner de l’argent. C’est pas vivable de ne compter que sur la musique.

Alex : C’est chaud de gagner sa vie avec le groupe parce qu’on est cinq, donc on partage tout entre cinq personnes. C’est pas immédiat. On n’est pas en galère non plus hein, les montants qu’on espère varient en fonction de la personne.

Avez-vous déjà commis des erreurs qui vous ont coûté cher dans votre carrière ? 

Alex : On n’a pas encore de carrière.

Thomas : Oui oui complètement, on a perdu de l’argent. On n’est pas des bons gestionnaires d’argent. On a essayé de faire le mixage de notre album avec un mixeur anglais, on y a laissé un quart de notre budget total, ça nous a fait mal. Pour un résultat zéro. Artistiquement c’était incroyable, on a pu communiquer avec un mec génial. On a reçu une leçon de ça. C’est un peu comme un enfant qui tombe, il voit à quoi tient la gravité et il fait en sorte de ne plus rechuter. On n’a pas fait deux fois la même erreur.

Alex : Quand on a commencé la production de Sundogs, notre nouvel album, on a fait beaucoup de choses instinctives et on avait envie d’avoir un producteur, un mixeur qui vienne avec sa patte comme La cerise sur la couque. On a eu un super bel échange humain avec ce mec, c’était un anglais qui sur le papier avait un passé artistique dément qui nous parlait. Il est venu, on s’est mis d’accord sur ce qu’on voulait, il nous a envoyé des propositions et il se fait qu’on ne les a vraiment pas senties. Ça nous a ramené à une évidence ; on avait une attente trop précise de ce qu’on voulait, on n’était pas assez souples. On avait déjà une idée assez précise du son qui devait sortir de cet album, et on ne s’est pas rencontrés au niveau artistique avec ce mixeur. C’est dommage, vraiment. Quand il nous a fait des propositions, je n’étais pas en Belgique et les autres mecs m’ont dit qu’ils donneraient leur vie si jamais j’appréciais ce que le mix donnait. Ils étaient persuadés que je détesterais et effectivement, c’était le cas. Finalement on a mixé l’album avec notre ingénieur du son et on a dit à l’anglais qu’on était désolés d’avoir une attente trop précise du résultat final. Il l’a très bien pris, c’est pour ça que c’est un type respectable et c’est pour ça que malgré la perte d’argent, ça a été une expérience enrichissante pour nous.

Complétez cette phrase : En tant que rock star internationale, j’apprécie vraiment le fait que… 

Alex : Que Youtube ait tout fait foirer.

Thomas : et que U2 ait tout fait clapoter.

Alex : On a cette chance d’être la génération des musiciens qui a connu l’Ancien Régime et la nouvelle République. Ça a tout changé, tout.

Thomas : Le concept de rock star on n’y croit plus. Les rock stars, aujourd’hui, ce sont les rois du tweet.

Alex : Il y a des groupes qui se font signer parce qu’ils sont célèbres sur Twitter. On dirait que la musique n’est plus l’argument ultime. Avant c’était bien de ça dont on parlait, du son, de la musicalité. Maintenant on parle de personnalité charismatique, il y a de moins en moins de groupes, c’est beaucoup de chanteurs. C’est étonnant de voir le nombre de chanteur-piano ou de chanteur-guitare, c’est un phénomène qui a complètement explosé. On sent bien que c’est de l’identification sociale à un individu. Internet a rendu ces gens accessibles, y’a une sorte d’open access à tout le monde. On a plus de mal à distinguer les portes d’entrée principales, il y a énormément de portes de service. Dans la matrice musicale, tout évolue très (trop) vite. Comme le public, on voit tout ça évoluer sous nos yeux et comme le public, on doit s’adapter. Sauf que nous on est actifs. On a l’impression que depuis dix ans, Youtube et internet sont devenus les rois. On doit faire des clips, en plus d’être musiciens on doit être cinéastes. On s’adapte comme on peut, on essaye de le prendre comme une source de plaisir et pas comme une corvée. Dans les nouvelles règles de l’ancien jeu, on s’acclimate.

Selon vous, serait-ce mieux de ramener la musique à son état le plus pur ? Ne plus voir les musiciens, ne plus voir de clips, ne plus donner d’interview pour savoir d’où vous venez et où vous allez ? 

Alex : Les gens ont besoin d’histoires. Un musicien qui vient seul avec sa musique ça fait chier.

Thomas : Non je ne suis pas d’accord.

Alex : Mais si, regarde les Frero Delavega ils ont besoin d’être de faux frérots, ils jouent sur l’appellation pour émouvoir le public. Y’a un système qui est en train de s’installer, qui fait passer l’émotion avant le talent. Dans quarante ans, cette configuration n’existera plus. Pour le moment on est juste dans un état intermédiaire entre les voies de diffusion naturelles et puis tout ce qui est virtuel.

Great Mountain Fire est en conclusion un groupe attractif, neuf, décalé et sans prise de tête. Leurs albums Canopy et Sundogs sont de vrais petits bijoux de la musique belge. Grâce à cet entretien, quiconque écoute leur musique comprend qu’elle est le résultat d’un travail intuitif mais néanmoins très poussé dans la recherche de sonorités nouvelles.

Directrice de la communication, tout droit venue de Belgique pour vous servir. Passionnée de lecture, d'écriture, de photographie et de musique classique.

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