Alors que les combats prennent fin dans la capitale ukrainienne calcinée, le bilan humain est lourd, et la victoire amère. Quelles raisons ont pu pousser ce pays carrefour entre deux continents, culturellement divisé entre l’Ouest europhile d’un coté, et ses proximités culturelles et linguistiques avec la Russie de l’autre, à sombrer dans le sang et les flammes ?
A l’origine de la crise, se trouve un refus qui ne passe pas. Ce refus c’est celui de la signature des accords de Vilnius avec l’Europe le 21 novembre. L’accord d’association et de libre-échange que lui proposait l’Union Européenne depuis de nombreux mois, auquel la population est en grande majorité favorable. Et pour cause, l’accord est synonyme de perspectives commerciales plus que bienvenues pour cet ancien satellite de l’URSS, dont le déficit s’élève aujourd’hui à 8 %. En contrepartie, l’UE lui réclame un certain nombre de réformes judiciaires et démocratiques, dans un pays fréquemment épinglé par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour acharnement policier, harcèlement systématique d’opposants et corruption. Pour les citoyens ukrainiens, c’est donc une occasion inespérée d’initier un pas de plus vers la démocratie. Mais l’accord est clair, il ne s’agit pas d’un processus d’adhésion à l’UE, mais d’un rapprochement économique avec cinq des anciennes républiques soviétiques : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie et la Biélorussie.
Bons baisers de Moscou
Pour comprendre les raisons de ce refus, il faut remonter à l’été 2013. Le Kremlin qui rêve de son côté d’une grande union eurasienne, a restreint l’importation de certains produits ukrainiens, afin de faire sentir que le divorce avec Moscou aurait des conséquences fâcheuses, et que son amour pour l’Europe est voué à l’échec. Le président Ianoukovitch cède au chantage le 21 novembre 2013. En guise de consolation l’Ukraine se voit offrir un rabais de 30 % sur le gaz le 17 décembre et 15 milliards de dollars de crédit par l’ami Poutine. Car si l’amitié ukrainienne n’a pas de prix, le déficit du pays est bien réel, et l’argent, le bienvenu !
Mais pour les citoyens ukrainiens, c’est le signe que le spectre de l’URSS plane toujours sur le pays. Le 24 novembre, dans toute l’Ukraine, et par-delà les clivages régionaux et linguistiques entre le Sud-Est et le Centre-Ouest, ils sont des dizaines de milliers à descendre dans les rues pour faire valoir leurs aspirations européennes. Une semaine plus tard, ils sont des centaines de milliers à se réunir à Kiev sur la place de l’indépendance, les manifestations sont réprimées avec violence.
Deux lignes de revendications majeures
Cette mobilisation pro-européenne, rapidement baptisée « Euro-révolution », ne met pas longtemps à faire resurgir les fantômes du passé politique ukrainien. En 2004, la « révolution orange » avait permis l’alternance politique. Près d’un mois de contestation des résultats officiels de l’élection présidentielle truquée ont permis d’annuler l’élection de Viktor Ianoukovitch. Mais la victoire est de courte durée pour le candidat de l’opposition europhile Viktor Iouchtchenko. En 2010 c’est à nouveau Viktor Ianoukovitch, soutenu en sous-main par Vladimir Poutine, qui est élu. Il affiche alors des intentions nouvelles de rapprochement avec l’Union Européenne. Ses soutiens originels pro-russe se sentent alors trahis, les europhiles sont sceptiques, spontanéité oblige. Dès le début de l’Euro-révolution apparaissent donc deux lignes de revendications majeures : le rejet du président, et le rejet de l’influence russe par le rapprochement avec l’UE.
Radicalisation de la répression
Le 16 janvier, le gouvernement décide de faire voter de nouvelles lois liberticides. C’en est trop pour les manifestants, sans le savoir le président Ianoukovitch vient de provoquer l’étincelle qui embrasera la place Maidan. Ianoukovitch a beau amender les lois, remanier son gouvernement, la contestation se durcit et compte des manifestants de plus en plus radicaux, dont des groupes paramilitaires. Il refuse toujours d’envisager des élections anticipées.
La manifestation se poursuit et la semaine du 17 février la répression est terrible : près de 80 manifestants trouveront la mort et les blessés se comptent par centaines. La journée du mercredi 19 février est particulièrement meurtrière : 26 morts seront recensés en une journée. Le 21 février, pressé par la France, la Pologne et l’Allemagne, le président Ianoukovitch se voit contraint de signer un accord avec l’opposition. Ce dernier prévoit une élection présidentielle anticipée au plus tard en décembre, la formation d’un gouvernement de coalition et un retour à la constitution de 2004. En outre, l’accord en question prévoit la libération de l’ex-première ministre Ioulia Timochenko, opposante au régime en prison depuis 30 mois.
La nuit tombée alors que les 40 000 opposants réunis place de l’indépendance se recueillent en hommage aux victimes, le commandant d’ “Euro-Maidan” l’un des principaux courants de l’opposition, lance un ultimatum au président Ianoukovitch. Le président est sommé de quitter son poste le lendemain avant 10h, où celui-ci lui sera repris par la force.
Samedi 22 février Ioulia Timochenko est libérée dans la journée, à 16h40 les députés ukrainiens destituent le président Ianoukovitch. Et demain, l’Ukraine à reconstruire.