Une fausse arnaque ! Voilà ce qu’est le nouveau film d’Iñárritu, Birdman. La bande-annonce semblait nous promettre un film de super-héros comme nous les connaissons plus que bien. La réalité est toute autre, c’est un immense saut dans l’inconnu et tant mieux ! Par l’expression “fausse arnaque”, entendons que beaucoup de spectateurs ne s’attendaient pas du tout à ce qu’ils ont vu, et pourtant c’était génial. En effet, il ne s’agit en aucun cas d’un film classique de super-héros et ça fait beaucoup de bien. Décortiquons donc un petit peu cette nouvelle vision du super-héros.
Il s’agit de l’histoire de Riggan Thomson (Michael Keaton), ancien célèbre acteur de cinéma connu pour son rôle de super-héros. Aujourd’hui, il est quasi oublié et coincé dans l’image du personnage qu’il incarnait autre fois : Birdman. Il tente de se renouveler, de reconquérir une notoriété perdue et de se détacher de son costume moulant et brillant de l’homme-oiseau en montant une pièce de théâtre à Broadway avec Mike Shiner (Edward Norton). Cette conquête va le confronter à l’affrontement de sa propre personne, de son ego, de son image, et de son entourage. Nous sommes, avec ça, déjà assez loin de l’homme-oiseau tel qu’on aurait pu l’imaginer, volant entre les buildings de New York afin de sauver le monde d’une force obscure. Le choix de Michael Keaton pour ce rôle est aussi assez ironique et déroutant puisque l’acteur est ancré, pour beaucoup de spectateur, dans l’image de Batman. De même Emma Stone, qui joue le rôle de la fille de Riggan Thomson, s’est récemment fait remarqué dans les nouveaux Spiderman. Avant d’aller plus loin, Iñárritu nous expose son point de vue dans Deadline : “J’aime parfois [les films de super-héros] parce qu’ils sont simples et élémentaires, et vont bien avec du pop-corn. Le problème est que, parfois, ils prétendent être profonds, comme s’ils étaient basés sur de la mythologie grecque. Et ils sont honnêtement très de droite. Je les vois toujours comme des films où il est permis de tuer des gens parce qu’ils ne croient pas en ce que vous croyez, ou parce qu’ils ne sont pas qui vous voulez qu’ils soient. Je déteste ça, et je ne réagis pas bien à ces personnages. Ils sont un poison, un génocide culturel, parce que le public est tellement surexposé à des récits, à des explosions et à de la merde qui n’ont rien à voir avec l’expérience d’être un humain”. C’est assez assez clair, et Birdman est une occasion unique de découvrir l’illustration du point de vue d’Iñárritu et un quasi-nouveau genre. Le duo Edward Norton – Michael Keaton est très fort et prenant : ils jouent des acteurs et détruisent encore une fois une image pré-construite du métier et du quotidien des comédiens. La vie pour eux n’est pas toute rose, il se mettent littéralement à nu pour laisser place à des corps banals bien loin de la musculature habituelle des héros de Marvel ou DC Comics. Le réalisateur reprend les choses à zéro avec la figure du super-héros.
Pourtant, le personnage de Riggan Thomson a-t-il véritablement des supers pouvoirs ? Cette ambiguité s’installe timidement pendant tout le film. En effet, pendant une partie du film on peut même croire qu’il s’agit vraiment d’un homme-oiseau capable de voler et d’exercer la télékinésie. Mais petit à petit on comprend que ce n’est pas le cas. Au final, Iñárritu termine son film sur la suggestion en hors champ que le personnage est bien le véritable Birdman, super-héros capable de voler. Cette scène finale divise d’ailleurs les spectateurs car elle apparaît comme trop téléphonée et perturbe quelque peu l’interrogation du spectateur qui aurait pu quitter la salle de cinéma dans une interrogation sur la vraie nature de Riggan Thomson. Cette interrogation est tout de même possible mais est court-circuitée par la fin du film.
Le film se fait également remarquer par plusieurs points techniques. En effet, une fois de plus Emmanuel Lubezki (notamment connu pour la photographie de Les fils de l’homme, Burn after Reading, Gravity, L’assassinat de Richard Nixon ou encore Tree of life) nous éblouit avec une image parfaite. Et ici, en plus de la systématique beauté de la composition des cadres, Iñárritu a choisi de penser son film en “temps réel” et donc en plans séquences. Vous aurez donc du mal à critiquer les raccords car il n’y en a presque pas. Les quelques raccords du film sont soit des raccords dans des zones sombres (un peu à la façon d’Hitchcock dans le film plan séquence La corde, dans lequel celui ci faisait ses raccords lorsque la caméra passait dans le dos des vestes des personnages), soit des raccords plus classiques au moment où le plan séquence du film est coupé pour insérer quelques plans lors d’une séquence onirique. Cette coupure fait d’ailleurs l’objet de discussion pour savoir si c’était bien nécessaire de couper le plan séquence pour une telle raison. Toujours est-il que l’équipe technique image et son ont réalisé une immense prouesse car la caméra ne cesse de se déplacer avec virtuosité dans les couloirs étroits des coulisses du théâtre, dans les rues de Broadway. La caméra nous emmène même naturellement dans les bars du quartier ! Elle nous délivre une quantité incroyable d’informations, d’anecdotes et de sous intrigues qui construisent peu à peu un système complexe de relation ; c’est une formidable expérience sensorielle ! Aussi, la bande originale du film est surprenante mais terriblement savoureuse. Iñárritu nous étonne sur tous les points. Il s’agit uniquement de morceaux de batterie jazz interprété par Antonio Sanchez. On voit d’ailleurs plusieurs fois apparaître au détour d’un mouvement de panoramique un batteur qui joue la musique du film qui devient alors diététique. L’association de la caméra hyperactive et de cette musique frénétique colle parfaitement à l’univers et au conflit interne du personnage de Riggan Thomson torturé par son image du Birdman d’antan. L’intrusion de la caméra dans les coulisses des théâtres et la gestion du temps “réel” permet aussi d’installer une tension quasi permanente qui nous donnerai presque le trac !
Le film a été récompensé par quatre Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario original et meilleur photographie.