Pour accompagner leur troisième single, Black City Parade issu de l’album au titre éponyme sorti en Février dernier, Indochine a choisi de travailler avec le célèbre photographe et réalisateur Richard Kern pour un tournage de nuit dans les rues de New-York.
Black City Parade c’est d’ores et déjà l’aventure d’un album baladé de villes en villes durant sa conception et dont rien n’a été laissé au hasard, ce que l’on voit très bien dans le film sorti en juin dernier. De Paris à Berlin en passant par Tokyo et Bruxelles, cet opus s’est construit dans le cadre du voyage, qu’il soit réel ou fictif, le leader Nicola Sirkis confiant avoir également trouvé une échappatoire et de l’inspiration dans la lecture. Il n’est donc pas surprenant de retrouver cette atmosphère dans l’imagerie du groupe. Là où Yves Bottalico nous proposait une découverte nocturne de Berlin, où a notamment été enregistrée une partie de l’album, Richard Kern nous invite du côté du lieu du mixage : New-York, en nous proposant de découvrir le quotidien nocturne de plusieurs jeunes femmes déambulant dans les rues de cette ville.
Teaser #2 Black City Parade, le film :
« Dans une ville éclairée la nuit, il y a un esthétisme extrêmement fascinant » disait Nicola Sirkis au cours d’une interview pour l’Humanité en Février 2013 où il s’était exprimé à propos de l’album. Et si ce dernier nous donnait le ton avec son artwork représentant une ville et ses buildings, jouant entre nuit et lumières, les clips nous plongent à l’intérieur exprimant ce qu’il s’y produit en pariant sur la simplicité et l’esthétisme. Memoria et Black City Parade s’imprègnent de cette atmosphère et nous laissent dériver vers un univers où tout semble se matérialiser sous l’œil du personnage. Ce penchant humaniste se révèle grâce à un jeu de macro subtil, qui s’efforce de laisser en arrière-plan la ville, la plongeant ainsi dans un flou significatif. Se recentrant sur les visages et les paroles, l’attention est saisie d’emblée par ce poème de Mireille Havet qui ouvre l’extrait et annonce le fil du clip qui va suivre. Adapté à la société actuelle, les vers de cette femme rescapée de la première guerre mondiale se fondent sur les pans de société qu’il nous est donné de voir. “Notre génération n’est plus une génération” entonne Valérie Rouzeau qui prête sa voix pour l’occasion, et les êtres exclus de la “société” se présentent les uns derrière les autres. Des hommes qui se battent pour pas grand chose à ceux qui errent au petit bonheur à force de saoulerie, il n’y a qu’un pas.
La misère dépeinte sans jugement se colore peu à peu grâce à l’arrivée des jeunes femmes qui semblent elles aussi venues de nulle part, surgir du flou, avant d’y retourner en ayant fait cependant un geste envers ceux qu’on s’efforce de ne plus voir. Accrochées à leurs téléphones portables, la horde de jeunes filles croisées dans la rue en début d’immersion dans cette ville, ne démentira pas ce point. Mais tous ne sont pas encore versés dans cette politique de l’aveuglement aussi présente dans College Boy. “Notre faute est d’y survivre” enchaîne Havet. Oui, fautives d’aider leurs prochains, d’apporter une once de soutient dans cette aire urbaine où la noirceur se révèle sitôt le soleil enfuit, ces filles le sont. On aura décrié la lenteur des plans opposée à cette zone grouillante de vie, et bien cela ne va pas sans les actes qui y sont exposés ! Quelle saveur a l’instant où acculés et complètement perdu, comme l’est la petite fille au milieu de la foule, vous voyez soudain se présenter une main secourable ? Cet instant se fige, l’urgence et la peur s’apaise et la solidarité est le cadeau que l’on espérait plus. La vivacité du don d’autrui aurait gâché tout le message qu’essaye de transmettre Indochine dans cette chanson. Prendre le temps d’observer et de savourer l’image peut aussi être une violence faite aux vidéos que l’on nous sert quotidiennement. Voir enfin ces lieux communs et ces personnalités que chacun trouve devant le pas de sa porte en les observant d’un œil nouveau, voilà ce qu’essaie de véhiculer en subtilité Richard Kern. Ce voyage de découverte n’a pas de point d’ancrage, à l’image de ces filles qui sillonnent la ville sans de véritables buts, ce qui fait écho au clip de Memoria dans lequel le chanteur d‘Indochine traverse un Berlin endormi et presque désert. Ici, l’avancée du clip se nourrit de rencontres et suivant ce mouvement imprévisible, la caméra de Kern s’emploie à n’être jamais vraiment fixe nous faisant déambuler avec les protagonistes.
Pris dans ce tourbillon juxtaposant les extrêmes que sont la misère et la beauté – autant des filles que des actes-, ce choix arrive à marier avec justesse ce qui semblait inconciliable. La nuit, mère des transformations, favorise d’autant plus ces visions inhabituelles et permet à ces actes d’échapper à une niaiserie avérée. “Je rentre dans ta vie comme dans la nuit” concluent les paroles. Ni intrusive, ni abusive, la vision solidaire et humaine tend par sa simplicité à rendre un portrait optimiste de notre société en nous rappelant que celle-ci ne peut trouver sa force qu’à condition d’égard envers ses membres. Et l’homme chutant aussi bien mentalement que physiquement ne peut se relever que grâce à la main ou au baiser d’un être désintéressé. Ce retour aux choses essentielles que l’on oublie trop souvent dans une société qui prône l’individualisme, se couple avec la scène finale d’une des filles quittant au petit matin cette ville réconciliée, afin de plonger au cœur de la nature et d’ainsi se ressourcer. Prise de recul salutaire, la forme et le fond se rejoignent alors pour livrer cette conclusion qui n’a pas toujours été bien saisie.
Loin du sensationnalisme que College Boy a provoqué, ce travail conjoint de Kern et d‘Indochine tend à revivifier les valeurs fondatrices de l’entente entre les êtres. Présentant une part des problèmes de la société actuelle et dans un même mouvement, son remède, il s’inscrit autant visuellement que textuellement dans cette grande parade urbaine et nocturne voulue par Nicola Sirkis. Loin d’être une leçon de morale, il incite les spectateurs à décrypter les images qui lui sont données, chose qu’il n’a, en ces temps d’orgie numérique, plus vraiment l’habitude de faire !