ART

Murmures d’expressions et d’opinions

Ce mois-ci, à la rédaction art, on s’est intéressés aux points sous tension du globe, à l’émergence ou au maintien de festivals à Athènes ou en Ukraine. À l’explosion du Street Art en Turquie, mais aussi en Syrie. Mais surtout à quelques uns de leurs acteurs, des artistes voyageurs qui grappillent le monde, parfois au péril de leur vie. Bien sûr, le tout est subjectif, trié, épars, et terriblement incomplet. Cependant, voici notre petit tour d’horizon en quelques noms. Comme quoi, l’art et la créativité sont toujours présents, même là où on les attend  le moins.

Du côté des acteurs.

Véritables acteurs d’un engagement créatif à travers le monde, des artistes, en l’occurrence des street artistes, parviennent à retranscrire une partie des évènements auxquels ils assistent. Une sensibilité propre à chacun, un idéal et une vision en font leur singularité.

Détroit, mais avant Tunis en 2011 et la frontière tuniso-libyenne, sont autant d’endroits dans lesquels s’est aventuré Zoo Project. Jeune parisien d’une vingtaine d’années, il a été abattu en juillet d’une balle dans la tête à Détroit, autrefois symbole d’une Amérique qui gagne, mais aujourd’hui celui d’un pays en crise. Dès ses 15 ans, âge auquel il commence le street art, Zoo Project sévit à Paris. Le jeune homme commence par dénoncer la société dans laquelle il vit, mais dont il n’adopte et n’approuve pas les codes. Technologie et politique sont les sujets de prédilection de ses immenses pièces en noir et blanc. Mais en 2011, cela ne lui suffit plus. À 20 ans Bilal Berreni choisit de partir, de changer d’environnement pour un temps. Il voulait “voir une révolution“, et surtout y disséminer ses œuvres. Une manière de dire que “l’art n’est pas en dehors de la vie“, des évènements, comme il l’avait déclaré au Monde le 3 juin 2011.

Quartier Hafisa, Tunis, 2011 // zoo-project.com/tunis/

Quartier Hafisa, Tunis, 2011 // zoo-project.com/tunis/

En mars 2011, à Tunis, il rend hommage à des centaines d’innocents morts durant les révolutions arabes. L’art lui permet alors de véhiculer un message politique fort. Il se charge de rappeler aux mémoires des habitants du monde “des martyrs de la révolution” comme ils les nomment sur son site. Avec respect, et grâce au dialogue, Bilal entame sa démarche, sans s’imposer, mais en écoutant. Le jeune artiste est généreux et veut comprendre ce qu’il se passe. Il est alors plein d’espoir et estime que ses figures “font partie de l’avenir, de cette Tunisie qui se dessine, s’esquisse sous nos yeux”. Dévoué au changement, il considère alors que “leur disparition des mémoires marquerait la fin de l’espoir”. Or, pour qu’un pays se reconstruise, c’est bien une des composantes les plus nécessaires.

Camp "choucha", 2011 / manifestation pacifiste contre le UNHCR // zoo-project.com/choucha/

Camp “choucha”, 2011. Manifestation pacifiste contre le UNHCR // zoo-project.com/choucha/

Toujours en 2011, suite à une autre révolte, Libyenne cette fois, Zoo Project se rend au camp dit “Choucha”, à la frontière Tuniso-libyenne. Pendant un mois, il décide de partager leur quotidien, de nouer un lien. Encore une fois, il écoute et dessine. Là, l’art devient presque vital. Pour les réfugiés de toutes nationalités, “se faire dessiner permet de retrouver une certaine dignité”. L’art, la représentation leur permet d’exister, quand tout a été perdu ou presque. Et c’est Bilal Berreni qui est encore une fois sur place pour donner une voix, un autre fragment de vie à ces oubliés, ces isolés, perdus entre deux pays. Et puis, dans ses démarches son regard s’aiguise, la considération humaine y est au cœur. Il prône alors une “solidarité et une hospitalité” qui n’est pour lui plus en vigueur dans une “Europe barricadée” où l’indifférence se fait norme.

De ces deux pays, le garçon a survécu. Après avoir parcouru l’Europe du Nord, il s’oriente vers les États-Unis, vers Détroit, plus précisément. Ville fantôme, désertée, détruite, Détroit la magnifique ressemble alors à un vaste endroit chaotique (dont la déliquescence est aussi montrée dans Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush). D’après son père, Mourad Berreni, Bilal était “intéressé par ce qui pourrait naître de ce chaos dû aux failles du capitalisme”. Décédé en juillet, il aura fallu plusieurs mois aux autorités américaines pour identifier le corps. Mais ce n’est pas ce que l’on doit retenir. Nous devons simplement réaliser qu’avec lui s’éteint une ferveur et un engagement, aussi bien artistiques que politiques, et un jeune homme prêt à tout pour trouver un sens au monde, ou du moins quelques vérités.


JR
, trentenaire parisien, a un jour décidé de se rendre sur des lieux dont on entend parler, mais dont on ne connaît pas la réalité. Pour  son projet Women Are Heroes, sélectionné par la semaine de la critique en 2010 à Cannes, il a continué cette démarche. Avec celui-ci, il s’est rendu à certains points précis de la planète pour y créer de véritables expositions à ciel ouvert, faites à partir de photos de femmes, recouvrant des bâtiments voire des moyens de transport. Brésil, Kenya, Sierra Leon, Liberia, Inde et Cambodge s’exposent ensuite à Los Angeles, Paris, Bruxelles ou Londres. Le but de son action étant toujours de dépasser les médias, de faire passer une autre image, afin de nous confronter à des femmes faisant face à de grandes difficultés, ayant côtoyé la mort, fragilisées par des conflits successifs. Il utilise alors la photographie, des formats démesurés, et surtout des codes s’apparentant à la publicité, pour marquer les esprits. Comme chez Zoo Project l’échange est primordial. Dans ses zones sous tension une envie émerge, celle de lever le voile sur des habitants ordinaires, souvent tus, mis de côté, pour leur ouvrir un espace. Le sujet est alors l’Homme, et l’art un moyen de partage. Il donne de la visibilité, mais permet aussi de brouiller les pistes.

http://www.jr-art.net/fr/projets/women-are-heroes-bresil // Favela Morro da Providência, Arbre, Lune, Horizontale, Rio de Janeiro, 2008

Favela Morro da Providência, Arbre, Lune, Horizontale, Rio de Janeiro, 2008 //JR-ART.NET

 

Murs

En Syrie, en Ukraine, en Turquie ou au Venezuela éclatent des conflits plus ou moins violents, et surtout plus ou moins médiatisés. Les détails, il nous est difficile de les percevoir en profondeur. Ce que ressentent les habitants encore moins. Mais l’explosion du muralisme et les messages qu’ils passent permettent d’observer un phénomène qui revendique toujours sa liberté d’expression.
À Istanbul (Turquie), durant les manifestations de mai 2013, la place Taksim, siège du regroupement à vu fleurir des oeuvres dans ses alentours. Le projet de destruction du Parc Taksim Gezi, rare espace vert de la ville, est alors l’élément déclencheur d’un mouvement réclamant ses droits (cf Maze Magazine n°20, juillet 2013). La population utilise la culture pour s’alléger : des murs, des escalier ou le sol se colorent. Ces traits éphémères sont de véritables vecteurs d’un mouvement d’indignés, prouvant par leur spontanéité leur capacité à se mobiliser. Néanmoins, les autorités recouvrent au fur et à mesure ses espaces que les manifestants se réapproprient, cherchant à censurer l’opinion.
Au Venezuela le scénario ressemble à celui de la Turquie. Le muralisme apparemment venu d’Amérique Latine n’est pas là par pur esthétisme mais pour transmettre et donner du poids aux revendications. Février 2014, une fois les manifestants partis, laissant le terrain libre  pour quelques heures, les requêtes ne s’évaporent pas et restent pour marquer au fer rouge les villes. Partout où le regard se pose, gouvernements et autorités sont confrontés aux volontés du peuple. Même si celles-ci sont effacées peu à peu, ceci ne les empêche pas de reparaître dès le lendemain. Vous pouvez observer quelques photos ici et ici.
En Syrie, la révolution passe par les murs. C’est en tout cas  de cette manière que les auteurs de creativememory le voient. Sur leurs sites ils compilent les fresques, les writings, les mots, les formules dénonçant les tueries, promouvant la paix … Toutes oscillent entre haine, et amour, réconciliation et rejet total, ‘art nous permettant de voir toute la complexité des sentiments qu’éprouvent les citoyens d’un même pays vis à vis d’un événement de cette ampleur. On peut y lire la confusion de ce qu’ils vivent, leurs craintes et leurs souhaits.

http://www.creativememory.org/?p=46500 // Réfugié ... // 20/06/2013

Réfugié… Le 20 juin 2013 // creativememory.org

L’art permet de déceler un fil qui nous approche des acteurs des manifestations, des révoltes, des guerres. Il ouvre une brèche qui nous permet de comprendre un peu plus, de savoir ce qu’eux en pensent. Et surtout, l’art nous dit ce que les médias oublient. Dans des zones sous tension, peut-être plus qu’ailleurs, c’est un moyen d’expression nécessaire. Il peut même devenir une arme contre ceux qui oppressent, en montrant que des esprits libres demeurent, et que l’Homme ne sera jamais un moyen mais toujours une fin, un sujet, en somme, et l’acteur de sa propre vie.

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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