En Algérie, les jeux sont faits. Mais il semblerait que les cartes étaient tirées depuis longtemps, et comme prévu, Abdelaziz Bouteflika a été réélu président de la République algérienne, lors des dernières élections qui se sont déroulées le 17 avril dernier. Avec le taux peu crédible de 81,53 % des voix, il accède à un quatrième mandat.
Rappel historique.
La démocratisation du pays s’est faite progressivement suite à l’accession à l’indépendance du pays en 1962. L’élection du président de la République se fait au suffrage universel direct tous les cinq ans. La première élection à scrutin pluraliste a lieu en 1995. Liamin Zeroual devient président de l’Algérie mais décide de mettre fin à son mandat en 2000. C’est alors qu’une élection anticipée permet à Abdelaziz Bouteflika de remporter les élections avec 74 % des voix, suite au retrait des sept autres candidats qui suspectaient des cas de fraudes. Le projet qu’il souhaite appliquer s’établit alors en trois temps : le retour de la paix à travers l’application de la concorde nationale, la réactivation de l’économie, et le retour de l’Algérie sur la scène internationale. Bouteflika est par la suite réélu en 2004 et en 2009. Si l’on a pu voir le « monarque républicain », pour reprendre l’expression de Maurice Duverger, hésiter quant à une nouvelle candidature, en 2014, il s’est tout de même représenté pour effectuer un quatrième mandat, alors même que l’on sait sa santé fortement affaiblie suite à un accident vasculaire cérébral. Malgré cela, avant l’élection, tous le donnait gagnant. Si de longs efforts ont été effectués pour plus de démocratie en Algérie, il semblerait que certains freins au progrès persistent. Difficile dans ces conditions, pour le peuple algérien de 38 700 000 habitants, d’accorder une pleine confiance en ce scrutin.
Qui vote ? Pour qui ?
L’élection ne s’est pas déroulée sans embûches. Le jour de la présidentielle a donné lieu à des heurts qui ont fait 70 blessés. Les divisions entre les partisans de Bouteflika et les partisans de son principal opposant Ali Benfils créent des tensions. Des voix s’étaient même élevées pour réclamer sa destitution en invoquant l’article 88 de la Constitution, qui prévoit une procédure d’empêchement en cas de maladie grave. Douze mois plus tard, le voilà reparti pour un nouveau mandat de cinq ans. Mais jamais dans l’histoire récente du pays un avant-scrutin n’aura été aussi tendu. Permanences saccagées, meetings annulés ou empêchés, marches en faveur du boycott, manifestations contre le quatrième mandat, dérapages verbaux… Pendant trois semaines, l’Algérie a tremblé. Dès lors, même si tout semblait joué d’avance, la question du pourcentage ayant donné victoire à Bouteflika nous laisse sceptiques. La majorité des bulletins de vote ne semblent pas refléter la majorité de la rue. Mais l’abstention s’est invitée. Le système algérien a du mal à recréer un lien de confiance, et une grande partie des citoyens ne s’est pas rendue aux urnes. C’est l’abstention qui a rassemblé les algériens lors de ce scrutin car pas moins de 11’279’694 citoyens ont boudé les urnes. Les Algériens se méfient-ils du système politique ou bien sont-ils finalement lassés d’être gouvernés par les mêmes dirigeants ? La comparaison des chiffres obtenus par Abdelaziz Bouteflika entre 2009 et 2014 apporte un élément de réponse. Son troisième mandat est appuyé par près de 13 millions d’Algériens (90,24 %) tandis que, cinq années plus tard, le président perd 34 % de son électorat.
Suite aux résultats, les chiffres apparaissent peu clairs et peu fiables, et les soupçons de fraudes sont nombreux. D’un côté, les pro-Bouteflika auraient voté pour la continuité, par peur de l’inconnu, en donnant leur confiance à un homme de 77 ans qui leur semble encore capable de réfléchir afin de prendre les bonnes décisions, à défaut de pouvoir se déplacer. Du côté des partisans de Benfils, on critique l’incapacité du système à se réformer. Mais comme le soulignent les quotidiens algériens El Watan et Liberté, c’est en fait un « scrutin dénué de crédibilité et d’ouverture », « les véritables manœuvres commenceront au lendemain du 17 avril », le scrutin étant en lui-même « dénué d’enjeux réels ». Pourtant, ce n’est pas la volonté citoyenne d’un meilleur lendemain pour l’Algérie qui manque, mais plutôt la capacité à agir et à créer un réel changement par le vote, pour faire progresser un pays qui peine à se réformer.
Un président fantôme ?
Finalement, qui tiendra vraiment les rennes du pouvoir ? Bouteflika, souffrant encore des séquelles d’un AVC subi il y a un an, qui a réduit ses capacités d’élocution et de mobilité, peut-il vraiment gouverner l’Algérie ? Ses apparitions publiques se sont faites très rares ces dernières années, la dernière en date était lors du vote, où le président est apparu en fauteuil roulant. Il n’a fait aucune déclaration. Mais durant toutes ses années au pouvoir, malgré ses problèmes de santé, Abdelaziz Bouteflika a pris des décisions importantes : restructuration des services secrets, mise en œuvre des recommandations de la commission d’enquête sur l’attaque terroriste contre le site gazier de Tiguentourine, poursuite de la libéralisation du secteur audiovisuel, etc… Alors oui, Bouteflika est bien vivant et peut agir. Il peut même réagir aux critiques de son principal opposant, Ali Benfils, en affirmant que ce dernier fait preuve de « terrorisme médiatique ». Bien qu’il soit resté relativement muet durant sa campagne, dont l’organisation a été laissée à sept de ses proches, il semblerait que le président fantôme est bien là, tapis dans l’ombre.
Les défis démocratiques qui attendent le pays.
Le manque de transparence du système politique algérien empêche d’en déceler tous les ressorts, mais il est possible de discerner les jeux de pouvoirs qui s’exercent aujourd’hui, et qui peuvent, en plus des possibles fraudes, remettre en cause la démocratie.
L’entourage du président apparaît déterminant dans ses prises de décision. Mais si certains pensent Bouteflika maître de ses moyens, d’autres le disent manipulé. Amhed Bencherif, ancien colonel, soutien du principal adversaire de Bouteflika, Benfils, a critiqué le fait que le président algérien se représente pour un quatrième mandat. Il dénonce une candidature forcée et critique ouvertement le frère d’Abdelaziz Bouteflika, Saïd. Selon lui, ce dernier est à la tête d’une « mafia politico-financière qui a pris le pouvoir en Algérie depuis la maladie de [son] ami Abdelaziz Bouteflika ». Ce n’est pas la première fois que le frère est pointé du doigt. Il exerce une forte influence sur le président comme en témoigne sa tentative de le convaincre, en 2008, de faire voter une modification de la Constitution pour supprimer la limitation du nombre des mandats présidentiels. Par ailleurs, cela déplaît à une autre sphère d’influence : les militaires. Après l’indépendance, l’armée algérienne a souvent tiré les ficelles des élections depuis les coulisses. C’est elle qui a choisi comme candidat Abdelaziz Bouteflika en 1999. Mais celui-ci a cependant cherché à réduire l’influence toujours prégnante des militaires sur le pouvoir. Il continue d’ailleurs de s’en méfier.
De son côté, Ali Benfils, après les résultats du scrutin, crie à la fraude. Il dénonce, lors d’une conférence de presse « une opération de fraude à grande échelle » et « l’instrumentalisation de l’appareil d’Etat à des fins électoralistes ». Il ajoute que « le 17 avril restera un rendez-vous manqué avec le changement et le renouveau ». L’ancien chef du gouvernement est arrivé en deuxième position avec 12,18 % des voix. Mais il n’en reste pas là et compte bien continuer de défendre son projet de renouveau national, notamment pour les prochaines échéances électorales. « J’utiliserai tous les moyens pacifiques et toutes les voies légales pour que prévale le choix de notre peuple » a-t-il dit, avant d’appeler les Algériens « à faire preuve de patience et à ne céder à aucune provocation ».
En effet, le peuple algérien va devoir être patient, car les travaux à réaliser sont de taille : faire une plus grande place aux jeunes, réduire la durée du service national, améliorer le climat des affaires, construire de nouveaux logements et de routes, créer des emplois, améliorer les conditions de vie, lutter contre la corruption, diminuer le poids de la bureaucratie, décentraliser, s’occuper de l’avènement d’une “deuxième République”, et surtout, garantir de la stabilité du pays. Le président fantôme, nouvellement élu, pour un quatrième tour de piste, devra à nouveau faire ses preuves, entouré de son équipe. Mais cette figure à la tête de l’Algérie ne semble plus refléter les volontés du peuple. L’élection « sans enjeu » nous fait constater l’existence d’un immense fossé entre gouvernants et gouvernés, qui finalement, empêche la démocratie de prospérer.