CINÉMA

La Trilogie du Hobbit : le retour du Roi

A la fin du tournage du Retour du roi Peter Jackson, exténué, avait affirmait qu’il ne se relancerait plus dans l’Heroic Fantasy. Plusieurs années plus tard, Guillermo Del Toro ayant jeté l’éponge de la réalisation à cause d’une pré-production chaotique, le gardien du temple a dû malgré lui reprendre le flambeau pour sauver le projet de la noyade. Un diptyque devenu une trilogie, le Hobbit a été insulté et en même temps célébré par les fans de la première heure. L’ultime du volet étant sorti, il est désormais temps de faire le point sur une œuvre à contre-courant de la production Hollywoodienne habituelle, oscillant entre respect de la trilogie originale et pur magasin d’expérimentations.

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Le Hobbit : Un voyage inattendu – Warner Bros

Il est vrai que le premier réflexe pour chacun fut de garder en tête le Seigneur des anneaux pour opérer une constante comparaison qualitative. A ce petit jeu, le Hobbit est perdu d’avance puisqu’il apparaît évident que Jackson ne pouvait une nouvelle fois s’investir émotionnellement et artistiquement dans un univers auquel il avait fait ses adieux. Dès lors, l’un des principaux intérêts qui ont pu le motiver à revenir est la volonté d’étendre cet univers, le complexifier, l’enrichir. L’équipe scénaristique va tout mettre en œuvre pour raconter cette histoire d’un peu plus de 300 pages de la manière le plus cohérente possible au sein de cette nouvelle trilogie mais aussi au sein de l’univers de Tolkien dans son ensemble. Ainsi est totalement justifié le fait que l’on retrouve des figures emblématiques de la précédente trilogie comme l’épée du Roi brisée ou l’intérêt appuyé qu’a Bilbon pour le royaume des nains, lieu où il y retournera en fin de vie. On revoit aussi logiquement des plans signature (notamment le doigt qui rejoint l’anneau) dans un souci de cohérence mythologique. Néanmoins, à l’approche de la longue joute verbale entre le Hobbit et Gollum on pouvait craindre un simple fan-service. Or les scénaristes s’en servent habilement pour rendre compte pour la première fois des talents de cambrioleur de Bilbon, mais aussi de ses valeurs pacifistes lorsqu’il renonce à tuer la créature.

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Le Hobbit : La bataille des Cinq Armées – Warner Bros

Le découpage du livre en trois volets, loin de représenter l’avidité d’un Jackson trouvant comme alter-ego Smaug en personne, comme il a pu être décrié ici et là, cette opération s’avère d’une grande intelligence. Par exemple en plaçant l’attaque de Lacville par le dragon en ouverture du troisième opus, Jackson ne fait que souligner cet événement comme élément déclencheur d’une chute de dominos menant à une guerre inter-espèces, chose impossible avec un dyptique. D’ailleurs, il aurait été regrettable de voir de nombreux morceaux de bravoure supprimés ou amputés au mieux à cause d’un découpage en deux films. Bien que certaines baisses de rythme puissent se faire sentir en cours de métrage, force est de constater que le Hobbit se concentre avant tout sur ses personnages et recentre ses enjeux sur l’Humain. Ainsi Jackson prend son temps (chose de plus en plus rare) pour présenter ses personnages principaux afin que l’on puisse les identifier, les iconiser, ce qui n’était pas gagné d’avance vu qu’il s’agit de treize nains. Mais surtout, l’histoire même de cette trilogie semble être l’avidité, la cupidité qui se propage à travers la plupart des personnages clés comme Gollum, Smaug, Thorin, le Roi des elfes, Azog et même Bilbon avec son anneau. Le grand Mal n’est alors rien de moins que l’ego poussant inexorablement à une guerre dont sa mise en place complexe, passionnante, renvoie à notre Histoire passée et présente. Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas vu dans un divertissement l’écriture d’un personnage principal comme le chef des nains Thorin, aussi développée et profonde. Son ambivalence va jusqu’à le transformer en monstre sombrant dans la folie de la richesse et voulant tuer de sang froid tous ceux qui l’entravent, même ses plus proches, Bilbon en particulier. La trilogie du Hobbit, au-delà de ses apparences insignifiantes, raconte la descente aux enfers des personnages entraînant avec eux les peuples. Ces présages ténébreux du dernier volet sont d’ailleurs annoncés dès les premières notes musicales du générique qui ne joueront pas le thème naïf du Hobbit, contrairement aux opus précédents. Ce goût amer s’épanoui dans une résignation idéologique douloureuse : le début de la trilogie était un appel à l’aventure tandis qu’au final Thorin souligne que toutes les guerres pourraient être évitées si les gens restaient chez eux.

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Le Hobbit : La bataille des Cinq Armées – Warner Bros

 

Le tour de force de Jackson est alors d’exprimer tous ces enjeux de la manière la plus cinématographique possible, et à ce titre il n’a rien perdu de son inventivité. La réalisation fonctionne avec une grande simplicité apparente, comme par exemple en alignant Thorin dans l’axe d’une statue géante de son ancêtre (idée qu’il aurait eue au dernier moment sur le plateau), symbole d’un destin funeste inévitable. On pourrait également citer ce point de montage au début du troisième film qui résume à lui seul tous les enjeux dramatiques à venir : les nains et Bilbon contemplent ce qu’ils ont eux-mêmes provoqué : un village ravagé par les flammes du dragon, alors que leur chef est dos à ce spectacle et fait face à l’entrée de la montagne renfermant le trésor, sa préoccupation maladive. Il suffit à Jackson un simple changement de valeur de plan dans un dialogue pour signifier au spectateur toute l’ambivalence de ce personnage dont sa folie le conduira à être symboliquement englouti dans de l’or. Ainsi le néo-zélandais utilise pleinement son médium et le pouvoir d’évocation de l’image sans avoir recours à des dialogues explicatifs, à l’instar du pécheur Bard iconisé en héros en quelques plans.

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Le Hobbit : La bataille des Cinq Armées – Warner Bros

 

C’est donc dans la mise en scène que Peter Jackson trouve sa motivation à revenir en Terre du milieu. Débarrassé de la nécessité de donner naissance à un univers crédible, il peut alors en jouer à loisir en essayant de nouvelles choses, en tentant de repousser ses réalisations passées, bref, en expérimentant. On ne compte plus les propositions visuelles courageuses, culminant sans doute dans un combat contre Sauron, prenant des airs de trip sous acide extrême. Devant la caméra, la plupart des scènes d’action deviennent de purs exercices de style exaltants allant d’une course-poursuite filmée entièrement en travellings fulgurants, à une scène filmée presque uniquement en plans d’hélicoptère. Mais surtout, soulignons la fameuse fuite en tonneau qui pousse l’immersion jusque dans ses derniers retranchements, l’utilisation de GoPro en atteste, multipliant les actions, les cascades, les chorégraphies au premier et au second plan, le tout filmé au raz des rapides. Cela étant, toutes ces expérimentations prennent véritablement forme avec l’inattendu du premier titre : le High Frame Rate (HFR) 3D. Cette technologie, en passe de devenir une révolution dans le monde de la 3D, consiste à doubler le nombre d’images prises par seconde (48 contre 24 traditionnellement) ce qui a pour conséquence une fluidité et une précision vertigineuse de l’image allant jusqu’à rendre l’expérience 3D la plus naturelle pour l’œil qui soit. Ainsi, Jackson se permet tous les mouvements de caméra inimaginables qui ne deviennent alors à aucun moment flous. Face à cette netteté il est alors possible de multiplier les éléments à plusieurs niveaux du cadre vu qu’ils pourront être tous identifiés par le spectateur, la scène dans le Royaume de milliers de gobelins en témoigne.

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Le Hobbit : Un voyage inattendu – Warner Bros

A n’en point douter, le Hobbit malgré son coût de 745 millions de dollars reste un pur film d’auteur. En effet, on retrouve ici des aspects chers au cinéaste comme le mélange des genres avec un enchaînement de scènes de comédie, puis de comédie musicale, pour conclure sur un combat s’inscrivant dans une véritable ambiance de cinéma d’horreur. D’ailleurs, Legolas avec son teint blafard sous le clair de lune est plus à rapprocher d’un vampire gothique que d’un elfe. Cette trilogie est purement Jacksonienne en ce qu’elle est constellée de gimmicks récurrents dans sa filmographie rappelant ses débuts dans le cinéma d’horreur décomplexé à la Braindead (le nombre de décapitations est hallucinant dans un contexte de film grand public) ou bien son amour pour les dessins animés (un nain dans un tonneau tournant comme une tornade rappel le Diable de Tasmanie là où le singe de King Kong glissant sur la glace renvoyait à… Bambi).

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Le Hobbit : La bataille des Cinq Armées – Warner Bros

Qui d’autre que Peter Jackson, à part un James Cameron ou un Guillermo Del Toro, est capable de nous offrir un tel bestiaire (le dragon Smaug à la fois élégant et terrifiant s’impose comme l’un des monstres les plus authentique du Cinéma), de tels décors aussi variés, de tels costumes et de tels maquillages réunis dans un seul film. Une fois de plus, le réalisateur se révèle d’une générosité sans limite envers son spectateur. Chaque plan nous remémore la force de l’imaginaire et de l’évasion que seul le cinéma peut procurer aujourd’hui. Son utilisation du scope, le plus ample possible, nous ramène à un plaisir pur et ludique. Bien-sûr tout cela est soutenu, outre par une 3D intelligemment utilisée, par des effets spéciaux numériques, et bien plus d’effets pratiques qu’il n’y paraît, d’une avancée considérable. Ceci ne fait que rappeler le talent de Jackson dans sa connaissance et son utilisation de la palette graphique pour incorporer avec perfection ces effets au reste de l’image, à l’instar du combat des géants de pierre éclairés comme de simples montagnes. Après tout, comme le dit Gandalf, non sans une certaine mise en abîme : toutes les bonnes histoires méritent d’être enjolivées.

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Le Hobbit : La bataille des Cinq Armées – Warner Bros

 

Il ne reste plus qu’à attendre la version longue du dernier opus, annoncée de 30 minutes supplémentaires, qui devrait combler les trous scénaristiques (l’arrivée de la dernière armée par l’homme-ours Beorn notamment). Une chose sera alors certaine, cette nouvelle trilogie résonnera pleinement au cœur de l’ancienne tant les parcelles entre les deux ont été habilement construites. En d’autres termes, Jackson aura réussi là où George Lucas avait échoué avec sa prélogie Star Wars  : former un tout homogène se révélant être une grande épopée mythologique du XXIème siècle.

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