En cette période de rentrée, nous avons décidé d’inaugurer notre première interview politique avec la porte-parole du gouvernement et ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem qui a volontiers accepté de répondre aux 15 questions posées par l’ensemble de la rédaction du magazine Maze.
Madame la ministre, vous êtes à la tête d’un ministère très jeune, puisqu’il a été créé par François Hollande lors de son arrivée au pouvoir en mai 2012. Sans parler de bilan, quelles ont été les mesures fortes proposées ou mises en place depuis un an sur la question de l’égalité femme-homme.
Le ministère a déjà existé entre 1981 et 1986 où Yvette Roudy était ministre des droits de la femme. François Hollande a recréé ce ministère de plein exercice en 2012 après 26 ans d’absence. En un peu plus d’un an, nous avons déjà engagé beaucoup de chantiers et accompli de très nombreux projets. Nous avons fait adopter la loi sur le harcèlement sexuel, la première du quinquennat. Par ailleurs, notre projet de loi, qui entre en discussion au Sénat en septembre, considère la question de l’égalité entre les femmes et les hommes de manière transversale ; c’est une première. Notre loi porte quatre axes majeurs : l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la lutte contre la précarité des femmes notamment à travers l’expérimentation du recouvrement des impayés de pensions alimentaires, la lutte contre les violences faites aux femmes et la parité dans l’ensemble des sphères de la société.
L’égalité hommes-femmes ne serait-elle pas plus égalitaire s’il n’était pas question de quota ?
La question des quotas fait souvent débat. Mais nous faisons face à la réalité, pour atteindre la parité, nous en avons besoin. Les médias ont souvent mis en lumière la question des femmes et des hommes politiques, notamment au Parlement. François Hollande a nommé en mai dernier le premier gouvernement paritaire de l’histoire de la République. La réforme du mode de scrutin aux élections départementales va permettre d’atteindre la parité dans l’ensemble des conseils généraux. Ce sont des leviers puissants et c’est pourquoi nous avons décidé dans notre projet de loi d’appliquer des quotas dans les fédérations sportives, dans les chambres de commerce et d’industrie ou encore dans les commissions et dans les instances consultatives de l’Etat. L’objectif à terme, c’est aussi de changer les comportements et que cette question de la parité devienne un réflexe pour qu’un jour, ces quotas ne soient plus nécessaires.
La rentrée sociale du gouvernement est marquée par la réforme des retraites. Quelles mesures concernent l’égalité femme-homme dans ce projet de loi ?
Cette réforme des retraites octroie de nouveaux droits notamment aux femmes. Je vous en cite trois : les salariés qui travaillent à temps partiel, le plus souvent des femmes, pourront désormais valider davantage de trimestres pour la retraite puisque le nombre d’heures exigé pour valider un trimestre passe de 200 heures à 150 heures. Deuxièmement, les congés maternité seront mieux considérés dans le calcul des trimestres pour la retraite. Enfin, les petites retraites qui concernent avant tout les femmes seront revalorisées.
Dans votre contribution au travail interministériel sur la France de 2025, vous avez écrit qu’il fallait “mettre fin au gaspillage sexuel des compétences”. Pouvez-vous nous expliquer cette formule, et nous donner vos éventuelles pistes de travail pour les solutions à ce problème que vous décrivez ?
Il s’agit de faire en sorte qu’à la sortie des écoles, les filles soient incitées autant que les garçons à aller dans les filières d’excellence, à aller dans ces filières dont on sait qu’elles feront l’avenir de demain.
Parlons justement des opposants de gauche. Aujourd’hui, un certain nombre de militants socialistes, lorsqu’il ne rejoint pas l’aile gauche du PS, le quitte pour le Parti de Gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon, se disant déçu par la politique menée par un gouvernement trop “social-démocrate”. Quel message souhaiteriez-vous leur adresser ?
Nous héritons d’une situation difficile. Notre pays est plongé dans la crise et pendant 10 ans, la droite a abimé la France. Nous ne pouvons résoudre tous les problèmes en un an. Le président de la République a fixé un objectif, l’inversion de la courbe du chômage avant la fin de l’année ; c’est notre priorité. Dans ce combat, nous avons besoin de toutes les forces de la gauche. Et soyons très clairs : il n’y aura pas victoire d’une gauche contre une autre.
Concernant les militants de votre parti, ils se sont rassemblés à la Rochelle pour les traditionnelles universités d’été, avec pour thème de travail, la lutte contre le Front National. Quel est le message du Parti Socialiste pour cette rentrée politique ?
« Mobilisés ! » Mobilisés sur tous les fronts, celui de l’emploi que j’évoquais à l’instant, celui du logement, celui de l’égalité, celui du redressement… Par ailleurs, le PS prépare d’ores et déjà les programmes des deux élections majeures de cette année, les municipales et les européennes.
La rentrée, c’est aussi pour les quelques 2 millions d’étudiants qui vont retourner à l’université dans quelques jours. Les principales organisations étudiantes alertent sur le fait que le cout de la vie pour un élève du supérieur ne cesse d’augmenter. Quelles mesures sont envisagées pour soulager les dépenses des jeunes ayant le moins de ressources ?
C’est justement parce que nous avons conscience des difficultés que peuvent rencontrer les étudiants que le gouvernement, par la voix de Geneviève Fioraso, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a annoncé au mois de juillet la revalorisation des bourses étudiantes : le budget est quasiment doublé et le nombre d’étudiants concernés est accru.
Chômage important en constante augmentation, manque de perspectives et de confiance en l’avenir, beaucoup de jeunes en formation se sentent aujourd’hui désabusés. Vous qui avez avec vos collègues imaginé la France de 2025, quel espoir nouveau voulez-vous donner à la jeunesse, priorité de François Hollande pendant la campagne ?
L’espoir, nous l’insufflons tous les jours. Les emplois d’avenir, les contrats de génération, nous créons des solutions pour les jeunes et les résultats commencent à se voir : pour le 3e mois consécutif, le chômage des jeunes baisse. Le 50000e emploi d’avenir a été signé au mois d’août. Je lisais cette semaine le témoignage de ce jeune au chômage depuis 14 mois après avoir enchaîné bac pro, intérims et arrêt de maladie. A 27 ans, l’emploi d’avenir lui a permis de remettre un pied à l’étrier.
Il y aussi une jeunesse délaissée, celle qui est tombée dans la délinquance, celle des quartiers difficiles, notamment celle de Marseille que tout le monde regarde ces derniers temps. Dans ces quartiers difficiles, où parfois la moitié des adolescents sont en décrochage scolaire, quelles sont les pistes proposées par le gouvernement pour réinsérer ces jeunes en déshérence ?
François Lamy, le ministre de la ville, a lancé à Marseille justement l’expérimentation des emplois francs. L’objectif est simple, faciliter l’embauche en CDI des jeunes de moins de trente ans dans ces quartiers. Pour chaque création d’emploi franc, l’Etat verse à l’entreprise 5000 euros. C’est un dispositif simple, très concret et qui donne déjà ses premiers résultats.
Puisque l’opinion et la personnalité d’un individu se forge dès sa plus tendre enfance, que proposez-vous pour combattre les inégalités hommes/femmes à l’école ?
Les préjugés, les stéréotypes conduisent à ce que les filles et les garçons se ferment des portes dès l’école. Et comme vous le dites, beaucoup d’inégalités se forgent dès l’enfance. Nous expérimenterons cette année dans 600 établissements scolaires de nouveaux modules, les ABCD de l’égalité, qui auront pour objectifs de casser les préjugés pour ouvrir le champ des possibles. C’est un combat majeur qui aura un impact sur les générations futures et sur la société toute entière.
Pour la première fois dans l’histoire de la République, un gouvernement paritaire a été mis en place au lendemain de l’élection présidentielle. Malgré cela, vous êtes-vous sentie, vous qui êtes aussi la plus jeune des ministres, obligée de prouver plus de choses que les hommes ?
Au sein de ce gouvernement, non. Notre équipe est solidaire, nous travaillons tous pour le même objectif, le redressement du pays au service des Français. Il n’y a pas de place au gouvernement pour ce genre de jugements.
En tant que porte-parole du gouvernement, vous en êtes un peu l’image. Votre ministère lui, reflète également l’image d’une gauche progressiste et moderne. Tout cela peut susciter de l’ambition. Sur quelle thématique aimeriez-vous travailler dans l’avenir ?
Je ne souhaite pas me projeter sur mon avenir personnel. Je me consacre à plein temps aux Droits des femmes et au porte-parolat du gouvernement. C’est une chance unique pour agir sur le quotidien des Françaises et des Français.
Au même titre que les femmes, les jeunes ont tendance à être sous-représentés dans le monde politique. Le non-cumul des mandats pourrait peut-être améliorer ces situations. Pouvez-nous nous assurer de la détermination du président de la République, en ce qui concerne ce projet de loi ?
Bien sûr, c’était son engagement et nous le tiendrons. La loi sera débattue à l’automne et appliquée au plus tard en 2017. Certains n’ont pas attendu cette date pour mettre fin à leur mandat et je m’en réjouis.
Beaucoup de jeunes ne croient plus en la politique, et se dirigent ainsi vers l’abstention ou les extrêmes. Quel message souhaitez-vous leur adresser ?
C’est en apportant des réponses à leurs problèmes que nous regagnerons la confiance de ces jeunes qui ont pu être déçus par la politique. Et je suis sûre que nous saurons les convaincre. Beaucoup de jeunes semblent séduit par la personnalité de Marine Le Pen. Vous le savez peut-être, le combat contre l’extrême-droite me tient à cœur. Avec Guillaume Bachelay, nous y avons consacré un livre, Réagissez. Répondre au FN de A à Z. Quand on le regarde de près, le programme de Marine Le Pen, c’est par exemple une sortie de l’euro aux conséquences désastreuses (augmentation de l’essence, entreprises pénalisées, diminution des salaires, ruine de l’Etat) ou le démantèlement des droits des femmes (déremboursement de l’IVG).
Avant de devenir Ministre, et porte-parole du gouvernement, vous avez été, entre autres, porte-parole de Ségolène Royal puis de François Hollande lors de leurs campagnes présidentielles respectives. Comment envisagez-vous cette fonction ? Comment gérer ses opinions personnelles lorsqu’on est porte-parole d’une personnalité politique ou d’un gouvernement ?
C’est une fonction exigeante : il faut être en permanence informé de l’ensemble des sujets. Mais c’est aussi une fonction passionnante. Quant à mes opinions personnelles, je les exprime. Dès lors qu’un débat est ouvert au sein du gouvernement, j’y participe, je fais valoir mes points de vue. Une fois les choix arbitrés, je m’y tiens. Cette exigence, ça ne tient pas seulement au poste de porte-parole mais bien à l’ensemble des ministres du gouvernement.