LITTÉRATURE

Le classique du mois : L’Orestie d’Eschyle

Ce mois-ci, un classique très ancien. Il s’agit d’une pièce de théâtre grecque et pas des moindres : c’est la seule trilogie tragique qui nous soit parvenue intacte, écrite par Eschyle, un des plus célèbres dramaturges grecs ; je vous présente l’Orestie.

Elle fut représentée pour la première fois en 458 avant J-C à l’occasion des Dionysies, ces fêtes annuelles en l’honneur de Dionysos, dieu du vin et des arts, qui donnaient lieu à des concours de théâtre. Durant ces fêtes très importantes et animées, chaque auteur devait présenter trois tragédies et un drame satirique en une journée. Les pièces étaient jouées uniquement par des hommes, qui portaient des masques spécifiques. Outre les acteurs, une autre entité était présente dans chaque pièce : le chœur. Personnage collectif constitué d’hommes, il chantait en alternance avec les tirades des personnages et permettait d’accroître l’intensité tragique des pièces. Cet élément manque évidemment au texte seul, mais la complexité et la fièvre de cette œuvre antique suffisent à nous faire ressentir ce qu’éprouvent les différents personnages. Ce qui se déroule sous nos yeux est une partie des terribles événements qui ont eu lieu au sein de la famille des Atrides, célèbre pour son histoire sanglante. Entre crimes, vengeance et expiation, différentes entités s’affrontent au nom de la justice.

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C’est en fait une trilogie (Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides) où sont montrés les trois principaux actes qui closent la succession de malheurs de ces descendants de Tantale. De ce premier supplicié on retient l’expression « supplice de Tantale » : en effet, en guise de punition pour avoir gravement offensé les dieux, il fut condamné à ne pouvoir étancher sa soif ou se nourrir pour l’éternité, enfermé dans les enfers entre une source pure et des arbres couverts de fruits.

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L’intrigue est très complexe puisque tout est déterminé par différentes histoires de vengeances qui s’entrecroisent. Mais surtout, une fois l’intrigue exposée, les événements s’enchaînent très vite et cela permet de conserver l’intensité croissante de la tension jusqu’à l’acte tant redouté : le meurtre. Dans l’Odyssée, Ulysse médite longtemps sa vengeance, élabore des plans, prend le temps de planifier son crime. Dans l’Orestie, les personnages ont déjà réfléchi, les longues tirades servent à nous en apprendre plus sur les raisons de leurs actes, ce qui suffit à accroître notre impatience.

Il est difficile de rendre compte du déchaînement de violence qui apparaît démesuré sans expliquer d’abord l’origine de la malédiction qui pèse sur les Atrides. Commençons donc par un peu d’histoire mythologique. Après Tantale vinrent Atrée et Thyeste, deux frères qui devaient être départagés honorablement pour l’accession au trône d’Argos. Cependant, Thyeste tricha et séduit la femme de son frère, et fut contraint par Zeus à abdiquer. Atrée l’exila, puis, prétextant une réconciliation, l’invita à un banquet. Ce que Thyeste ignorait, c’était qu’il mangeait ses propres enfants, que son frère avait tués. Lorsqu’il s’en aperçut, il maudit la famille d’Atrée. Ce fut, dit-on, l’origine de la série de malheurs qui s’abattit ensuite sur celle-ci.

Agamemnon en subit le premier les effets : il devait partir pour Troie afin de venger l’honneur de son frère (Ménélas était le mari d’Hélène, qui causa la guerre en s’enfuyant avec Paris, le fils de Priam). Cependant, des vents violents empêchaient sa flotte de quitter l’île. Pour apaiser les dieux et les rendre favorables au départ, et en particulier Artémis, déesse chasseresse qu’Agamemnon avait offensé, il fallait un important et terrible sacrifice. Il dût sacrifier sa propre fille, Iphigénie. Cet infanticide lui permit de partir et d’apporter la victoire à son frère, mais il en paiera les conséquences à son retour. C’est à ce moment précis que débute l’Orestie.

Cette pièce se composant de trois grandes parties comportant chacune une action, nous allons les résumer séparément :

Agamemnon : Cette partie porte le nom du célèbre héros et roi grec qui apporta son soutien à son frère Ménélas dans la guerre de Troie. La pièce commence après celle-ci, lors du retour d’Agamemnon à Argos, sa patrie. Il n’apparaît pas immédiatement puisqu’on assiste à un monologue de sa femme Clytemnestre remplie de haine à son égard. Elle a pour sombre dessein de le tuer pour se venger du meurtre de leur fille Iphigénie. Il revient donc, triomphant, avec un trophée : Cassandre, la fille du roi Priam. Celle-ci a une vision et prédit leur destin funeste avec force cris et lamentations, échangeant avec le chœur constitué de villageois impuissants. Appelée, elle se soumet à son destin et entre dans la demeure du roi, où elle et Agamemnon se font sournoisement assassiner par Clytemnestre et son amant, Egisthe.

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Les Choéphores se déroule quelques années plus tard, alors qu’Egisthe et Clytemnestre règnent sur Argos. Une procession de femmes en deuil, les choéphores, vont honorer la tombe d’Agamemnon sur ordre de la reine qui a fait un rêve inquiétant. Electre, sa fille, se lamente avec elles, et implore les dieux de lui envoyer son frère Oreste pour venger leur père. Celui-ci, absent au moment du meurtre, est le seul à pouvoir laver l’honneur de la famille, puisqu’il est le fils. Et il doit le faire, même si cela consiste à tuer sa propre mère. A peine adulte, il est envoyé par Apollon pour effectuer son devoir et rencontre Electre. Elle va l’assister et l’aider à pénétrer dans la demeure royale. Oreste tuera Egisthe puis sa mère, mais soudain il a des visions : d’effroyables créatures le tourmentent : ce sont les Erynnies, envoyées par Clytemnestre à l’agonie. Elles poursuivent les matricides et jurent la perte de ceux-ci. Affolé, il s’enfuit.

Oreste poursuivi par les furies (1862) W.A. Bouguereau

Dans Les Euménides, on assiste au périple d’Egisthe, misérable et rendu presque fou par les Erynnies. Il s’est rendu à Delphes pour implorer Apollon qui lui conseille de chercher l’aide d’Athéna à son temple à Athènes. Celle-ci se dit incapable de décider et de choisir entre les deux camps. Elle forme donc un tribunal avec les citoyens à proximité : elle crée l’Aréopage. Le résumé se termine ici, pour conserver le peu de suspense qui reste. Car ce n’est pas lui qui prime dans les tragédies grecques, mais la pitié et l’effroi qu’elles nous inspirent, ainsi que l’enseignement qu’on en retire. Celle-ci a eu comme d’autres un rôle politique. Elle montre la création de cette institution politique très importante de la cité à cette époque, où siégeaient les aristocrates : l’Aréopage. Son pouvoir est restreint progressivement par la montée de la démocratie au moment où est représentée cette pièce, qui gagne le concours.

Le mythe de cette famille maudite a aussi inspiré des dramaturges tels que Sophocle et Euripide, et bien plus tard Leconte de Lisle, puis Jean-Paul Sartre pour Les Mouches, qui raconte l’arrivée d’Oreste dans sa patrie qui lui est étrangère. Cette tragédie m’a laissé une forte impression ; elle traduisait parfaitement ce sentiment de devoir et d’honneur mêlés, qui pousse ici aux plus atroces des crimes. Tuer sa fille, son époux, ses neveux, sa mère, tous ces actes effrayants dont le nom porte le suffixe « -icide », porteur de mort. Car c’est la mort qui nous enserre ici, présente de si nombreuses fois, mais sans en devenir banale et froide. Ici, pas de passion, d’amour, de haine, de questions d’argent. Uniquement la vengeance, le devoir, justes mais tâchés de sang, de cet aspect putride et morbide qui ressort parfaitement dans Les Mouches.

A lire, donc. Cette pièce est courte, compréhensible une fois la présentation de la malédiction familiale effectuée, et surtout elle n’a pas changé. Même si on se fait de nos jours une image bien fade de l’honneur, il a longtemps été au fondement de notre société et celle-ci en garde de nombreuses traces. C’est ce qui permet d’apprécier à sa juste valeur ce monument de la littérature.

adaptation film canalblog.fr

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Aime la culture, TOUTE la culture, et l'anonymat. Pas facile d'en faire une biographie, dans ce cas. Rédactrice et Secrétaire de Rédaction pour Maze. Bonne lecture !

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