LITTÉRATURE

Sur les traces de Sleepy Hollow

Avez-vous bien honoré vos morts ces derniers jours ? Il vaudrait mieux que ce soit le cas si vous ne souhaitez pas recevoir des visites quelques peu étranges. Ceci dit, si la vision d’une tête portée à bout de bras ne vous dérange pas, voire si cela vous intéresse, ce qui suit est pour vous ! Voici un aller simple pour le folklore allemand, qui repris sous la plume d’Ivring Washington, fascine et inspire encore trois siècles plus tard. Tim Burton ne dira pas le contraire !

Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête, Tim Burton, 1999

Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête, Tim Burton, 1999

Confortablement installé devant votre écran alors que la nuit devient glaciale en ce mois de novembre, vous attendez la venue d’un cavalier passé maître dans l’art de la décollation, soit du tranchage de tête. De nom, il n’en a pas, mais vous savez de qui il s’agit. Encapé et semant la terreur dans le petit village de Sleepy Hollow, il revient chaque nuit chercher les têtes qu’une mystérieuse sorcière lui ordonne de prendre. Je parle en effet du cavalier sans tête qu’Ichabod Crane, incarné par Johnny Depp dans l’adaptation cinématographique de 1999, essaie d’arrêter en vertu de la justice selon une logique de cause à effet. Mais voilà, la magie habite les bois cernant ce charmant village où de sordides non-dits planent, jetant toujours un peu plus d’ombre sur les visages terrifiés des braves. Si se nourrir de la peur et des histoires de fantômes a été le lot commun de toute légende orale, celle qui a inspiré ce film plonge ses racines dans le folklore allemand du XVIIIème siècle. Consignés par écrit sous la plume d’un certain Johann Musäus, certains éléments de ce conte remontent en effet à la tradition germanique qui au sortir du classicisme allemand œuvrant pour la réactualisation des formes littéraires antiques, se tourne vers la «  petite littérature », autrement dit vers les contes populaires disséminés un peu partout dans le territoire. C’est en allant à la rencontre des gens, que Johann Musäus alors connu pour son ouvrage Les Voyages physiognomoniques*, se lance dans la collecte de la matière allemande constituée d’histoires fantastiques de revenants, d’elfes, gnomes et autres créatures mythiques qui deviendront la fierté du pays une fois l’unité culturelle établie, car n’oublions pas qu’en 1825 ce territoire était politiquement morcelé et ne comptait aucune œuvre littéraire véritablement fondatrice permettant de valider une identité germanique. Palliant à ce manque, Masäus devint alors un archiviste et auteur puisqu’il regroupa et retranscrivit maint contes dans un livre intitulé Volksmärchen Der Deutschen, mieux connu en français sous le titre Les Contes populaires de l’Allemagne. Il devint de ce fait la référence d’Ivring Washington, un américain, qui poussé par l’essor du Romantisme douze ans plus tard, décida de puiser dans la matière germanique et de remettre au goût du jour ses vieilles légendes. Le personnage du cavalier hessois à qui la tête fut arrachée par un boulet de canon est l’un des anciens motifs de légende puisés chez Musäus, à cela près que la tendance satirique d’Ivring vise à donner au spectre invincible une image à la fois effrayante et comique.

Ichabold poursuivit par le cavalier Hessois, Le Magasin Pittroesque, 1849.

Ichabod poursuivit par le cavalier Hessois, dessin de Félix O.C Darley pour Le Magasin Pittoresque, 1856.

Bien moins ornée que la version livrée par le réalisateur Tim Burton au XXème siècle, l’histoire présentée par Irving Washington fait état d’un instituteur se rendant dans le petit village de Sleepy Hollow –situé cette fois-ci en Amérique– pour dispenser son savoir à de jeunes enfants. Cet instituteur, Ichabod Crane, doit en réalité son nom à un officier de l’armée américaine qu’Ivring rencontra en 1814 sur le front canadien à Fort Picke. Les traits de sa personnalité s’inspirent eux d’un certain Jesse Merwin, un ancien chef d’établissement de Kinderhook avec qui Ivring entretenait des liens d’amitié**. Revenons à notre histoire, maître d’école sans le sou, Ichabod s’arrange pour trouver le gîte et le couvert chez les parents de ses élèves dont il tente de s’attirer la sympathie et le respect, comme l’y enjoignait la condition de maître d’école d’alors*** –on note ici la touche américaine qui allège quelque peu la rigueur devant être observée par les maîtres allemands-. C’est au court d’une de ces soirées passées en invité qu’il envisage d’épouser l’une de ses élèves, la belle Katrina Van-Tassel, fille unique d’un riche fermier hollandais. Son caractère cupide  le pousse à séduire la jeune femme pour pouvoir faire mainmise sur les richesses exposées mais un autre prétendant, Brom Van-Brunt, ne voit pas cette situation d’un très bon œil et rivalise d’idées pour le faire échouer dans son entreprise de séduction. En plus de son avidité, l’autre faiblesse d’Ichabod est sa passion pour les histoires évoquant des phénomènes étranges, mais bien entendu, Ivring joue sur le paradoxe en doublant cet être curieux d’une véritable nature peureuse qui avorte le moindre de ses élans de courage. Le dessin animé La Légende de la vallée endormie qu’en a fait Disney en 1949 illustre bien ce point ironique. Surmontant ses angoisses, Ichabod, en homme de savoir, semble avoir engrangé en plus des “quelques livres lus en plusieurs années” –l’on sent ici la pointe ironique de l’auteur-, diverses connaissances sur les légendes et notamment sur celle de la dame blanche et du cavalier hessois qui hante Sleepy Hollow. Il est d’ailleurs fait référence à un “poème fantastique” qui vient s’étoffer à chaque rencontre avec le surnaturel et qui finit par prendre corps devant les yeux d’un Ichabod terrorisé alors qu’il tente de regagner son logis après une fête qui l’aura laissé dans un état de rêverie avancé. Les barrières entre les morts et les vivants s’effondrant à la faveur de cette ultime nuit brumeuse, toute la poétique fantastique tient en cette rencontre décisive qui va faire basculer la vie du professeur pour un ailleurs qui semble échapper aux vivants et lui permet de ce fait d’entrer à son tour dans cette légende qui le fascine tant. Cette fin énigmatique est bien éloignée de celle filmique de Burton qui s’est employé à rajouter des intrigues et à développer les motifs principaux de la nouvelle, en laissant de surcroît la vie à son héros. On ne pourra néanmoins pas passer à côté du fait que le livre  d’Ivring intitulé The sketck Book of Geoffrey Crayon, qui regroupe 33 essais et nouvelles en plus de la fameuse nouvelle Légende du val dormant que l’on vient de mettre en lumière, ne figure pas dans les annales dîtes “sérieuses” de la fantaisie allemande, la satire orientant visiblement trop le sens premier du folklore. Aujourd’hui le témoignage de reconnaissance le plus grand accordé à Ivring est sans doute le baptême d’une ville situé dans la périphérie de New-York et portant le nom que celui du village légendaire : Sleepy Hollow. L’on peut même y trouver le fameux “cimetière de Sleepy Hollow” dans lequel est enterré Irving lui-même.

Héritage en perpétuelle mutation, La Légende du val dormant a traversé pas moins de trois siècles avant de nous parvenir et d’enchanter les créatifs de différentes nationalités. La sensibilité à une esthétique de l’étrange ainsi qu’à une certaine noirceur s’est ainsi déployée et amplifiée sans que cela ne semble devoir cesser. En effet, une nouvelle série télévisée américaine reprenant la légende de Sleepy Hollow vient de voir le jour en cette année 2013. Réussite ou échec, il ne tient qu’à vous d’aller la consulter pour vous en faire une idée. Et si votre soif de cavalier sans tête n’est toujours pas assouvie, plongez vous dans le pendant irlandais de la légende, intitulé Dullahan. Ce n’est alors plus un homme décapité qui effraie les vivants mais bien une femme, oui il y en aura pour tout le monde !

Tombée dans le domaine public, vous pouvez consulter librement la légende mise en prose par Ivring et admirablement traduite par le Magasin Pittoresque en suivant ce lien : http://www.magasinpittoresque.be/document/Le-val-dormant-washington-irving.pdf

Le Cavalier sans tête vu par Tim Burton

Le Cavalier sans tête vu par Tim Burton

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*  Les Voyages physiognomiques s'intéresse à la théorie de la physiognomonie de Lavater -soit à la théorie qui consistait à juger les capacités des individus selon leur physique- Présentation dans Biographie universelle ancienne et moderne, collectif de gens de Lettres et de Savants, Tome 30, p.468, édition L.G. Michaud. 1821.

** Jonathan Kruk, Legends and Lore of Sleepy Hollow and the Hudson Valley (2011)
*** "Le maître d'école doit chercher à obtenir par-tout l'estime et la confiance par une tenue convenable, s'abstenir de toute légèreté, même apparente, ne prendre part ni aux danses publiques ni aux jeux de cartes, [...] éviter les auberges et autres lieux de distractions bruyantes, ne point se mêler aux musiciens [...] il doit régler sa mise (son habillement) suivant son état (sa condition sociale) et s'appliquer à ce que le peuple ne sépare jamais en lui l'homme d'avec les fonctions qu'il remplit. Des infractions à ces devoirs premiers l'exposerait à des admonitions sévères, puis à des peines disciplinaires, enfin à la privation de ses fonctions" P.25 du Rapport sur l'état de l'instruction publique dans quelques pays de l'Allemagne et particulièrement en Prusse par M.V Cousin. 1832 aux Imprimeries Royales de Paris
Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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