Bien que les attentats soient réguliers au Pakistan, le pays est sous le choc depuis le 16 décembre. Six hommes en tenue militaire se sont introduits dans une école où étudient les enfants du personnel de l’armée. Exécutant froidement une grande partie des élèves, les terroristes sont allés jusqu’à brûler vive une enseignante devant eux. Le bilan est effrayant : 141 décès dont 132 enfants et près de 125 blessés ! Sartaj Aziz, le chef de la diplomatie pakistanaise, définissait cet attentat comme le 11 septembre pakistanais. Cet événement va modifier la politique du pays en matière de terrorisme. La communauté internationale a condamné unanimement cet assaut d’une extrême violence, y compris les talibans afghans. Selon ces derniers, l’attaque est “contraire aux règles de l’Islam”. De quelle organisation font partie les terroristes ? Comment en est-on arrivé à un tel degré de violence ? Pourquoi s’attaquer à des enfants ?
Le Moyen-Orient est le théâtre de nombreux conflits ces derniers mois. La région s’embrase : attentats-suicides multiples au Pakistan et en Afghanistan, guerre israélo-palestinienne cet été, expansion de l’Etat Islamique suivie de l’action de la coalition occidentale en Syrie et en Irak, le gouvernement Libyen aux abois, attentats à la voiture piégée en Égypte… Peu d’États de la région sont épargnés. Malgré tous ces exemples, les événements de Peshawar resteront l’une des actions terroristes les plus spectaculaires en 2014. Shahrukh Khan, 16 ans, témoigne du cauchemar qu’ont vécu les étudiants. Alors que les hommes armés font irruption dans l’auditorium où il suit un cours, Shahrukh, comme le reste de l’assemblée, se réfugie sous son pupitre. Les terroristes traquent les adolescents les uns après les autres, les fusillant à bout portant. Le jeune homme voit un taliban se rapprocher et il lui tire plusieurs balles dans les deux jambes, au-dessus du genou. “J’ai retroussé ma cravate, et l’ai mise dans ma bouche pour ne pas crier.” Après quelques minutes d’attente, les assaillants quittent l’auditorium et Shahrukh Khan rampe jusqu’à la classe voisine. Le miraculé raconte alors une scène terrifiante : “C’était horrible ! L’assistante de bureau était là, assise sur sa chaise, le corps ruisselant de sang et qui brûlait”. L’étudiant s’évanouit avant de se réveiller à l’hôpital de la ville où les blessés affluent. (Retrouvez l’intégralité du témoignage recueilli par l’AFP en cliquant ici )
Le TTP revendique l’attentat
Le doute sur l’identité des assaillants n’a pas duré. Rapidement, le Mouvement des talibans du Pakistan (Tehreek-e-Taliban Pakistan, TTP) a assuré être l’organisateur de l’attaque de l’école. Les derniers faits d’armes majeurs du groupe (qui a fait 7000 victimes depuis fin 2007) sont la tentative d’assassinat de la récente Prix Nobel de la paix, Malala, et l’attaque d’un commando dans l’aéroport de Karachi en juin, tuant 28 personnes. Chassé du Waziristan du Sud, une province pakistanaise dans la zone tribale à la frontière de l’Afghanistan en 2009, le TTP s’est réfugié dans la région voisine du Waziristan du Nord. Depuis mi-juin, le gouvernement du Premier ministre Nawaz Sharif, a lancé une opération militaire de grande ampleur dans la province du Nord, impliquant près de 30 000 soldats. Le symbole de l’attaque de Peshawar est donc fort : le TTP résiste malgré les pertes subies par l’offensive de l’armée associée aux attaques de drones américains. L’organisation fait même mieux que ça, en contre-attaquant. La cible du 16 décembre n’a pas été choisie au hasard. En s’attaquant aux enfants de militaires, les talibans pakistanais frappent les esprits : “les chasseurs de l’armée bombardent nos places publiques, nos femmes et nos enfants et des milliers de nos combattants, des membres de leurs familles et leurs proches ont été arrêtés. Nous avons demandé encore et encore qu’ils cessent tout cela” déclare le porte-parole du TTP.
Un mouvement affaibli
Avec le départ de son bastion historique du Sud-Waziristan, puis l’opération de l’armée en 2014, le Mouvement des talibans du Pakistan est paradoxalement dans une des situations les plus compliquées depuis sa création en décembre 2007. Le groupe n’est pas homogène et on peut observer de fortes dissensions internes. En effet, en novembre 2013, Hakimullah Mehsud, chef de l’organisation terroriste, est tué par un tir de drone. Pour le remplacer, le mollah Fazlullah est promu au rang de chef. Cependant, ce dernier semble avoir les pires difficultés à faire reconnaître son autorité. La tentative de dialogue avec le gouvernement de Nawaz Sharif a cristallisé les tensions à l’intérieur du Mouvement. Les membres les plus radicaux, farouchement opposés à toute discussion, se sont réunis dans un nouveau groupe, Jamaat-ul-Ahrar. Enfin, plusieurs commandants ayant prêté allégeance à l’État Islamique dans l’optique de mondialiser la cause du califat, ont été exclus.
Des conséquences importantes
Le lendemain de l’attentat, le Pakistan a rétabli la peine de mort pour les cas de terrorisme, cette sentence n’étant plus appliquée depuis 2008. Cependant, les condamnations à mort n’avaient pas pour autant cessé d’être prononcées. En effet, selon Amnesty International, 8 000 personnes ont été condamnées à la peine capitale mais sont en prison, le moratoire empêchant le passage à l’acte. Sur ce nombre impressionnant, 500 seraient concernés par des affaires de terrorisme. Les premières exécutions n’ont pas tardé. Dès le vendredi 19 décembre, deux pendaisons ont eu lieu à la prison de Faisalabad, dans le centre du pays. L’un avait été condamné en 2009 pour un attentat provoquant 41 morts, l’autre fut exécuté pour avoir tenté d’assassiner le Président Musharraf le 25 décembre 2003, tuant 16 personnes. Cette décision concernant la réhabilitation de la peine de mort peut sembler étonnante, lorsque l’on sait qu’une partie importante des attentats sont suicidaires. Le risque d’être condamné à mort ne risque pas de décourager les terroristes qui semblent déterminés à faire entendre leur voix, ayant peu de considération pour leur propre vie. Des voix s’élèvent contre la levée du moratoire, le gouvernement étant accusé de profiter de l’immense émotion provoquée par le drame de Peshawar pour mettre en place une promesse tenue lors des dernières élections législatives de 2013. Le problème auquel a été confronté Nawaz Sharif depuis son élection a été de mettre en place cette promesse. Le moratoire mis en place en 2008 avait été déterminant dans l’accession au rang de “GSP+” (Système de Préférences Généralisées). Ce statut lui a permis d’exporter sans barrière tarifaire sa grande production de textile vers son premier partenaire économique : l’Union Européenne. Lever le moratoire est une prise de risques vis-à-vis de la communauté internationale. Mais, dans ce contexte, peu de dirigeants étrangers devraient réagir et pénaliser le Pakistan.