ART

Taryn Simon lève le voile

Montrée pour la première fois en France, Taryn Simon s’expose au Jeu de Paume, et dévoile les dessous d’une société rongée par le secret. A voir jusqu’au 17 mai prochain.

Taryn Simon est de ces artistes qui utilisent la photo comme matériau ouvrant vers un champ de réflexion, en l’occurrence ici très riche. Elle interroge le sens de la photographie, la façon dont on l’utilise. La photo pour servir un classement, pour établir un ordre, pour questionner les fondements contemporains d’une société, et ce qu’elle souhaite cacher. Son œuvre repose en effet sur un gros travail de documentation et d’inventaire, jusqu’à l’obsession, et sur une imbrication entre l’écrit et l’image, car les informations jouxtant les photos sont ici bien plus que de simples légendes. Elles font partie de l’œuvre, et de la scénographie, réfléchies conjointement par Taryn Simon et le commissaire d’exposition Ami Barak.

La série « The Picture Collection » illustre parfaitement cet aspect documentaire de son travail et la relation texte-image. En allant fouiller dans les archives iconographiques de la Bibliothèque publique de New-York, elle en a ressorti des accumulations d’images organisées en thématiques. Aucun critère esthétique, les photos sont sélectionnées grâce à leur indexation. On y voit une composition de piscines, des clichés de différentes crises boursières depuis que le capitalisme existe… Prises individuellement, ces photos questionnent le fonctionnement de notre société. Ainsi, ces crises boursières à répétition depuis plus d’un siècle interroge notre système capitaliste, qu’il serait peut-être temps de revoir…

Autre question que se pose, et nous pose Taryn Simon : la photographie est-elle encore un document pouvant servir de preuve ? La magnifique série « The Innocents » qui ouvre l’exposition, semble y répondre par la négative. Des photographies grand format présentent des individus, regard fixé sur l’objectif, dans une mise en scène frisant le surréalisme. Ces personnes ont été punies pour des crimes qu’elles n’avaient pas commis. Inculpées sur la base d’une photo, ou d’un portrait-robot parfois transformé pour coller à la description de la victime. Les logiciels de modification d’images, entre autres, ne permettent plus d’avancer la photographie comme un témoignage fiable pour la justice. Et pourtant, le système judiciaire américain continue à être dépendant des images. Photographiés sur les lieux du soi-disant crime, les faux coupables et vraies victimes nous observent d’un regard dur, déterminés à ne plus se laisser faire. La sécheresse du style documentaire côtoie une lumière artificielle, donnant une allure hyperréaliste aux clichés.

Avec Taryn Simon, la photographie sert également à percer le secret. A la manière d’un négatif qui fait apparaitre l’image, les photos de Taryn Simon font apparaitre l’invisible. Ce que la société souhaite cacher, elle le dévoile. En braquant son objectif sur la collection d’œuvres d’art de la CIA, une couverture de Playboy écrite en braille, ou bien encore la « Ferme des corps », ce centre d’anthropologie qui étudie la décomposition des corps humain, Taryn Simon se livre à l’examen de la culture américaine. La photo des câbles de communication sous-marins, qui traversent l’océan Pacifique à l’abri des regards, sont ici montrés comme emblème de la toute-puissance des Etats-Unis sur le réseau internet et les télécommunications. Après la sortie récente du documentaire CitizenFour, ils font étrangement écho avec les scandales de surveillance exacerbée de ces télécommunications, que les Etats-Unis ont toujours tenté de garder sous silence.


Taryn Simon, Vue arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure

Au Jeu de Paume, jusqu’au 17 mai 2015.

1, Place de la Concorde, Paris 8e

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