SOCIÉTÉ

Cinquante nuances de bleu

Bleu : voilà une couleur à la mode lors des dernières élections cantonales des 22 et 29 mars derniers. La droite reprend 27 départements aux socialistes, remontant aux plus hauts niveaux sous la Vème République. Quant au FN, il loupe son pari : aucun département ne tombe dans l’escarcelle de Marine Le Pen et de ses troupes.

Une claque : voilà à quoi ressemble le verdict de ses élections départementales pour le gouvernement. Alors que le premier tour avait laissé quelques espoirs au Parti Socialiste, et au premier chef, à Manuel Valls qui est monté en première ligne durant cette campagne notamment pour contrer le Front National, le second tour a été une cruelle désillusion. Les socialistes perdent ainsi 28 départements, dont des présidences acquises de longue date, comme dans le Nord ou les Côtes-d’Armor. La prise la plus symbolique a été celle de la Corrèze, fief électoral du président de la République, François Hollande, dont il a été le président du Conseil Général depuis 2007 jusqu’à son élection. Seule la Lozère vient un peu atténuer la morosité dans les rangs de la gauche, seule tâche rose supplémentaire dans cet océan de bleu.

Pour autant, ce n’est pas ce coup de semonce électoral qui fait perdre la face à Manuel Valls. Le Premier Ministre a comme ignoré le message envoyé par les électeurs, celui d’un désaveu vis-à-vis de la politique gouvernementale, et a laissé reposer la responsabilité de la défaite sur la désunion de la gauche au premier tour du scrutin. En somme, le Premier Ministre est apparu droit dans ses bottes, souhaitant prolonger le cap des réformes menées jusque là, sans dévier de la ligne social-libérale suivie.

Un vote-sanction contre le gouvernement

Malgré les dénégations de Manuel Valls, il ne fait aucun doute que les électeurs ont voté sur des critères relevant de la politique nationale et non locale. Cet état de fait ouvre de nouvelles plaies entre le gouvernement et les cadres locaux du PS qui ont le sentiment d’avoir été envoyé au casse-pipe et de payer pour l’action gouvernementale. Ainsi, le président PS sortant du Jura, Christophe Perny, battu dans son canton a résumé la situation de manière lapidaire : « Je suis plus fâché que déçu, déclarait-il à la Voix du Jura. J’avais dit il y a quelques mois qu’il fallait que Manuel Valls s’en aille. Il est resté et, aujourd’hui, il porte la responsabilité de tout ça. Je pense qu’il s’est donné pour mission de réduire la gauche à néant. Et il faut dire que, pour l’instant, il réussit bien. C’est à peu près tout ce qu’il réussit d’ailleurs. »

Les fractures se situent aussi entre l’aile gauche du parti représentée par les « frondeurs » et l’aile droite soutenant la politique gouvernementale. D’ailleurs, dès l’annonce des résultats, et présents en force au siège du parti, ils y ont rendu public un texte réclamant « un contrat de gouvernement » listant les axes de réorientation souhaités : « Plan ‘‘République’’ pour l’égalité sur tous les territoires », « soutien massif et ciblé à l’investissement », « défense des couches populaires et des classes moyennes », ou encore renforcement du rôle du Parlement… Ils ont accusé le gouvernement de sous-estimer la portée du vote et plaidé pour une autre politique économique.

Un nouveau rassemblement possible

Un autre rassemblement à gauche est possible. L’aile gauche du PS le soutient ardemment ainsi que l’ensemble des autres composantes de la gauche. En attendant, les réactions post-élections des principaux leaders politiques d’extrême-gauche ont insisté sur le « désaveu » que constitue ce résultat, comme l’a fait Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), mettant en garde l’exécutif du sort qu’il attend en 2017. Alors que le parti écologiste se tenait sur une position difficile ces dernières semaines, oscillant entre une ligne plus à gauche portée par Cécile Duflot, prônant une fracture avec le gouvernement et l’aile droite du parti, à l’instar du sénateur Jean-Vincent Placé qui était plutôt en faveur d’un retour dans le giron gouvernemental.

Malgré tout, la division de la gauche ne semble pas irrémédiable. Nombreux sont les leaders politiques à avoir appelé plus ou moins à mots couverts au rassemblement des forces de gauche, tout le monde ayant bien pris conscience du caractère mortifère de telles divisions. Reste à déterminer le chemin et les contours de ce rassemblement nouveau de la gauche auquel tous appellent ou presque. Comment dépasser les obstacles au rassemblement ? Pierre Laurent, le leader du Parti Communiste, dont les candidats ont plutôt bien résisté à la débâcle avec 152 conseillers départementaux élus, propose de prendre pour boussole les convergences « affirmées à de nombreuses reprises au cours des derniers mois », et qui « se mettent désormais en œuvre dans les premières réunions des Chantiers d’espoir (dont l’appel est signé par le Front de gauche, EELV, et des socialistes en rupture avec le gouvernement – NDLR) et dans la préparation du Forum européen des alternatives ».

En attendant, les rencontres à gauche devraient battre leur plein. Jean-Luc Mélenchon a proposé « aux partis concernés » par sa proposition de « se rencontrer ». De leur côté, les écologistes ont annoncé qu’ils « multiplieront dans les prochains jours les rencontres et présenteront les points essentiels de ce qui représente pour eux le socle d’une nouvelle politique ». Ils devaient rencontrer le PS, hier soir, une rencontre PS-PCF étant envisagée dans les prochaines semaines mais sans date fixée pour l’instant. Le PCF voulant s’atteler de son côté à la prise d’« initiatives nouvelles » pour approfondir les convergences avec tous les tenants d’un autre cap à gauche.

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