SOCIÉTÉ

Ukraine : la contestation en marche

Depuis bientôt trois semaines, les manifestants battent le pavé, s’opposant au gouvernement de Viktor Ianoukovitch. S’y mêlent la dénonciation de la politique nationale et le rapprochement opéré ces derniers jours en direction de la Russie.

Décembre aura été marqué en Ukraine par les imposants cortèges s’opposant au pouvoir de Viktor Ianoukovitch. Des manifestations qui auront rassemblé sur la place de l’Indépendance à Kiev plusieurs centaines de milliers de personnes. La répression a été sévère, sans pour autant causer de victimes, contre ce qui a été qualifié par le Premier Ministre, Mykola Azarov, de « coup d’Etat ». Retour sur ce mois de vives tensions à l’Est.

Pourquoi des manifestations ?

Elles se sont déclenchées le 21 Novembre dernier, survenant après un accord dont la signature a capoté. En effet, le 28 Novembre, lors d’un sommet prévu à Vilnius, l’ex-République soviétique et l’Union Européenne (UE) devaient signer un accord de coopération, permettant un rapprochement. Cette volte-face du pouvoir concernant un texte qui était en négociation depuis près de cinq ans a eu le don d’irriter une partie de la population, qui a ressenti un sentiment de trahison d’une des promesses majeures du président Ianoukovitch.

Des manifestants, notamment des étudiants pour qui l’intégration européenne est l’avenir de l’Ukraine, sont alors descendus dans la rue pour occuper la place de l’Indépendance, haut lieu de la dernière grande contestation dans le pays : la révolution orange de 2004. Ce retournement de veste du pouvoir a servi d’étincelle à un profond rejet du pouvoir en place, accusé notamment de corruption et d’incurie dans la gestion du pays, qui est en difficulté économiquement parlant.

Qui sont les manifestants ?

Le mouvement – et c’est devenu habituel depuis le printemps arabe – a émergé à l’initiative d’étudiants, sous le nom d’EuroMaidan, qui sert aussi de hashtag pour catalyser les mots d’ordre de mobilisation sur Twitter. Des jeunes qui n’ont pas connu le communisme et qui, en 2004, étaient trop petits pour manifester.

S’y sont joints d’ex-Oranges, ayant déjà manifesté contre le pouvoir de Viktor Ianoukovitch. En 2004, c’était les conditions du scrutin qui faisaient l’objet de la contestation, ce qui avait débouché quelques semaines plus tard sur l’organisation d’une nouvelle élection, qui avait éjecté Ianoukovitch du pouvoir. Aujourd’hui, le mouvement a vécu. A l’épreuve du pouvoir, il n’a pas procédé à la « chasse aux brigands » évoquée et s’est laissé miner par les querelles internes et les ambitions personnelles. Ce qui fait que cette nouvelle contestation ne s’organise plus autour d’un leader comme avait pu l’être Ioulia Timochenko en 2004, mais autour d’une idée : voir l’Ukraine au sein de l’Europe.

Politiquement parlant, l’opposition est tout ce qu’il y a de plus hétéroclite, ce qui explique en partie le manque de ligne directrice du mouvement. Leur seul point commun, c’est la même détestation pour le puissant parti des Régions du Président Ianoukovitch. L’opposant le plus en vue est l’ex-boxeur Vitaly Klitschko, chef du parti libéral Oudar qui est respecté pour ses succès sportifs et pour son honnêteté, même si l’homme souffre d’un certain manque de charisme. On y trouve aussi le parti « La Patrie », ayant une certaine proximité avec la Révolution orange et qui s’en veut le continuateur, ainsi que le parti nationaliste Svoboda (« Liberté »), connu par le passé pour ses dérapages antisémites, qui a tenté de lisser son image controversée pour pouvoir s’insérer dans les rangs de la contestation – surtout il a d’abord changé son nom puisqu’il se nommait jusqu’en 2004 Parti National-Socialiste Ukrainien !

Quelle est l’influence de la Russie ?

En creux, c’est l’intervention du président Vladimir Poutine qui a fait échouer l’accord entre l’Ukraine et l’UE. Un accord qu’il jugeait comme une trahison, envers une Russie qui constitue le principal partenaire commercial de l’Ukraine. Finalement, le 17 Décembre dernier, un accord a été signé avec la Russie, incluant notamment un prêt de 15 milliards de dollars (11 milliards d’euros) par le biais de rachat de titres de dette ukrainiens. Car il est là le nerf de la guerre pour l’Ukraine : le pays est étranglé par sa situation économique. L’État est au bord de la faillite et la récession de l’économie est à l’ordre du jour depuis près d’un an et demi.

Ce sont donc des motifs économiques qui semblent avoir justifié le demi-tour du pouvoir ukrainien. La peur de mesures de rétorsion de la part de la Russie qui engloutit 30 % des exportations du pays, a sûrement dû peser lourd dans la balance. Ce à quoi l’opposition au pouvoir de Viktor Ianoukovitch répond, qu’avec cette décision, c’est la vente du pays à la Russie !

Dans tous les cas, c’est une victoire diplomatique d’ampleur pour Vladimir Poutine. Cela conforte les projets du maître du Kremlin de former une union eurasienne qui compte déjà au rang de ses membres le Kazakhstan et la Biélorussie, se rapprochant à s’y méprendre de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) d’antan. Pourtant, le Président Ianoukovitch a réfuté toute volonté d’intégrer un tel accord de libre-échange, ce qui semble légitimement difficile à croire pour ses opposants.

Une population tiraillée par l’influence de ces deux encombrants voisins.

La division est en effet latente entre pro-russes et pro-européens. Elle constitue une ligne de fracture dans l’échiquier politique ukrainien. C’est l’opposition de deux modes de vie, de deux régions du pays, entre sa frange occidentale et sa frange orientale.

C’est aussi l’opposition entre les urbains et les ruraux : entre une population des villes plus jeune, appartenant à la classe moyenne et ayant un mode de vie aux standards européens, et une population rurale plus âgée, où les principaux débouchés de la paysannerie et de l’industrie se trouvent à l’Est, voyant dès lors les réformes pour respecter les normes du libre-marché européen comme autant de carcans.

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