Jeunes adultes que nous sommes, il est loin le temps de la croyance aux fantasmes et légendes imaginaires. Et pourtant, le spectateur se réincarne toujours dans une romance idéalisée à laquelle tout le monde aimerait espérer. Tantôt le cinéphile en couple se pose des questions tant sur la conception de sa vie à deux que des beaux moments passés, tantôt le célibataire acharné peut briser son petit cœur de pierre par l’envie soudaine de construire une relation parfaite. Et pourtant, le spectateur ne s’identifie-t-il pas au personnage au point d’en devenir acteur ?
Il est indéniable de constater que la venue d’un film à romance pour la presse est signe d’une critique catastrophique. Critiquant le vide dans le jeu d’acteur et la tendance à tout rendre idéal, certains réalisateurs tentent de percer les secrets de l’amour en transcrivant sur l’écran des histoires conceptualisées mais ancrées dans la réalité.
Un phénomène de « teen-movie » ancien et récent
Les cinéastes ont compris l’idée selon laquelle les films romantiques touchent en premier les adolescents et jeunes adultes. En quête d’un « amour éternel », ce sont souvent ces individus qui s’identifient au personnage. Récemment, la sortie au cinéma de Endless Love (le titre français étant « Un amour sans fin », il est bien trop peu significatif de l’histoire à part rendre hommage à L’amour Infini de Franco Zeffirelli en 1981) démontre que ce phénomène est loin d’être terminé. Dans ce long-métrage, on y découvre une jeune fille de bonne famille (Gabriella Wilde) tombant amoureuse d’un garçon issu d’une famille populaire (Alex Pettyfer). Sauf que le père de l’adolescente est contre cette relation et souhaite que sa fille continue ses études de médecine au lieu de privilégier l’amourette qui se construit. Scénario typique de l’imaginaire amoureux à « happy end », il n’en est pas moins plaisant pour les plus férus d’eau de rose. La relation conflictuelle entre le garçon et le père (bien trop douteux) est rendue telle que même les spectateurs ne seraient pas dérangés par une dispute comme celle-ci tant l’amour est parfait.
Les réalisateurs arrivent à identifier parfaitement les attentes générées par les jeunes.
La romance reste un fil scénaristique majeur dans les créations du septième art. Les séquences de champ contre champ à dialogues niais se superposent et procurent une excitation particulière chez la clientèle jeune. Si l’on prend tout bêtement les remakes Spiderman de Marc Webb, la relation entre Gwen Stacy et Peter Parker est quasiment aussi importante que le scénario principal, à savoir le combat contre les différents ennemis. Bien que les bandes dessinés de Stan Lee y font référence souvent, la romance n’est pas mise au cœur de l’intrigue.
Il en est de même pour Casablanca (1942) où la relation entre Rick (Humphrey Bogart) et Ilsa (IngrId Bergman) berce l’histoire magnifique de cette séduction au cœur de la seconde guerre mondiale.
Il en arrive à une telle fascination pour ces romances qu’elles en deviennent cultes. Qui ne connait pas le « T’as d’beaux yeux tu sais » de Jean Gabin dans Quai des Brumes ? Ou alors, une des meilleures répliques du cinéma américain serait ce dialogue sulfureux d‘Autant en Emporte le Vent :
« Rhett : Scarlett, regardez-moi ! Je vous ai aimé plus que je n’ai jamais aimé une autre et je vous ai attendu plus que je n’ai jamais attendu une autre femme.
Scarlett : Laissez-moi tranquille !
Rhett : Ce soldat, devant vous, vous aime, Scarlett. Il veut sentir vos bras autour de lui, il veut garder le souvenir de vos baisers à ses côtés sur le champ de bataille. Qu’importe que vous m’aimiez ou non, vous êtes une femme envoyant un soldat à sa mort avec un magnifique souvenir. Scarlett, embrassez-moi. Embrassez-moi juste une fois ».
Dans notre cinéma actuel, les cinéastes doivent faire preuve d’imagination, de réflexion mais aussi et avant tout de réalité pour surprendre dans la romance et le drame romantique. Si bien que les réalisateurs comme Marc Webb ou Spike Jonze ont trouvé leur style, leur histoire d’amour, et leur film culte.
Déconstruction de la romance pour une réalité des faits
Avec la sortie d’Under The Skin de Jonathan Glazer mettant en scène Scarlett Johansson et montrant un corps sans voix, il est bon de rappeler le rôle très convaincant de l’actrice dans Her de Spike Jonze. Cette fois-ci, elle interprétait Samantha, une intelligence artificielle à la voix sulfureuse qui séduit Joaquim Phoenix. Spike Jonze a su revisiter le classique romantique en réalisant un long-métrage opposé de son ex-épouse (Lost In Translation). Scarlett Johansson, alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans, incarnait une jeune femme tombant amoureuse d’un vieil homme (Bill Murray).
Dans Her, la romance platonique laisse sa place à une romance du futur, une incarnation plus qu’osée du coup de foudre. Le cinéaste a imposé, à travers la technologique d’aujourd’hui, sa vision du romantisme, c’est à dire des sentiments névrosés laissant l’amoureux coupé du monde extérieur, et sans toutefois se rendre compte de sa situation.
On assiste alors à une déconstruction de la romance typique et idéale que l’on a vue depuis l’apparition de la série des « Coup de foudre ». Cependant, en 2009, Marc Webb a lui aussi interprété la romance dans un aspect plus dramatique tout en restant réel.
Dans 500 jours ensemble, on assiste à l’attirance du personnage incarné par Joseph Gordon-Levitt sur Summer (Zooey Deschanel), nouvelle secrétaire du chef de celui-ci dans l’entreprise de cartes de vœux où il travaille.
La construction du film (des retours en arrières et des avancées traduites par le numéro du jour dans laquelle l’action se déroule) traduit directement que leur relation est vouée à l’échec. Et pourtant, Marc Webb réussit à nous faire espérer que les deux tourtereaux finissent tout de même ensemble. Et finalement, avec une des chutes les plus sublimes du cinéma américain (un avis parmi d’autres), le spectateur se rend compte que cette expérience de 500 jours avec la femme de ses rêves n’était finalement que la traduction d’un amour espéré mais inatteignable et remplaçable. Marc Webb déconstruit tout le processus romantique présent dans la majorité des longs-métrages, c’est à dire la rencontre, l’amour fou, la séparation, et le retour. Dans 500 jours ensemble, il est soudainement impossible de construire un fil conducteur de cette relation passionnée.
Finalement, le cinéaste donne sa vision personnelle sur une réalité fascinante qui est le véritable premier amour. Pour ceux l’ayant déjà vécu, vous vous dites que la vie sans cette personne est impossible et qu’aucune gens ne lui arriverait à la cheville. Vous marmonnez que vous ne pourrez jamais vous remettre d’une relation comme celle-ci si elle était vouée à l’échec. Et pourtant, Marc Webb définit la morale de l’histoire comme le remplacement de « Summer » par « Automn », c’est à dire le remplacement d’un amour par un autre et que chaque romance vécue ne permet que l’amélioration de la prochaine (en bien) avec des souvenirs, des déceptions, des expériences et un renforcement de la personnalité.
Romance névrosée mise à mal par la réalité, c’est ce que James Ponsoldt s’est aussi décidé à traiter au mois de janvier dernier, dans The Spectacular Now. Mettant en scène les deux jeunes prometteurs Shailene Woodley et Miles Teller, le ton est donné dès le début du film lorsque la surexposition du filtre vert rend le paysage et l’action plus morose et plus dramatique que les autres romances. Sutter (Teller) est un adolescent qui se prétend vivre dans le présent sans se soucier du futur. Au contraire, Aimee (Woodley) pense réellement à son avenir et à l’université qu’elle va intégrer. Comme dans la plupart des longs-métrages du genre, Sutter est le garçon « super cool », roi des soirées. Au contraire, Aimee est plus réservée et se contente de travailler et distribuer le lait tous les matins, à la place de sa mère. A l’aube, Aimee tombe sur Sutter dormant dans un jardin. C’est là le début d’une romance classique. Sauf que Sutter est très porté sur la boisson et a perdu la trace de son père. La réalité l’emporte sur sa romance idéale et le jeune homme se rend compte que vivre dans le présent n’est possible que si l’on pense un minimum dans le futur. Leçon de morale audiovisuelle, James Ponsoldt dramatise les sentiments et les rend plus fort et plus ancré face à un imaginaire de vie impossible à supporter. Les romances parfaites des « teen movie » ne sont qu’une conception idéalisée d’une réalité inatteignable.