Pendant les vacances, c’est bien connu, le cinéma ne chôme pas, entre les grandes sorties estivales et les événements attendus qui écument nos vies culturelles à la manière des vagues sur les plages bondées de vacanciers. L’occasion pour la ville d’Alès (Gard), où a lieu chaque année le festival majeur de cinéma Itinérances, d’accueillir entre les murs de son cinéma le grand Jean-Pierre Mocky, venu présenter son dernier film Le Renard Jaune, un huis-clos d’une profondeur saisissante.
À son entrée dans la salle, le réalisateur octogénaire aux soixante films, qui a entre autres côtoyé sur sa route Truffaut, Chabrol, Lelouch, décrit son film comme « intemporel ». En effet, Le Renard Jaune, adapté du roman policier Aux Rendez-vous des tordus de David Alexander, devait être réalisé il y a près cinquante ans, en 1967, avec Bourvil, Maurice Chevalier, Francis Blanche et Simone Signoret. Avorté, le projet sera finalement tourné en sept jours en juillet 2012, dans l’extrême et singulière rapidité qui caractérise le cinéma de Mocky, quitte à trouver quelques imperfections.
Comme écrit pour de grands acteurs français, Le Renard Jaune rassemble Richard Bohringer, Michel Lonsdale, Claude Brasseur, Dominique Lavanant, Béatrice Dalle, Philippe Chevallier, Jean-François et Robinson Stévenin, qui nous offrent une belle performance dans ce que Mocky décrit lui-même comme « un hommage à ces personnes qui sont malheureuses et qui hantent les cafés pas seulement l’été mais en hiver et en automne quand il fait moins beau ». L’histoire est en effet tournée vers la détresse intérieure des protagonistes, dans le décor d’un bistro parisien, le renard jaune. Charles Senac, écrivain hanté par la gloire passée de son seul roman Prix Goncourt, interprété avec une grandiloquence familière par Richard Bohringer, est haï par les habitués des lieux avec qui il se montre odieux et blessant. Un matin, il est retrouvé mort chez lui, et l’inspecteur Giraud doit mener l’enquête parmi les clients du bistro, des personnes à mi-chemin entre soulards-paumés et rêveurs aux illusions perdues. À cette intrigue s’ajoute la bombe qu’un serveur joué par Michel Lonsdale, décidé à en finir et à partager son suicide avec des personnes aussi malheureuses que lui, a cachée dans un paquet sur le comptoir …
Le film, d’une humanité crue et d’un réalisme qui flirte avec la poésie, n’en demeure pas moins une comédie, où Mocky dresse, comme à son habitude, la satire d’une société qui promet grandeur et apporte misère, dénonçant la pauvreté, la misère humaine et l’obésité que Mocky compare à « un fléau comme la bombe atomique ». Rien que pour le jeu des acteurs, le caractère théâtral de l’ensemble et la manière dont est traité le sujet, Le Renard Jaune vaut le détour. Vous y retrouverez sans doute des spécimens que l’on a l’habitude de croiser dans les cafés de la capitale, comme de la province, s’échangeant leurs mauvaises humeurs et leur humour acide devant leur onzième demi de la journée.
Quel conseil donne Mocky à un jeune qui aspire à écrire et/ou à réaliser son propre film ? Pointant de ces mêmes yeux qui ont vu tant d’acteurs, de réalisateurs, de producteurs, de personnalités politiques et médiatiques le siège où je suis tapi dans une semi-obscurité, la légende me répond : « Nous sommes après cent ans de cinéma, un siècle après ce que Mr Méliès a commencé en 1900. Plus un Art avance, plus il vieillit. C’est un peu comme le roman, il n’y a rien de nouveau. Il y a trente-deux positions pour faire l’amour et trente-six situations dramatiques. La seule possibilité pour un jeune, c’est de prendre une de ces trente-six situations et de la rénover, d’apporter un éclairage différent. » Jean-Pierre Mocky s’appuie sur le cinéma de son ami Lelouch, à la fin des années cinquante. « Il avait trouvé un thème : un homme et une femme. Sa recette est la suivante : un film d’une heure et demie d’amour. Très difficile de parler pendant une heure et demie de l’amour, c’est assez banal, c’est une histoire sans histoire. Il a donc décidé de mixer quarante cinq minutes d’amour avec quarante-cinq minutes de course de voitures. Déjà une astuce. » Puis, il rajoute « le cinéma est une idée force. Trouvez le sujet, traitez-le avec force ».
À quoi peut-on s’attendre maintenant dans le futur du cinéma de Jean-Pierre Mocky ? Le réalisateur compte s’attaquer dans un prochain film au phénomène des nouveaux SDF, « cette corporation extrêmement malheureuse à laquelle se joint aujourd’hui des jeunes qui travaillent dans des bureaux de neuf heures à dix-heures et qui le soir dorment dehors ». Un film sur les médicaments, qu’il dénonçait déjà en 1992, est aussi en projet.
Basile Imbert