MUSIQUE

Rencontre avec la CLFT Militia

Le collectif lyonnais protéiforme de la CLFT Militia – à la fois résidence, webzine & label, prend une place de plus en plus importante dans l’univers techno français contemporain. Avec maintenant à son actif pas moins de six sorties – en vinyles s’il vous plait -, plusieurs lives encensés par le public – closing de Robert Hood et de Shed aux dernières Nuits Sonores -, et de belles collaborations, de Samuli Kemppi à Ben Gibson, la CLFT Milita pourrait être en passe de devenir une grande pontesse de la techno française. Rencontre.

Tout d’abord, si certains ne vous avez pas cernés malgré ma petite introduction à votre propos, comment vous présenteriez-vous en quelques mots ?

#indépendants #anonymes #consciencieux #passionnés #prodigues #généreux #désaxés #irrépressibles #vétilleux #extasiés #infiltrés #téméraires #exigeants #insatiables #clandestins #acharnés #pugnaces #ardents #médidubitatifs #coalisés #nomades #flexibles  #incorruptibles #passeurs #propagandistes #parasomniaques #célibataires #rasésurlescotés

On peut avoir l’impression d’assister à un renouveau de la techno hexagonale et mondiale depuis quelques années, entre l’émergence de collectifs, tels que vous ou encore les parisiens de 75021 ou de SNTWN, et par exemple le Weather Festival, qui en deux éditions seulement s’est imposé comme une référence en matière de techno-music. Cela se ressent-il de l’intérieur ? La scène a-t-elle changée ?

La scène a changé, c’est certain. Et qui plus est en France. Elle s’est redéveloppée, et de manière exponentielle. Il y a quelques années à peine, il fallait être fou (et nous l’étions) pour croire à une telle recrudescence de l’activité techno. Au moins autant que ceux qui s’imaginent que des aliens puissent se cacher dans les sous-sols de l’aéroport de Denver. Nul ne sait ce qu’il se passe sous celui du Bourget, mais nul n’aurait pu non plus s’attendre à y voir réuni tant de monde pour le Weather dernier, c’est vrai.

En tant que membres privilégiés de ce que certains appellent le grand complot, bien sur, nous avons pu constater un net regain de l’attention à l’égard de notre cause. Il y a effectivement, comme nous, nombre de personnes qui s’y rattachent aujourd’hui, prennent leur courage à deux pieds, et osent créer, produire, diffuser, jouer, ou simplement aller danser. La musique, elle, n’a pas tellement évolué. C’est seulement ses contours qui ont été redessinés et affinés.

En parallèle de cela, on voit comme une démocratisation de la techno et de la tech-house avec des artistes ou des labels comme Gesaffelstein et sa troupe ou encore les gars de chez French Fries, qu’en pensez-vous  ?

L’utilisation d’internet, celle du smartphone, de la tablette, du gps, ou du vibromasseur se sont démocratisées. Gesaffelstein, oui, peut-être aussi, depuis qu’il a accepté de porter des costumes Givenchy. Fait-il encore de la techno ? Vulgariser la techno, c’est la nier, et donc faire autre chose. C’est un mouvement qui, même s’il reprend de l’ampleur, reste en marge, et continue de déranger l’opinion publique. Le seul moyen qu’il ait de rentrer dans les mœurs serait de renoncer à son essence même. À l’heure qu’il est, seule une partie restreinte de la population peut se targuer d’y être sensible. Certes oui, les mannequins de la fashion week de Paris déambulent sur du Perc, mais il est peu probable que ce dernier remplace Pittbull lors de la cérémonie d’ouverture du prochain mondial, ou pose en slip en lieu et place de Rihanna en couverture des magazines. Là, en effet, la techno se sera démocratisée. Mais ce n’est bien évidemment pas le sort que nous lui souhaitons.

Caisson mobile.

Caisson mobile – Droits Réservés

Il m’a été donné à lire à votre propos quelques critiques quant à un certain « passéisme » dans votre esthétisme général : sorties en vinyles, d’ailleurs même bientôt en cassettes, photos uniquement argentiques … Que répondez-vous à cela ?

Si nous avons choisi d’utiliser ces supports, c’est avant tout par souci de qualité. Le format digital n’est pas un support. Il ne représente pour nous qu’un outil de diffusion, de promotion, totalement éphémère. Nous souhaitons que notre travail, ainsi que celui des artistes que nous promouvons, puisse laisser des traces, puisse perdurer au-delà de notre courte vie, et même peut-être, puisse se réincarner plus tard. Le progrès ne repose pas que dans l’innovation, c’est un fait dont nous sommes convaincus. À ceux qui – bêtement- nous perçoivent comme des passéistes, nous avons l’habitude de rétorquer que “rétrospectifs” convient mieux à notre démarche. Pour aller de l’avant, il faut prendre du recul car prendre du recul, c’est prendre de l’élan. Ce n’est pas nouveau, et ce n’est ni nous ni Marty McFly qui l’avons inventé.

D’ailleurs oui, vous avez comme projet une sortie sous format cassette, la CLFTTP001, pouvez-vous nous en dire plus ? D’où vous est venue cette motivation plutôt risquée d’utiliser un format – et qui, a contrario du vinyle, n’est plus spécialement populaire ?

Nous sommes prolétaires et sans le sou. Le vinyle coûte très cher, surtout pour les albums. Et nous voulions absolument pouvoir produire de longs formats. C’est donc la principale raison qui nous a fait songer à la cassette comme alternative. Par la suite, on s’est rapidement rendu compte qu’elle comportait bien d’autres avantages que le simple fait d’être bon marché. Sortir un vinyle prend du temps, plusieurs mois, le processus de production est complexe, les usines sont souvent débordées. Graver une cassette c’est enfantin, et très rapide. Nous voulions aussi toucher un autre public. Les vinyles sont essentiellement achetés par des DJ, voués à être joués en clubs, en raves, en milieux festifs. La cassette est plus propice à l’écoute solitaire, à domicile, ou en voiture. Faire le choix de la cassette, c’était aussi du coup s’autoriser l’ouverture d’un catalogue entièrement nouveau, la diffusion d’une techno différente, plus calme, plus expérimentale, ou plus sentimentale. En toute logique, il devrait être plus simple de pouvoir l’écouter. Beaucoup de gens doivent avoir un lecteur cassettes ou un baladeur qui traîne encore quelqu’un part chez eux. Des platines, plus rarement. Nous espérons donc ainsi toucher un public plus large. Enfin, et surtout, a contrario du vinyle, la cassette est un support qui nous est familier, avec lequel nous avons grandi, à travers lequel nous avons découvert la musique, et donc auquel nous nous devions d’être reconnaissants. CLFTTP001, c’est une manière de lui rendre hommage, et de le préserver.

Comment vivez-vous votre rôle d’acteur privilégié de la scène lyonnaise, ville de plus en plus « techno dans l’âme » (les Nuits Sonores, Dawn Records, Haste, Groovedge, etc …) ? Si je puis m’exprimer ainsi, « est-ce une bonne ville pour danser sur du kick » ?

Acteurs, nous le sommes. Privilégiés, à aucun moment, même si effectivement, nous cohabitons cordialement, dans l’échange, le partage, et la bonne humeur, avec le reste de nos comparses. Les Lyonnais ont un faible pour la musique électronique, mais pas que, et pas seulement pour la techno, qui est encore loin de faire l’unanimité. Les programmations des clubs, les bacs des disquaires et les sorties des labels sont souvent très éclectiques. Le son tend à se durcir, indéniablement, et les attentes du public également. Couper les basses et ne pas les remettre assez vite, c’est risquer le blâme et le châtiment. C’est parfois regrettable. La techno ne se limite pas à son kick, mais certes, on y danse plus, et mieux, que sur le pont d’Avignon ; non plus en rond, mais tous en rangs d’oignons.

Pour conclure, pourrions-nous avoir quelques informations quant à vos futurs projets ?

Ce que l’avenir nous réserve, seul le passé nous le dira. Conquérir la FM, noircir des pages, sortir des clubs, changer de décor, s’armer d’un système son… Voici, sans trop en dire, les projets qui nous taraudent actuellement et que nous ne devrions pas tarder à mettre sur de bons rails.

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Droits Réservés

 Nos plus grands remerciements à la CLFT Militia et à Simon Chambon-Andreani. Bonne continuation à eux.

Vous détestez m'aimer, vous aimeriez me détester. Philosophe du dimanche (mais seulement du dimanche), on m'appellera bientôt le Claude Lantier du XXI° siècle. Sinon wallah moi ça va tranquille.

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