Le Front National a remporté neuf mairies lors des dernières élections municipales. Marine Le Pen et ses troupes ont avancé à mots couverts durant toute la campagne. Mais, en deux mois de gestion municipale, le mince capital de crédibilité acquis a été réduit à néant au gré des scandales.
Amende honorable, mea culpa, excuses, appelez ça comme vous voudrez, mais voilà ce que le Front National s’est évertué à faire durant toute la campagne municipale. Repentance pour la gestion calamiteuse des villes administrées par le parti frontiste dans le passé. Marine Le Pen et ses sbires ont arpenté les plateaux de télévision, de radio et les colonnes de la presse papier pour se voir décerner un brevet en respectabilité portant la mention : « autorisé à gérer une commune » !
Pourtant, le précédent de 1995 n’incitait pas franchement à l’optimisme. La stratégie de l’époque : faire de ces prises de guerre (Orange, Marignane, Toulon et Vitrolles en 1997) de véritables laboratoires du programme du parti. Mais le bilan en a été unanimement décrié. Les Chambres Régionales des Comptes en ont eu de quoi s’arracher les cheveux ! Orange, encore dirigé par Jacques Bompard (qui s’est éloigné depuis du FN) a souvent servi d’exemple pour dénoncer l’incurie du FN aux responsabilités et avait vu sa politique mise en cause sur le fond. Sur la forme, aucun souci : fiscalité stable, endettement zéro. Mais en même temps, quand on n’investit pas, le risque est moins important. Les crédits alloués aux politiques locales ont été taillés à la hache, en particulier dans le domaine de la culture.
Le Front National s’avançait donc prudemment aux Municipales, scrutin qui lui est traditionnellement peu favorable par manque d’implantation locale. Conscient du poids des erreurs passées, mais sûr de sa force et tablant sur la prise de plusieurs municipalités à l’issue du scrutin, le parti des Le Pen a surfé sur un contexte favorable et des sondages positifs.
Une campagne édulcorée…
En étant provocateur, on pourrait dire que le FN l’a joué petit bras ! Marine Le Pen a tracé une ligne volontairement non provocatrice, assurant une dépolitisation et une dédiabolisation des enjeux autour de son parti. En gros, délaisser le discours traditionnel pour se consacrer à des enjeux de politique locale. Le 2 octobre 2013 a marqué le début de la campagne du Front et de la mise en place de cette stratégie : Marine Le Pen déclare ce jour-là que tout journaliste parlant du FN comme d’un parti d’extrême-droite se verra poursuivi en justice.
Pour marquer la cassure avec les bêtises commises en 1995, le FN met en avant de nouvelles têtes : David Rachline, Fabien Engelmann, Cyril Nauth… des jeunes pousses prometteuses du parti d’extrême-droite. Il ne fallait pas renouer avec le ridicule des changements de noms de rues ou des coups de balais dans les rayonnages des bibliothèques. La préférence nationale, marqueur idéologique du FN a été laissée au placard, la direction du parti ayant fini par comprendre que la loi, dans son acceptation actuelle, ne permettrait pas de l’appliquer concrètement.
Le FN a fait campagne sur des enjeux locaux, touchant dans leur quotidien les français. En premier lieu desquels les impôts locaux et leur niveau jugé élevé. De nombreux candidats du Front s’étaient engagés à les faire baisser. Le discours s’est donc policé et s’est adapté à un profil plus gestionnaire, finalement moins éloigné du discours des partis de gouvernement…
… Pour quel résultat ?
Deux mois après, on en est déjà revenu (qu’en partie, soyons honnêtes) aux belles promesses. La façade refaite à neuf s’est fissurée à de multiples occasions et à de nombreux endroits dans l’Hexagone.
D’abord, la cassure est venue d’Hénin-Beaumont. En plein dans le bassin minier nordiste, ravagée par le chômage et la désindustrialisation, la ville a élu dès le premier tour Steeve Briois, un des lieutenants de Le Pen fille, sur fond de corruption de l’ancien maire (PS), Gérard Dalongeville. La ville est devenue la tête de pont du frontisme municipal, la clé de l’édifice visant à crédibiliser le parti : l’attention médiatique s’y est focalisée, tant la victoire du Front était prévisible et tant Briois a labouré le terrain laissé en friche par ses adversaires. À Libération, le nouveau maire avançait des projets désidéologisés : « Une piscine, la réouverture d’une salle de réception, l’éclairage public, ce n’est pas idéologique de toute façon ! ».
Mais au FN, on ne fait rien comme tout le monde. Alors, on fait huer les socialistes en plein conseil municipal, on augmente les dépenses et on réduit la taxe d’habitation de 10 %. Mais ce qui a focalisé l’attention, c’est la suppression du local de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), emblématique des craintes de nombreux observateurs d’une chasse aux sorcières concernant des associations un peu trop politisées au goût du FN.
Dans l’Aisne, à Villers-Cotterêts, Franck Briffaut a décidé de ne pas célébrer la commémoration de l’abolition de l’esclavage qui participe selon lui d’une « démarche d’auto-culpabilisation permanente »…
A Béziers, Robert Ménard a marqué le coup comme il se doit : couvre-feu pour les moins de 13 ans, leur interdisant de circuler seuls dans certains secteurs de la ville entre 23 heures et 6 heures du matin, du 15 juin au 15 septembre. Voilà qui augure d’un mandat des plus sereins !
D’ailleurs, si vous voulez vous plaindre au maire, vous pourrez tomber sur un des deux lieutenants du fondateur (sûrement dans une autre vie…) de Reporters sans Frontières aux parcours ayant parties liées avec ce qui se fait de pire à l’extrême-droite : son directeur de cabinet, André-Yves Beck, ancien de Nouvelle Résistance (un groupuscule nationaliste révolutionnaire se réclamant du fascisme version anticapitaliste) ou Christophe Pacotte, son chef de cabinet, membre du bureau directeur du Bloc Identitaire – une formation politique qui prône entre autres la « remigration » des étrangers vers leur pays d’origine. Sacrée ambiance à la mairie de Béziers !
Une gestion pas forcément bouleversée
Mais au final, un maire FN peut-il gérer une ville autrement qu’un maire tout court ? D’un point de vue législatif, une disposition ayant trait à la préférence nationale ne passera jamais le tribunal administratif, par exemple. Le ridicule est aussi un frein puissant. Il n’est plus question de se faire épingler par les médias pour des mesures abracadabrantesques.
Aussi, l’importance grandissante des intercommunalités limite le pouvoir de nuisance du FN dans les villes qu’il administre. Tout simplement, aucun maire n’a pu accéder à une de ses présidences, voire simplement une vice-présidence, victime d’un tir de barrage des autres élus. Ce qui a fait sortir Robert Ménard de ses gonds, dénonçant un déni de démocratie et promettant en conséquence de faire sortir Béziers de l’agglomération. Mais le reporter avec frontières a oublié un petit détail : juridiquement, pour une ville chef-lieu de canton, il est impossible d’être rattaché à une autre agglomération !
La réalité comptable va aussi faire sauter nombre de promesses de campagne frontistes, en raison de finances dégradées, notamment à Béziers ou à Fréjus. Ainsi, recruter à la mairie pour satisfaire une clientèle sera impossible tout comme augmenter les effectifs de la police municipale, sauf à vouloir aggraver encore plus des situations déjà délicates. Des contraintes législatives, administratives, juridiques et morales qui promettent de limiter le potentiel de nuisances des politiques locales menées dans les municipalités frontistes.