LITTÉRATURE

Le classique du mois : Le Rouge et le Noir de Stendhal

Stendhal, né Henri Beyle, publie son roman Le Rouge et le Noir en Novembre 1830. Sous-titré Chronique de 1830, ce livre se veut reflet de la France du XIXème siècle, marquée par des troubles politiques importants suite à la chute du premier Empire en 1814 puis à l’échec de la Restauration en Juillet 1830 lors des Trois Glorieuses. Cette révolution de Juillet est à l’origine de l’avènement de Louis-Philippe, Roi des Français, un événement majeur qui n’est pourtant pas mentionné par Stendhal dans Le Rouge et le Noir.

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Portrait de Stendhal, né Henri Beyle

L’intrigue

Le roman est découpé en deux livres. Le premier s’ouvre sur la description de Verrières, en Franche-Comté, archétype de la petite ville de province. C’est dans ce milieu et cette « atmosphère empestée de petits intérêts d’argent » qu’évolue le héros Julien Sorel durant toute la première partie de l’intrigue. Le personnage principal n’apparaît qu’au chapitre IV. Malmené par ses frères et son père, propriétaires d’une scierie, Julien apparaît comme un jeune garçon de 18 à 19 ans, faible et plus intéressé par les livres que par le travail du bois. Ce portrait animé par une volonté d’ascension sociale place Julien dans un environnement hostile et bien trop étriqué pour son épanouissement. Ainsi, lorsque le maire de Verrières, Monsieur de Rênal décide d’engager le jeune Sorel en tant que précepteur pour ses enfants, il s’agit d’une première opportunité pour le héros d’échapper à sa condition première. Malgré ses réticences à l’idée de devenir simple domestique, Julien se rend chez Monsieur de Rênal et rencontre alors l’épouse du maire, Louise de Rênal. La scène de leur rencontre traduit un véritable coup de foudre entre les deux personnages qui noueront peu à peu une relation amoureuse. La découverte de celle-ci par l’abbé Chélan, le curé de Verrières oblige ensuite Julien à partir pour le séminaire de Besançon où il mènera encore une fois une existence isolée, entouré de camarades qui le méprisent.

La deuxième partie du roman se déroule à Paris où Julien obtient une place auprès du Marquis de la Môle et pénètre ainsi le cercle de la noblesse. Il rencontre alors la deuxième femme qui marquera sa vie, Mathilde de la Môle, la fille du Marquis avec qui il entame une relation confuse et explosive caractérisée par le grand jeu du « Suis-moi, je te fuis. Fuis-moi, je te suis. ». Finalement c’est lorsque Julien est à son apogée sociale et semble avoir enfin acquis une condition, que sa situation est détruite par une lettre de Mme de Rênal au marquis de la Môle.

Tout s’écroule pour Julien qui sera finalement condamné à mort mais semble accéder dans les derniers instants à une certaine grandeur d’âme, la sagesse du condamné.

Julien, une ambition ambiguë

On ne peut s’empêcher de retrouver en Julien des caractéristiques de Stendhal. En effet, le caractère du jeune homme est marqué par un rejet de la figure paternelle, de la religion et de la monarchie que le jeune Henri Beyle développe lui aussi, préférant choisir des pseudonymes plutôt que de porter le nom de son père. L’admiration pour Napoléon Ier est également commune à l’auteur et son personnage. L’empereur est pour Julien le modèle d’une ascension sociale que le jeune homme cherche à reproduire. Cette ambition démesurée du héros est le feu qui le guide tout au long du roman, dans ses choix de carrière mais aussi dans ses décisions amoureuses. Ainsi, saisir la main de Mme de Rênal est pour lui « une bataille » et cette volonté de conquête est plus flagrant encore lorsqu’il se trouve face à Mathilde ; leur relation se fonde sur le refus de s’abaisser face à l’autre. Les réactions des deux jeunes gens sont poussées à l’extrême, théâtralisées notamment dans la scène de la vieille épée où Julien menace Mathilde avec une lame. L’ambition semble en réalité être le seul trait constant dans un caractère marqué par la dualité. En effet, Julien est sans cesse tiraillé entre deux voies, deux choix, deux femmes. Le titre du roman symbolise cette ambiguïté et peut être interprété à différents niveaux. Vraisemblablement, le rouge est une référence à l’habit militaire tandis que le noir rappelle la soutane des prêtres et donc les ordres. Cependant, Le Rouge et le Noir peut également ramener à une opposition entre le feu de la passion et l’austérité de la raison.

Deux femmes, deux amours

Une opposition peut aussi être relevée entre les deux femmes marquant ce roman d’apprentissage : Mme de Rênal et Mathilde de la Môle. Les deux héroïnes s’opposent tout d’abord par leur situation : leur âge, leur situation familiale de mère et d’épouse ou bien de fille, leur condition sociale, la bourgeoisie ou la noblesse, et leur milieu : la province ou Paris. Toutes les deux semblent vouer une véritable passion à Julien et sont prêtes à risques et sacrifices pour celui qu’elles aiment, pourtant les deux aventures du jeune héros sont profondément différentes. Avec Mathilde de la Môle, il s’agit d’un « amour de tête » qui repose sur l’estime croissante que Mathilde porte à Julien. L’orgueil de la jeune Parisienne lui dicte sa conduite ; elle recherche non seulement l’homme mais également l’histoire d’amour qu’elle mérite. Ses débordements romanesques et son admiration pour son ancêtre Boniface de la Môle, condamné à mort, lui permettent de fuir un quotidien ennuyeux et trop facile. Le narrateur prend souvent ses distances avec ce personnages et ses actions qui apparaissent parfois comme les caprices d’une « poupée parisienne ».

A l’inverse, Mme de Rênal est caractérisée par « une grâce naïve, pleine d’innocence et de vivacité » et c’est vers elle que se tourne finalement Julien dans les derniers instants. Cet amour apparaît alors comme épuré et sincère et ajoutent un peu plus à la grandeur finale du héros. La simplicité de la première maîtresse de Julien est un aperçu du bonheur simple qu’aurait pu atteindre le personnage principal mais qui a été entravé par une ambition sans borne.

Quelle morale ?

Le bonheur réside dans la simplicité, serait-ce là le message que tente de nous faire passer Stendhal dans son œuvre ? En effet, les dernières pages du roman laissent une grande place à Fouqué, un « esprit sage », qui s’avère être le seul véritable ami de Julien. Aucune ambition chez cet homme honnête et loyal qui se contente de sa modeste entreprise vente de bois à laquelle il tente d’ailleurs d’associer Julien. Durant tout le récit, d’ailleurs, des intrusions du narrateur semblent juger les choix de Julien et condamner son ambition démesurée en évoquant par exemple « sa petite vanité ». Cependant, un autre message important du roman transparaît dans le discours délivré par Julien face à ses juges. En effet, Julien Sorel devient alors le représentant de « cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société. ». Sans que ce passage constitue un véritable réquisitoire contre la société, Stendhal semble ici prendre implicitement la défense de ces jeunes gens et questionner l’imperméabilité des classes sociales.

Un mélange d’esthétiques

Reste la question du mouvement littéraire. Le roman Le Rouge et le Noir, et plus généralement toute l’œuvre de Stendhal, se situe à une période littéraire dominée par le règne du Romantisme. Le Réalisme n’apparaît qu’un peu plus tard, dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Cependant, la densité des descriptions de Stendhal et la volonté affichée de dépeindre la société provinciale et parisienne de 1830 dans son ensemble sont autant de caractéristiques du mouvement littéraire réaliste. Par ailleurs, Stendhal choisit son sujet à partir d’un fait divers : l’affaire Berthet. Stendhal écrit d’ailleurs : « Un roman : c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin. ». D’un autre côté, l’admiration pour Napoléon véhiculée dans le roman ainsi que le caractère passionné du héros et des autres personnages comme Mathilde de La Môle rapprochent le roman de l’esthétique romantique. Enfin, la forte présence du narrateur, qui peut être expliquée par le fait que Stendhal dictait ses romans, éloigne l’ouvrage du réalisme stricte. Ainsi, nombreux sont ceux qui préfèrent parler de réalisme subjectif. Stendhal cherche bel et bien à retranscrire le réel mais la réalité est perçue à travers le filtre de la conscience des personnages.

Finalement, Le Rouge et le Noir est un incontournable de la littérature française. Ce roman d’apprentissage délivre une peinture de la société française du XIXème siècle souvent critiquée par Stendhal, mais il se place également à la charnière de deux esthétiques littéraires : poussant la description au-delà des Romantiques et conservant une vision déformée de la réalité à travers le regard de personnages uniques et complets.

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