Le groupe canadien le plus cool, influent et créatif de notre génénation est bel et bien de retour avec un disque plus lumineux et dansant que jamais, sous fond de guerilla marketing (faire de la pub avec peu de moyens mais avec beaucoup d’imagination), de buzz fréquents et de concerts privés avec des pseudos comme Les Identiks ou encore mieux, The Reflektors, dont personne ne pouvait soupçonner que derrière tout ce joyeux bazar, se cachait Arcade Fire. Et ils n’ont qu’un seul objectif : te faire danser, prendre le contrôle de ton corps et même de tes pensées.
Autant dire qu’après le gros carton de The Suburbs, sorti il y a trois ans et un Grammy Award du meilleur album gagné l’année suivante, il fallait repousser ses limites et aller encore plus loin de ce qu’on pouvait espérer. Mais quand on s’appelle Win Butler ou Régine Chassagne (noyau du groupe fondé au début des années 2000, et accessoirement, mariés et parents d’un premier enfant né en Avril dernier), cette phrase citée précédemment prend tout son sens quand on écoute leur nouvelle galette, Reflektor. Sous la houlette de James Murphy, l’ ex-leader de LCD Soundsystem et écrit/composé entre leur terre natale (Montréal), un château en Jamaïque (on ressent parfaitement ce genre d’influences musicales sur cet album) et Haïti, où Régine possède quelques origines, ce quatrième essai du groupe ne pouvait être qu’excellent, homogène et rempli de bonnes choses. Ou comment, après une bonne dizaine d’années de carrière derrière eux, on pouvait se renouveler tout en conservant son ADN originel. Voilà le but de ce Reflektor osé, en tentant de ne pas dérouter les fans de la première heure.
Tiens justement, parlons de Reflektor, ouvrant ce double album qui évoque le mythe d’Orphée et d’Eurydice. Premier single dévoilé en Septembre dernier, le groupe était attendu au tournant par un bon nombre d’aficionados, et cette tuerie rock-disco-funk (avec David Bowie en featuring surprise s’il vous plait !) donne la couleur de ce nouvel univers, avec une saveur renversante et additive. Accompagné de deux clips (l’un réalisé par le photographe Anton Corbjin ; l’autre par Vincent Morisset, en créant une vidéo interactive incluant l’utilisation du smartphone ou de la souris de l’ordinateur) tellement retentissants, on avait hâte d’être au 28 Octobre pour découvrir les autres titres de cette merveille.
We Exist aurait pu se retrouver dans The Suburbs, avec ce rock mélodique et un peu nostalgique qui ferait presque pleurer. Flashbulb Eyes est un teasing des sonorités jamaïquaines, digne d’un carnaval, qu’on va entendre sur la puissante intro de Here Comes The Night Time, rythmée et endiablée. Ce sera aussi l’occasion de critiquer les missions humanitaires catholiques pour aider les Haïtiens depuis le tremblement de terre en Janvier 2010. Normal Person, à la fois rock très bordélique et explosion de son dans les oreilles, nous donne une claque monumentale. Et ce sera de même pour la vidéo réalisée par Roman Coppola, avec un gratin de guests (Bono, Michael Cera…). Pareil pour You Already Know, sonnant très sixties psyché, on retrouve un peu de l’ADN du groupe, avec choeurs de Régine à l’appui. Pour conclure cette première partie, Joan Of Arc est très post-punk, puissante et folle, alternant parties en anglais et en français (“Tu dis que tu es mon juge/Mais je ne te crois pas/Alors que tu dis que je suis une sainte/Mais ce n’est pas moi”), résume Régine, évoquant alors ce personnage historique du Moyen-Age qui n’est que Jeanne d’Arc.
Here Comes The Night Time II ouvre la seconde partie de cet opus, une intro frissonnante allant crescendo. Awful Sound (Oh Eurydice) a son intro tribale et puissante, et des parties envoûtantes et mélodiques, avant d’enchaîner par un slow nostalgique, joli et original. Quant à It’s Never Ever (Hey Orpheus), les synthés sont mis en avant, avec un grand soupçon de post-punk très 80’s. Le mythe d’Orphée et d’Eurydice revisité par les canadiens, entre français et anglais et allure puissante. Porno, la piste suivante, se démarque des autres titres, et en même temps une vraie petite merveille. Une ballade entre synthés 80’s et duo entre Win et Régine. Ca sent bon la chanson hivernale à écouter en regardant les étoiles. Et on retourne dans l’ambiance du carnaval avec Afterlife, un second single avec des extraits du film préferé de Win, Black Orpheus (ou Orfeu Negro) de Marcel Camus (d’ailleurs Palme d’Or en 1959) en guise de clip. Dans la même veine que Reflektor, c’est à dire dansante et rythmée, très disco-rock et ultra additive, on sent quand même un sacré potentiel. Enfin, Supersymmerty est une conclusion down-tempo, petite comptine au rythme des instruments, aérienne et vaporeuse, avant de s’éclipser avec un instrumental qui sonne comme la fin du film sonore.
Arcade Fire sait nous étonner à nouveau, malgré trois albums en dix années, avec un concept fou et savant, devenant ainsi une matière musicale avec beaucoup d’éléments homogènes, avec la complicité d’un magicien de l’indie electro-punk. Voilà comment on pourrait résumer ce morceau de lumière qu’est Reflektor où ces canadiens ont carte blanche sur la conception de leur univers et ne s’en privent pas. Ce qui donne un album dense et riche en sonorités folles, osées. Arcade Fire, a finalement, sa place parmi ces groupes actuels où l’on sent leur côté de génie, leur soif d’apprendre plus malgré la grande reconnaissance, et un penchant pour tester et expérimenter.