CINÉMA

Réalité(s) de Quentin Dupieux

Jason Tantra, cadreur de télévision, propose le scénario de son premier film d’horreur à un riche producteur et vieil ami, Bob Marshall. Celui ci accepte de le financer à condition qu’il déniche le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma.

La magie de Quentin Dupieux, c’est l’étonnement permanent. Il parvient à nous surprendre à chaque nouveau film, tout en restant dans une même démarche. Son « no reason » guide ses histoires sans jamais devenir prévisible ou ennuyeux. Nous n’avons plus besoin d’être prévenus, nous savons que nous allons voir un film transgresseur, mais nous ignorons la destination.

Réalité diffère des précédents films par sa profondeur et sa structure complexe. C’est un film plus abouti, qui traînait dans la tête de ce génie faussement taré depuis cinq ans. Alimenté au fil des années par ses autres productions, ce projet est parvenu sereinement à maturation. Ce n’est évidemment pas la durée de préparation qui définit la qualité finale, mais c’est sûrement ce temps d’affinage qui a permis de bâtir un film aussi vertigineux.

Ici, comme le suppose le titre, Dupieux joue avec la réalité. Il mêle le réel aux fantasmes, rêves et angoisses de ses personnages avec une maîtrise du montage saisissante. Nous rentrons doucement dans la folie, sans savoir à qui elle appartient. À Jason ? Ou peut-être tout simplement au film. Une fois pris au piège, les climax s’enchaînent de façon fulgurante.

Au-delà de sa forme sidérante, la présence de réflexions personnelles se fait sentir. C’est un film intime qui livre les inspirations, les craintes et les désirs de son créateur. Les plus cinéphiles sentiront l’influence de Videodrome de Cronenberg planer derrière cette mystérieuse composition. Le film est d’ailleurs peut-être plus accessible intellectuellement avec ce bagage, je vous conseille donc de voir ou revoir le film de Cronenberg avant de découvrir Réalité.

“Waves” est le titre du film d’horreur/science-fiction écrit par Jason. S’il est présenté de manière comique, il n’est cependant pas vide de sens. Son pitch : les téléviseurs rendent les gens stupides et finissent par les tuer. Ce n’est pas totalement idiot. Videodrome traite également de l’influence négative de la télévision et de l’aliénation de l’homme face à la machine.

Dupieux tourne en dérision le malaise d’un réalisateur qui se confronte au producteur pour demander de l’argent et transforme ainsi son angoisse personnelle en comédie pour le spectateur. Il s’invente plus ou moins un alter ego : un ex-réalisateur de documentaire clochard qui reprend la caméra pour de la fiction à sa manière, indifférent aux soucis matérialistes de producteurs, qui se révèle en fin de compte être un génie.

La réussite du film est aussi tenue par ses acteurs. Alain Chabat, fidèle à ses capacités comiques, incarne parfaitement Jason Tantra. Jonathan Lambert est tout aussi admirable dans le rôle du producteur. Les clowns absurdes Eric Wareheim et Jon Heder habitent discrètement le film mais sont essentiels à la confusion qu’ils magnifient. Et Kyla Kenedy, petit ange blond dont le nom du personnage est Reality, nous plonge dans cette aventure avec un naturel digne d’une grande actrice.

Grâce à sa forme, sa réflexion et ses acteurs, Quentin Dupieux nous transmet une énergie dans ce film. Réalité est une expérience rare au cinéma, à ne pas rater.

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