CINÉMA

Le rêveur cinéaste

Mettre un rêve en image n’a jamais été chose aisée. Il faut penser que la caméra n’est pas l’outil qui crée mais plutôt l’intermédiaire qui permet le passage du rêve à la réalité. Le créateur est l’humain, le penseur. Il arrive ainsi qu’un réalisateur soit lui-même rêveur et tire son inspiration de ses escapades nocturnes. Ce qui rend les films qui traitent du rêve si passionnants, c’est ce questionnement qui prédomine : Le réalisateur s’est-il lui-même servi de ses songes avant d’en porter son inspiration à l’écran ? La vraie création ne serait-elle pas l’exposition des rêves du cinéaste ?

En tout esprit se cache un rêveur. Ici, le rêveur est un grand esprit puisqu’il a donné naissance à certains des plus grands classiques du cinéma hollywoodien et se nomme Francis Ford Coppola. Le film qui éveille notre intérêt s’appelle Twixt. Il n’est pas l’un de ceux qui engendra mouvement de foule à sa sortie, c’est pourtant jusqu’à présent le dernier film du conquérant de la nouvelle vague hollywoodienne. Ce fondu mélancolique d’horreur, de suspens et d’humour noir serait justement né d’un rêve. En effet, lors d’un séjour à Istanbul, le réalisateur n’a cessé de rêver qu’une jeune fille lui apparaissait dans un univers inquiétant et éthéré, c’est cette image qui aurait ouvert le chemin au cinéaste. Dans une bourgade perdue des Etats Unis, un écrivain sur le déclin (interprété par Val Kilmer) vient faire la promotion de son dernier roman d’épouvante. Alors que l’auteur, Hall Baltimore, commence à craindre le syndrome de la page blanche, le shérif des lieux vient lui proposer une collaboration qui l’entrainera dans la mystérieuse histoire du meurtre d’une jeune fille rappelant douloureusement à l’écrivain la mort de sa propre fille. Une série événements vont dévoiler que les indices dont il a besoin pour démêler cette affaire et trouver l’inspiration se cachent en fait dans son subconscient…

Coppola, admirateur du genre gothique, aurait par ailleurs rêvé à plusieurs reprises de longues conversations avec Edgar Allan Poe. C’est en s’inspirant de ses échanges crépusculaires avec ce pionnier de la science fiction que Coppola met en scène, dans Twixt, la rencontre en songe de Baltimore avec Poe. C’est ainsi que l’on comprend qu’Hall Baltimore n’est autre que l’alter ego de Coppola, un personnage rongé par la mélancolie et la perte de l’être cher, car de la même manière Coppola a perdu son fils, Gian-Carlo, mort à l’âge de 23 ans dans un accident de speed boat. Et ne pouvant être plus explicite, le cinéaste va jusqu’à faire mystérieusement mourir la jeune fille de Baltimore…à bord d’un speed boat.
Celui que l’on considère comme l’un des plus grands maîtres du septième art a su, grâce à ce film, se mettre à nu face au spectateur, et si plusieurs critiques n’ont pas trouvé à ce film un charisme comparable à ses anciennes réalisations, lui a su y fournir un travail sur soi et une introspection qui ne le rendra que plus fort.

Lorsque l’on parle d’un cinéma directement issu de l’onirisme, il est difficile de contourner les œuvres de Luis Buñuel. Le réalisateur d’origine espagnole est en effet l’un des précurseurs d’un style cinématographique surréaliste auquel il a su donner naissance en partie grâce à de nombreuses et scrupuleuses prises en notes des images qui ont pu hanter son sommeil. Ici, pour ne pas avoir à étaler négligemment et précipitamment toutes les œuvres de cet innovateur du cinéma surréaliste, on décide de s’attarder sur son premier court métrage : Un chien Andalou. Ce film est relativement complexe à résumer : il s’agit d’une succession de scènes qui privilégient le symbolisme à travers plusieurs images, décors et objets. Le fil conducteur est une relation entre un homme et une femme qui devient peu à peu conflictuelle : l’homme poussé par le désir de l’autre sexe ne peut contrôler la passion qui le ronge et tente de posséder la beauté féminine. Celle-ci résiste sans cesse, renforçant ainsi la violence de l’affrontement des deux sexes.
Ce court métrage muet d’une quinzaine de minutes est non seulement le fruit de prises de notes à l’issue des rêves du cinéaste, mais c’est surtout l’enfant du mariage de deux songes. En effet, lors de ses études à Madrid, Buñuel se lie rapidement d’amitié avec Salvador Dalí. La réalisation de ce court métrage est la conséquence de l’association de ces deux artistes. Buñuel raconte que lors d’une visite chez son ami, ils s’étaient décrits leurs rêves respectifs. Ainsi, peu de temps auparavant, Buñuel avait rêvé qu’un nuage effilé venait couper la lune puis une lame de rasoir venait ensuite fendre un œil. Dalí de son côté raconte que la nuit précédente, l’image d’une main trouée d’où surgissaient des fourmis lui était apparue dans son sommeil. Dalí propose rapidement : « et si nous faisions un film en partant de ça ? ». Et de là commence le voyage surréaliste qu’est Un chien Andalou, dont les images les plus marquantes sont la traversée de la pleine lune par un nuage effiloché suivit d’un œil grand ouvert qui se voit tranché par la lame d’un rasoir, et enfin la paume d’une main dont des fourmis ne cessent de jaillir.
Les deux réalisateurs ont conçu ici un scénario qui s’est écrit en seulement six jours. « Nous étions en telle symbiose qu’il n’y avait pas de discussion » raconte Buñuel aux cahiers du cinéma. Si ces deux créateurs réalisent ensemble un univers énigmatique et laissent le spectateur libre de l’interpréter, ils ont inventé la symbiose parfaite qui renforce une relation entre deux génies dans un geste artistique proche du surréalisme.

Les deux réalisateurs : Dalí à gauche, Buñuel à droite

Les deux réalisateurs : Dalí à gauche, Buñuel à droite – Droits Réservés

Cette même Espagne qui a vu naître Buñuel est aujourd’hui encore une terre blessée par l’une des plus grandes plaies qui aient pu fendre ce pays dans un conflit fratricide. Ici la dictature d’après guerre est vue par l’œil assuré du réalisateur Mexicain Guillermo del Toro. Il décide de faire cohabiter le monde féerique des songes d’une enfant et une vision plus historique du conflit qui oppose les rebelles et les franquistes, le tout dans cet audacieux coup de maître qu’est Le labyrinthe de Pan : en 1944, 5 ans après la fin de la guerre civile, l’Espagne est sous la coupe de Franco. La jeune Ofelia est une aventureuse. Amatrice de contes de fée, elle voyage au coté de sa mère enceinte d’un capitaine de l’armée Franquiste. Pour Ofelia, cet homme qu’elle ne souhaite pas considérer comme son beau père, est un homme tyrannique et sanguinaire, c’est en partie la raison pour laquelle elle décide de s’isoler dans la lecture des contes. Une nuit, dans un élan de curiosité, la jeune fille décide de s’aventurer dans les ruines d’un labyrinthe voisin de sa nouvelle maison, elle y découvre un faune inquiétant qui lui révèle qu’elle est en fait la réincarnation d’une princesse échappée d’un monde souterrain. Il lui soumet alors trois épreuves qui permettront à Ofelia de retourner auprès de ses vrais parents …
Le labyrinthe de Pan est en fait issu de vingt ans de griffonnages, d’idées, de dessins et d’éléments d’intrigues dans le carnet de notes de Guillermo Del Toro. Il explique que l’idée qu’il a eu d’exploiter la mythologie, en particulier le faune, est née de rêves lucides qu’il faisait régulièrement étant enfant : la créature mi-homme mi-bouc lui apparaissait alors qu’il se croyait éveillé. Del Toro décide ici de créer une version de la créature quelque peu différente du faune classique, il imagine un être à la démarche instable, un visage de bouc sur un corps squelettique encombré d’herbe, de feuilles et de terre. Par sa création, le réalisateur prend l’initiative de faire face à des rêves qui ont marqués son enfance ; un moyen de faire du spectateur le récepteur et l’analyste des paroles d’un homme qui désire entretenir ce lien avec l’enfance.

Guillermo Del Toro face à la créature "Pan"

Guillermo Del Toro face à la créature “Pan” – Droits Réservés

En effet, mettre un rêve en image n’a jamais été chose aisée, mais ces quatre créateurs ont su faire de la caméra le projecteur de leur songe. Et d’autres encore ont excellé dans le genre. Mais Coppola, Buñuel, Dalí et Guillermo del Toro ont clairement su divulguer au spectateur leur interprétation d’un monde qui aujourd’hui encore, reste mystérieux…

Lycéen grenoblois; Dans la pratique la musique depuis tout petit mais voue aussi une réelle passion au septième art. Pour me joindre : nicolas.cury@orange.fr

You may also like

More in CINÉMA