CINÉMA

Mommy – Colères en carcan

L’ascenseur se bloque. Les lumières s’éteignent. Un filet de lumière brise l’obscurité. Vos cris sont vains, personne ne viendra vous ouvrir. Vos souffles s’accélèrent, vos nerfs et vos poils se tendent. L’oxygène vient à manquer et le stress, lui, prend sa place. La colère monte, doucement. Vos muscles se tendent à leur tour. Vos poings se ferment et dans un élan de rage, vous frappez les portes. Une fois, deux fois, trois fois. Elles ne cèdent pas. Vous restez coincé, impuissant. Xavier Dolan essaie de nous imposer cette sensation dans Mommy, son dernier film, en enfermant ses muses, Antoine-Olivier Pilon et Anne Dorval, en format portrait.
Si aux premiers abords l’importance du cadre parait évident, il devient une béquille injustifiée et bride trop les mouvements : la force du film n’est pas là.

A l’ouverture du film, les vibrations envahissent les petits haut-parleurs d’un auto-radio, elle dépose ses doigts sur son volant et mène ses quatre roues sur les immenses avenues canadiennes. Soudain, un tout terrain surgit sur la droite, le choc est violent et inévitable. Moins amochée que la voiture, Diane “Die” Desprès en sort, fébrile. Cette veuve, possessive et ensanglantée, retrouve la garde de son fils Steve, jeune blond hyperactif et légèrement pyromane. Consumés par cette longue séparation, leur quotidien mêle colères hystériques et danses frénétiques. Les plaies familiales sont béantes. Munie d’un fil et d’une aiguille, la mystérieuse Kyla vient alors les aider à suturer les cuisses et les cœurs.

Rencontre. Sérénité. Humiliation. Colère.
Imaginez qu’une couleur a été attribuée à chaque mot. Ces mots sont séparés, isolés dans leur sens, leur forme et leur couleur. Côte à côte, ces mots n’ont seulement la cohérence que nous voulons leur donner, à l’image de l’identité visuelle des scènes de Mommy. Dolan expérimente, hésite et fait des non-choix. Il travaille les mouvements de caméra ou les points de vue mais seulement à l’échelle du plan. Sans justification explicite, il passera d’un plan à l’épaule à un plan en panoramique. Comme de belles photos jetées en désordre sur une table, nous nous perdons à essayer de regarder les scènes sans oublier le fil rouge de l’intrigue, heureusement simple. Sa réalisation paraît amnésique : dans le tournage d’une scène, le réalisateur a l’air d’oublier les choix qu’il a fait pour la scène précédente et tombe rapidement dans la démonstration technique. Isolement, voilà son credo.

Mommy - Droits Réservés

Mommy – Droits Réservés

Le temps d’un clin d’œil, Wonderwall de Oasis se lance et le personnage ouvre le cadre de ses propres mains, nous offrant une redécouverte du mouvement et des grands espaces. Si Mommy ne nous enferme pas dans l’ascenseur, il nous emporte aux étages de nos émotions. Lorsque Steve balançe des poivrons façon Mario Kart sur les voitures ou que sa mère se retrouve avec ses courses étalées sur le sol au milieu d’une route, le film nous emmène vers les éclats de rire. Xavier Dolan, en jouant de la détresse de ses personnages, nous transforme en sadique et nous tire des rires jaunes.

Steve/Antoine-Olivier Pilon - Cinématraque/ Droits réservés

Steve/Antoine-Olivier Pilon – Cinématraque/ Droits réservés

Ayant déjà fragilisé notre équilibre intérieur à grands coups de Céline Dion, le réalisateur programme notre autodestruction en nous mettant en témoin de la déchéance de Steve. Et pour que la désillusion soit plus intense encore, il nous propose de rêver avec lui puis de retourner à la réalité douloureuse. Nous passons des plus hauts étages aux sous-sols, Dolan nous met en présence des fondations du film, de l’idée même. Et la colère y est partout. Dans les regards, les démarches, les mots. Le cinéaste ne filme pas des bonbonnes de gaz sous pression ou des orages menaçant la plaine. Rien n’est sous-jacent. Il n’installe pas la colère par la narration. Elle est déjà là, à la source, portée par les interprétations exceptionnelles d’Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval et Suzanne Clément. Nous sommes spectateurs de sa détonation, de sa violence pure. (Se) Montrer, voilà son maître-mot.

Véritable pornographie de la colère mêlant tension musicale, montage frénétique et cris insupportables, Mommy est d’une violence psychologique frôlant nos limites.

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