CINÉMA

Blue Jasmine

Après un ménage à trois barcelonais dans Vicky Christina Barcelona, l’Art parisien à travers les siècles dans Minuit à Paris et les pluies diluviennes à l’italienne dans To Rome With Love, Woody Allen décide de laisser cette Europe qu’il a si bien captée pour revenir outre-atlantique à New York et San Francisco.
Le premier plan de Blue Jasmine est fort de sens, même si l’avion montré est de pure synthèse … Un choix pour le moins étrange quand on sait que le cinéaste est un fervent défenseur des pellicules 35 mm ! La musique commence et nous sauve de la vision de cet objet volant trop parfait ; nous pouvons fermer les yeux, les notes qui viennent frémir à nos tympans sont déjà la signature d’une œuvre cuivrée, aiguë et rythmée.

Une jeune femme, troquant le prénom Jeannette pour Jasmine, vivait mariée à un homme d’affaire spécialiste de la finance, Hal. Il se fait arrêter par le FBI un jour comme un autre et se suicide en prison. N’ayant ni les moyens ni le courage de subvenir à ses besoins, elle se réfugie chez sa sœur Ginger. Même complètement démunie, elle se rend à San Francisco en première classe et voyage avec des bagages Louis Vuitton. “Je consomme par habitude” dira-t-elle : cela donne le ton. Voilà comment Woody Allen introduit le portrait d’une jeune femme qui parle toute seule, vit dans le passé et boit sa vodka frénétiquement après s’être doré la pilule pendant des années.

Woody Allen s’amuse avec les préjugés, entremêle et oppose les relations, enchaîne les séquences hystériques où il démontre sa dextérité qu’il arrive encore à nous faire redécouvrir.
Ses derniers films restaient dans la comédie-dramatique, le genre qu’il maîtrise le mieux. Le génie de l’humour noir nous coupe en deux avec Blue Jasmine. L’argent et l’existence, les relations fraternelles, la confrontation des milieux sociaux ; de l’évasion fiscale à l’alcoolisme, le film est ancré dans l’actualité. Faut-il en rire ou en pleurer ? Il est le roi pour tester nos limites humoristiques en abordant des sujets qui nous touchent et nous concernent.

Le réalisateur aux lunettes rondes a l’œil pour choisir ses acteurs : Alec Baldwin pour Hal en ex-mari coureur de jupons, Sally Hawkins pour le rôle de Ginger, Bobby Cannavale dans la peau de Al, le nouveau fiancé de Ginger ; leurs jeux sont remarquables. Si nous avions un peu d’empathie pour les acteurs cités, on pourrait presque en vouloir à Woody Allen d’avoir pris Cate Blanchett. Un seul de ses regards rend les autres ordinaires. Sa détresse la rend extraordinaire.
En effet, l’invisibilité de son personnage est sa plus grande souffrance tandis que sa présence à l’écran est fascinante. On s’y attache tellement que l’absence est palpable quand elle n’est pas devant nos yeux. Corps et âme sont rarement en symbiose, ici ils fusionnent pour un tout. Cate Blanchett ne joue pas son personnage. Elle le vit entièrement, frôlant la perfection.

Si on devait définir le mois de septembre concernant les sorties cinéma, ce serait une mer calme, trop calme. Hanté par les paroles de Blue Moon, Blue Jasmine est le genre de brise qui redonne vie aux spectateurs et à la force de la fiction, comme une belle et longue déferlante sous une pleine lune.

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