SOCIÉTÉ

Rencontre avec l’insatiable filmeuse 2.0 : Ina Mihalache (Solange te Parle)

Elle est drôle, intelligente, créative, charmante, intrigante, elle a bercé nos froides journées de janvier avec ses capsules quotidiennes et nous avions beaucoup envie de la rencontrer. Vous l’avez certainement croisée au détour du web sous le nom de “Solange te parle”, puisque depuis plus de deux ans Ina Mihalache de son vrai nom a imposé son petit univers sur Youtube, puis sur France Inter et Le Mouv’. C’est bientôt dans Solange et les vivants, son premier long-métrage, qu’on la redécouvrira, on avait par conséquent un tas de choses à lui demander.

Quand on t’a découverte il y a deux ans, on te connaissait derrière Solange et puis petit à petit les pistes se sont un peu brouillées entre Ina et Solange, alors qui est-ce qui va répondre aujourd’hui aux questions ?

C’est Ina … Qui est Solange !

On est dans un contexte où tu t’es relancée dans les vidéos en janvier étant donné que tu nous as proposé une vidéo par jour dans une sorte de calendrier de l’après. Mais ça fait un an que tu ne nous avais pas proposé de vidéos, pourquoi ?

Oui, j’en avais fait une pour lancer le financement d’ulule (NDLR : en août), mais ça faisait longtemps et j’avais envie de renouer. J’avais moins de temps, j’ai fait la radio, j’ai préparé le long-métrage et … Comment dire … YouTube est un endroit assez particulier. J’ai vraiment envie de l’explorer mais j’avais un peu l’impression de ne pas y trouver mon public, malgré le fait d’être reconnue médiatiquement. J’avais l’impression que mon public éventuel ne connaissait pas YouTube. J’étais un peu frustrée de la quantité de négativité qui en ressortait, de personnes à qui je ne m’adressais pas mais qui se sentaient obligées de commenter mon travail. Ça me prenait beaucoup de temps de faire des vidéos du type de l’abécédaire et j’avais plus trop la disponibilité mentale. J’avais besoin de me recharger d’autre chose, de faire des choses un peu plus gratifiantes.

Tu comptes y revenir un peu plus ?

C’est très étrange, ça serait intéressant pour moi de voir quelle sorte de revenus je pourrais en tirer, parce que là pour l’instant je peux m’acheter un pull en une année, c’est ridicule à côté de ce que font Norman et Cyprien par exemple. Mais oui j’aimerais voir à déjà tester si je peux être régulière. Ça c’est compliqué. C’est pourquoi je me suis instauré ce défi là. Et pourquoi pas voir au printemps par exemple où j’en serai des abonnés, des vues, quelle sorte d’extension je peux en tirer sachant que je vais faire un contenu très différent de tout le reste. Je suis curieuse, c’est un peu expérimental quoi.

Jusque là tu pouvais pas vivre de ça du coup ?

Ah non, sûrement pas, c’était vraiment sur mon temps libre.

En définitive, en un an on t’a vue sur YouTube, sur Twitter, sur Facebook, sur deux podcasts sur France Inter, un sur le Mouv’, t’as écrit ton propre film, tu l’as tourné … Es-tu hyperactive ou insatiable ?

Ah non non, moi j’ai plutôt l’impression que je suis complètement léthargique ! (rires). Je me lasse vite des choses je pense donc j’ai envie de tout tester. J’aimerais bien faire de la musique, j’aimerais bien faire de la danse, j’aimerais bien faire du théâtre, j’aimerais tout essayer, même si c’est un peu mal vu. Donc peut-être insatiable oui.

Et parmi tout ça qu’est-ce que tu as préféré au final ?

Rencontrer les femmes dans « Solange pénètre ta vie intime » (Podcast sur le Mouv’ NDLR), j’ai vraiment trouvé ça fort, parce que j’avais l’impression que je m’engageais et que c’était utile. Ouais je crois que c’est le plus fort que j’aie fait.

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Maintenant, ce qu’on attend avec impatience c’est quand même ton film. Alors la question que tout le monde se pose : où en es-tu dans sa fabrication ?

J’ai vu le 10 janvier une première version aboutie du film. Finalement ce n’est pas moi qui monte le film car je ne pouvais pas, j’ai donc un monteur que je connais très bien à qui j’ai confié le montage. Le tournage a été assez tumultueux pour moi car je ne suis pas une fille de bande et d’équipe, j’ai beaucoup de mal à communiquer. C’étaient des frustrations, des déceptions … Même si l’équipe était hyper compréhensive et douce, j’ai beaucoup souffert, beaucoup pleuré et donc j’en suis ressortie vidée, déprimée et angoissée. Mais là je commence depuis hier à reprendre espoir parce que je pense que c’est un objet sympathique, atypique finalement. Je suis suivie de loin en loin par une production qui ne peut pas encore se déclarer pour des raisons officielles comme le film a été fait en dessous de la légalité actuelle, de détails de conventions collectives. Donc on en est au point où on l’a déposé le 23 janvier à une commission d’aide à la post-production et on espère obtenir des sous pour le terminer de la plus belle façon qui soit en terme de mix, d’étalonnage, de post-production, d’infographie, de générique et d’animation éventuellement. Le but c’est d’ensuite pouvoir le proposer en festival. Évidemment je vise un peu des sections parallèles de Cannes, avec beaucoup d’ambition, mais on verra. Sinon il y a Locarno, Toronto, Venise, il y en a d’autres. Je pense que pour un film comme celui-là le distributeur se trouve en festival, même s’il y a d’autres propositions dans l’air qui ne sont pas encore très sérieuses. Si on n’a pas cette aide ça sera plus compliqué mais on n’est pas à ça près. En visant les festivals du printemps, de l’été et du début d’automne, on peut espérer une sortie à l’automne 2014 ! Mais c’est un film qui s’est fait vite, j’ai envie qu’il sorte vite.

Tu penses qu’on pourra le voir en province ou ce sera quelque chose d’assez “parisien” ?

Moi j’aimerais bien organiser quelque chose qui se fait souvent avec des films fragiles, il y a moins de copies mais elles circulent. En plus c’est un film étonnamment assez grand public, ça reste un film good-movie, assez drôle, léger, court (d’environ 1h10). Je pense qu’il y a un potentiel de vie sur le long terme même s’il est en très peu de copies.

Ce ne sera pas gênant pour des gens qui ne connaissent pas forcément Solange et son personnage ?

Non, en fait le film est une préquelle de Solange te parle. On voit un peu ce qu’il se passe avant et ça m’amuse beaucoup de penser que des gens qui ne connaissent pas Solange verront le film puis découvriront les vidéos en ligne, comme s’il y avait déjà eu un univers avant.

Au moment  de l’écriture, tu as procédé un peu pareil qu’avec tes vidéos ? Tu as beaucoup écrit ou tu as cherché l’improvisation ?

Dans mes vidéos je n’écris pas effectivement et là j’ai très peu écrit aussi. C’est à dire que j’ai un peu écrit au début car le film devait être produit de façon un peu plus traditionnelle et que mes productrices m’avaient demandé un séquencier d’une trentaine de pages. Quand elles l’ont lu c’était très dur, elles ont dit que c’était trop barré, que « soit il fallait faire 90 pages, soit un court métrage ». Mais ni l’un ni l’autre ne me plaisait, elle m’ont donc dit « dans ce cas-là on t’appuie, tu le fais chez toi, on bricole, sans argent, personne ne sera payé et on remettra le film dans la légalité ». Du coup, ce que j’ai fait c’est que j’ai écrit 4 pages en tout. Comme le film est une succession de rencontres, j’ai fait par personnages et par décor … Généralement il y a trois lignes. On faisait avec ça, tout le monde était décontenancé, mais en même temps c’était excitant, tout le monde a bien voulu tenter ça et je l’ai vécu comme je voulais. Et finalement … ça m’a peut être donné envie d’écrire pour la suite.

Au moment de la production tu as fait appel au crowdfunding. L’engagement a été assez important, pourquoi ce choix et est-ce qu’en choisissant cette option tu pensais que les gens se mobiliseraient à ce point ?

Non, j’étais surprise, très surprise. J’osais pas choisir ça, mais mon autour de moi on m’a dit « n’hésite pas, fais-le ! ». C’est ce qui m’a décidée même si j’étais mal à l’aise par rapport à ça au départ …

Pendant le tournage tu as été jusqu’au Québec grâce à ça. Est ce que ça te tenait à cœur de faire appel à tes origines dans ce film ?

Solange te parle est quand même en bonne partie autobiographique, j’avais besoin d’avoir cette touche et pour avoir vu le montage avec ces nouvelles séquences, ça apporte vraiment tout, je suis contente qu’il y ait ces paysages, je suis contente qu’il y ait mes parents. Même avoir tourné avec mes parents c’est drôle. Ouais c’était important, je ne sais pas comment dire ça … Ça apporte une profondeur.

Au moment du dérushage, en tant qu’éternelle insatisfaite, étais-tu satisfaite ?

J’ai très peu dérushé en fait. Chaque soir le chef opérateur m’envoyait des captures étalonnées. Alors le film est magnifique parce que j’ai un très bon chef op, les images sont très très belles. Mais dérusher ça m’était très pénible. Au départ je croyais que j’aurais le temps de dérusher chaque soir mais en fait ce n’était pas possible parce que j’étais trop angoissée. Donc je ne l’ai pas fait. En plus j’aime bien monter au fur et à mesure donc je pensais que je pourrais le faire mais j’ai été vite submergée parce qu’on tourne beaucoup, c’est de l’impro. Il y a un super preneur de son, le son est magnifique, je me retrouvais avec 10 pistes de son, je ne savais pas laquelle écouter, enfin j’étais complètement perdue. En plus je voyais rien, je ne voyais que mon expérience terrible du tournage, donc j’avais besoin de prendre du recul, de le passer à quelqu’un qui avait un œil plus frais.

Justement par rapport à ça, c’est un peu surprenant d’imaginer que tu n’aies pas décidé de le monter …

Je l’ai confié à quelqu’un qui a un plus grand sens de la narration que moi, parce que c’est vraiment un de mes défauts. Moi je suis plutôt dans l’abstraction, le conceptualisme, les fragments. Et je pense que là, vu la façon dont on a tourné, vu le peu de choses que j’ai écrit, il y avait besoin de quelqu’un qui puisse en faire un objet « spectateur-friendly » et j’étais pas du tout la personne pour ça. Même en termes d’expérience de montage, sur cette durée là, je n’en ai pas, je n’ai jamais monté quelque chose d’aussi long.

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Pour s’intéresser un peu plus à toi … Quand on te demande quel est ton métier par exemple, tu réponds quoi ?

J’aime bien filmeuse ! C’est Alain Cavalier qui disait ça. Filmeuse c’est bien. Après, c’est souvent plusieurs choses : vidéaste, actrice, auteure, réalisatrice … je sais pas … artiste ? Oh là là …

Par rapport à Internet, tu es vraiment inscrite dans la web-culture parce qu’on te retrouve un peu partout, tu sembles connaître les rouages de l’Internet pour les utiliser à ton avantage … Est-ce que tu te reconnais derrière cette étiquette de personne qui vient de l’Internet ? Est-ce que tu n’aimerais pas t’en affranchir parfois ?

J’ai l’impression que je m’affranchis complètement parce que ce que je fais, c’est pas un concept classique de ce qui se fait sur Internet. Et puis j’ai été reçue très naturellement par des radios, des télés, des productions, j’ai pas besoin de m’en affranchir. Et je suis vraiment reconnaissante d’être née là parce que c’était vraiment le seul endroit où je pouvais percer. Je n’avais vraiment aucune autre faculté, c’était vraiment la seule solution. Quant à la web-culture, c’est ce que je te disais tout à l’heure. A la fois j’ai l’impression que je suis très dans l’Internet, mais que je ne touche pas non plus tellement les gens d’Internet.

Il y a autre chose qu’on découvre petit à petit, c’est l’extrême sensibilité d’Ina/Solange. Avec cette notoriété qui grandit, tu gères ça comment, les remarques désobligeantes par exemple ?

Là j’essaye de plus regarder. Surtout ce mois-ci. Ça me fait pas du bien, je suis très sensible. Même s’il en ressort du bon, je suis pas sûre que sur le bon réussisse à compenser le mauvais. Et le problème quand on commence à lire les choses c’est que oui, le mauvais sort de nulle part, et t’attaque et là tu fais aaaargh, et ça y est, t’es par terre, tu dois mettre deux jours à te remobiliser. J’ai pas ce temps-là, c’est trop dur. Peut-être que j’essaye de m’endurcir, on va voir.

Est-ce que l’asociabilité du personnage de Solange qui ne sort pas de son appartement par exemple, c’est une sorte d’expression, de traduction, du rapport que tu entretiens toi avec les autres ?

Oui. Mais pas tellement difficile dans le sens où je pense que c’est aussi un choix, ce n’est pas que le subi. J’ai fait un guest, je suis sortie dans mes vidéos de ce moi-ci, je suis donc pas contre l’idée même si oui, l’intériorité fait parti de mon univers.

Pour en revenir à ce qu’on disait sur le tournage, on sait que c’est un moment où tu as dû t’imposer devant d’autres gens, est-ce que tu recommencerais facilement ? Comment aborderais-tu les choses si c’était à refaire ?

C’est bizarre parce que le film c’est une industrie. Tout dépend de l’argent. Je n’aurais pas envie de refaire un film financé par crowdfunding, ça c’est sûr. Donc ça voudrait dire que l’argent viendrait d’ailleurs et l’origine de cet argent déterminerait mon rapport au projet. Peut être que j’aimerais essayer de ne pas jouer dedans, de mettre en scène quelque chose d’extérieur. Je ne serais pas contre faire une adaptation d’une ouvre littéraire. J’aimerais bien je crois, ça m’amuserait. J’écrirais sans doute plus, j’aimerais bien écrire avec quelqu’un. Écrire toute seule c’est trop dur. Le problème c’est que le cinéma c’est long et que j’aime bien faire les choses vite parce que ça me lasse. Donc consacrer trois ans à un film … Devoir convaincre des gens, écrire des dossiers, c’est compliqué … Là après ce film j’aurais plus envie de faire un spectacle tu vois. Vivre un truc différent.

Quelques conseil de Solange pour se “solangifier” :

Livre : Intérieur de Thomas Clerc. 400 pages où il décrit son appartement, sa salle de bain, sa chambre, sa cuisine. C’est vraiment Solangien !

Musique : Les filles du groupe Orties. Je ne suis pas d’accord avec tout l’emballage mais je trouve que c’est bien qu’elles existent.

Film : Dernièrement j’ai beaucoup aimé Mes séances de lutte de Jacques Doillon mais il n’est pas resté longtemps au cinéma … Sinon, j’ai très envie d’aller voir Nymphomaniac.

5 questions tac-au-tac à Solange spécial « dodo » :

Avant de dormir : miam-ô-fruit ou colin-risotto picard ?

Colin !

Dodo nue ou en pyjama ?

Nue !

Dodo avec un homme viril ou un chat ?

Ah non, avec un coussin, je ne veux pas de poils ! (rires)

Dodo dans les toilettes ou dodo dans une baignoire ?

Toilettes !

Dodo France Inter ou Dodo le Mouv’ ?

Le Mouv’ !

(Interview Maze exclusive, réalisée le 11 janvier 2014)

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Co-créateur et rédacteur en chef de MazeMag, musicocinéphile. Animateur radio à ses heures perdues.

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