ART

“La vie pleinement vécue” au théâtre : Bonlieu

Bonlieu Scène nationale renouvelle son ancrage dans un territoire transfrontalier, dépassant les frontières culturelles. PACT, pôle artistique et culturel transfrontalier, projet européen, bénéficiaire du FEDER (Fonds européen de développement régional) avec le programme INTERREG IV A France‐Suisse, rapproche un peu plus Annecy et Genève. En liant Bonlieu Scène nationale avec La Bâtie ‐ Festival de Genève, et Saint‐Gervais Genève Le Théâtre ‐ associé avec l’Usine et le Théâtre du Loup à Genève, PACT permet de favoriser les productions communes, en créant un véritable pôle transfrontalier de création, et faciliter la diffusion des spectacles et des artistes entre Annecy et Genève.

Trois pièces sont présentés au théâtre des haras de Bonlieu à Annecy : le mardi 14 janvier Quantum de Gilles Jobin, le mercredi 15 janvier ce sera 7 minutes de terreur de Yan Duyvendak et Nicoles Borgeat et, le vendredi 17 janvier, La maison d’Antan d’Oscar Gomez Mata.

Quantum est un spectacle chorégraphié mis en action par Gilles Jobin. Au sujet des origines de la pièce, à la résident Collide-Cern, il annonce : « Quand je suis arrivé au CERN pour la première fois, l’endroit et l’immensité même du sujet, la physique des particules, m’ont instantanément fasciné ». L’art veut allier la danse et la physique dans une union immatérielle avec la technique des déplacements des corps dans l’espace. Les corps de matière deviennent antimatière afin de devenir corps agissant dans l’espace, avant de se confronter à d’autres corps en lévitation sur la scène où, comme par magie, dans un faisceau de lumière, ils redeviennent indescriptiblement chair. C’est l’Inconnu qu’il nous est demandé à nous, public, d’observer, pour essayer d’en capter l’infinité. C’est l’invisible qui se donne en forme dans les mouvements des danseurs et de la lumière, de l’installation luminocinétique. C’est la lumière qui à elle seule donne forme à l’informe, rend sensible l’inconnu, rend visible l’invisible, d’après la fameuse formule de Paul Klee.

Ce qui apparaît dans la valse des corps et du mouvement, c’est la nuit, et son étrangeté ne vient pas seulement de quelque chose d’invisible qui se ferait voir à l’abri des ténèbres ; l’invisible est alors ce que l’on ne peut s’empêcher de voir, incessant, qui se montre continuellement dans les mouvement infini des danseurs et des vibrations lumineuses. C’est le théâtre en lui-même qui se met à chanter en accompagnant les mouvements des corps. Maurice Blanchot au sujet des œuvres d’arts et de la matière écrivait dans L’espace littéraire :« Mais ce surgissement compact, dans cette présence de la « matière » en elle-même, ce n’est pas seulement la matière propre à telle forme d’art dont l’affirmation est pressentie : ce n’est pas la pierre seule et le marbre seulement que le temple d’Eupalinos évoque, ni la terre sur laquelle il s’édifie, mais, par la puissance de l’ébranlement, le jour aussi est plus jour à nos yeux, et la mer qu’il domine est plus proche d’elle-même, la nuit plus proche de la nuit. Tels sont, dit Valéry, les édifices qui « chantent ». »

Vk00TQUdj3da9k9M806CxmvwZ7eXaTfXpJAGxPJHx0A

7 minutes de terreur, de Yan Duyvendak et Nicoles Borgeat, revient sur le récent événement scientifique de la NASA, à savoir l’atterrissage de la navette Curiosity sur la planète Mars. « Il aura fallu 7 minutes à la navette Curiosity pour se poser sur Mars. 7 minutes que les scientifiques de la NASA ont appelées les « 7 minutes de terreur ». Depuis le 6 août 2012, Curiosity avance dans un univers vierge de toute trace humaine, elle twitte et poste sur Facebook ses découvertes au reste du monde. « Je vais bien », nous dit-elle. Ce sont ces 7 minutes de suspens qui tiennent la pièce. Le théâtre entier se retrouve dans la pleine suspension de l’attente, l’attente d’une voix robotique de métal qui s’adressera bientôt aux homme pour leur dire « je vais bien ». Elle se trouve à des millions de kilomètres de la Terre et pourtant elle demeure acteur, présence invisible dans le suspens infini de l’espace et de l’espace scénique : deux lieux de tous les possibles par définition, deux lieux infinis. C’est le public lui-même qui se retrouve dans cette immobilisation tranquille et pourtant empli de ce suspense de pleine stupeur dans un silence sidéral. Ce sont ces 7 minutes qui sont revécues et « déployées pour interroger les théâtralités du monde, la mise en jeu de l’intime, pour faire surgir ce « je » face à ce « elle » de métal ». Il est maintenant certain que l’enjeu de la pièce est le surgissement d’une intimité, d’une vibrance mouvante, d’un « je » qui s’adresse à un autre « je » dans un échange lyrique qui s’ouvrira bientôt à l’universel du théâtre du monde. Nous sommes dans un monde, dans un théâtre de voix plurielles suspendues dans l’attente spatiale d’une voix métallique qui viendra du ciel, comme voix céleste.

pcah23QZ5rW4-32uS_y1OKHvBnAM9OKjpdZ_HtXoHiU

Enfin, La maison d’antan d’Oscar Gomez Mata, est une pièce pleine d’émotion et pleine de vie. « Provocateur, agitateur, génial trublion de la scène suisse, Oscar Gómez Mata a 50 ans et s’interroge sur la transmission. Il jette, comme une pierre à l’eau, l’histoire de Jack, jeune héros de Stevenson qui veut libérer son peuple de ses chaînes ». Le théâtre se transforme en le lieu de l’altérité par excellence, des relations entre les corps scénique et le corps public. C’est la vie qui s’écoule devant nos yeux dans ces dispositifs festifs que sont le théâtre et le monde, ce dernier étant lui-même la scène des opérations humaines et de la vie. Le théâtre devient le lieu où le public passif des spectateurs se transforme en son ultime opposé ; le corps agissant d’un peuple « mettant en acte son principe vital » (Jacques Rancière, Politique de la littérature). C’est la jeunesse qui redirige le monde. Paradoxalement, c’est la vie dans sa toute précocité qui trouve le sens de sa suite en s’engageant dans une révolution pour les peuples. C’est ainsi que La maison d’antan s’attache à la vie, choisit la vie comme lieu de la représentation. Tel Albert Camus qui prêtait cette parole au personnage principal de sa pièce Les Justes dans l’acte I : « KALIAYEV, se dominant. : Tu ne me connais pas frère. J’aime la vie. Je ne m’ennuie pas. Je suis entré dans la révolution parce que j’aime la vie. ».

La maison d'antan - Oscar Gomez Mata - vendredi 17 janvier

You may also like

More in ART