ART

Empty Moves, l’abstraction en mouvement

La danse est un langage, celui du corps. Et Angelin Preljocaj a sans aucun doute son vocabulaire propre. Empty Moves serait-il son alphabet ?

Débuté il y a 10 ans, Empty Moves est une plongée dans l’univers chorégraphique d’Angelin Preljocaj. Décomposé, décortiqué, le mouvement est réduit à sa plus simple essence. Pour en extraire toute sa puissance.

Cette dernière création du chorégraphe dont la notoriété internationale ne fait plus doute, est intimement liée à autre œuvre : Empty Words, une performance vieille de presque 40 ans. En 1977, au Teatro Lirico de Milan, John Cage fait une lecture d’un texte du poète et essayiste américain Henry David Thoreau. Loin d’une lecture classique, il décompose le texte en une suite de sons distordus, étirés, au point de ne plus comprendre le sens initial. Très vite, les réactions du public de l’époque, pour le moins troublé et agité, se font entendre et se rajoutent à la « lecture » du texte. L’ensemble constitue l’œuvre de John Cage, reprise aujourd’hui par Angelin Preljocaj comme la bande son d’Empty Moves.

Cette bande-son, pour le moins déconcertante (qui en fit fuir plus d’un dans la salle), est littéralement mise en forme par les quatre danseurs. Deux hommes et deux femmes pour transformer Empty Words en Empty Moves. L’abstraction textuelle devient abstraction gestuelle. Et s’incarne dans ce qu’il y a de plus concret : le corps. Le mouvement, comme le mot, est fragmenté, jusqu’à n’être plus qu’un phonème. Le corps n’est là que comme interprète. Quatre danseurs, interprètes de Preljocaj pour John Cage. Ou l’inverse ? Car la chorégraphie vient se calquer sur la bande-son. Le rythme s’accélère au des bruits de casseroles et du chahut du public de John Cage. Puis s’apaise lorsque le public se calme, le temps de laisser le corps reprendre son souffle, avant de repartir de plus belle.

Sans histoire, sans discours, sans signification, le mouvement est là. Pratiquement sans début ni fin, les mouvements s’enchaînent, les corps sensuels s’entrelacent, s’imbriquent comme un gros nœud, puis se délient, s’accordent puis se désaccordent, pour danser en canon, en duo, en solo. Le geste est pur et précis. Le corps se fait aussi objet, une poupée désarticulée, à la façon d’un matériau inerte mis en mouvement par l’autre danseur.

Empty Moves, c’est également une introspection dans l’univers chorégraphique de Preljocaj. Où l’on retrouve quelques pas de classique, de l’espièglerie lorsque les danseurs grimacent face au public, de la poésie, dans des compositions corporelles particulièrement réussies. Mais aussi et surtout : la beauté d’un corps en mouvement, dans ce qu’il a de plus pur.

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