Le 24 juillet dernier, l’Assemblée Nationale a approuvé l’adoption du projet de loi concernant l’audiovisuel public. A la suite du vote, Aurélie Filipetti, ministre de la culture et de la communication, s’est exprimée en déclarant : “Enfin une grande loi d’indépendance de l’audiovisuel public”. En désirant marquer une rupture avec la loi du 5 mars 2009 du quinquennat précédent et son penchant pour ce que certains nommaient « Télé Élysée », les discussions ont avorté d’un projet de loi visant à la réorganisation du milieu de l’audiovisuel public. Mais le changement est-il réel ou s’agit-il seulement d’un faux-semblant ?
Une loi pour l’indépendance
C’est donc le 24 juillet, après débat parlementaire, que la loi de l’indépendance de l’audiovisuel public fut approuvée par le vote des socialistes mais aussi des écologistes et radicaux de gauche, qui à l’origine pourtant désiraient s’abstenir. L’UMP et l’UDI ont voté contre. En lançant à la droite : “Vous avez tenté de vous racheter une vertu alors que vous avez défendu en 2009 une loi qui concentrait les pouvoirs de nomination des présidents de l’audiovisuel public dans les seules mains du président de la République”, les défenseurs de cette loi comptaient bien marquer une rupture avec le précédent quinquennat, dans la relation qui unit média et politique. Deux projets de loi étaient à la base discutés concernant le renforcement de l’indépendance du CSA et des organismes publics audiovisuels, et le refus de persévérer dans son lien étroit avec le pouvoir exécutif. Il s’agit donc bien de donner davantage de fonctions directrices et électrices au CSA. Le projet de loi sera examiné à la rentrée au Sénat.
Une loi multiple et conséquente
Cette loi complexe touche à plusieurs pans de l’organisation de l’audiovisuel public. En ce qui concerne l’altération de l‘organisation même du CSA et de son statut, des modifications conséquentes apparaissent telles que la transformation du CSA en une autorité publique administrative, impliquant autonomie et donc un budget propre. Des changements touchent aussi l’équipe puisque sept membres agissent désormais contre neuf auparavant. Par ailleurs, contrairement à l’amendement en fonction depuis le 30 septembre 1986, le CSA obtient désormais la possibilité de transformer une chaîne payante en chaîne gratuite. Enfin, le CSA est autorisé à différer le lancement d’un appel à candidatures pour l’attribution de fréquences radio et télé lorsqu’une étude d’impact aura attesté que la situation économique du marché n’était pas propice. Le CSA sort donc comme le grand gagnant de cette réforme, point critiqué par l’UMP qui réprouve la confusion entre régulation et nomination de l’organe. Ils estiment être une anomalie le fait que le CSA régule à la fois la branche audiovisuelle et nomme les patrons. Ce pouvoir substantiel risquerait, selon eux, d’avantager le secteur public au détriment du privé.
Concernant l’indépendance de l’audiovisuel vis-à-vis du pouvoir politique, des éléments jouent en cette faveur. En effet, cette loi permet au CSA de désigner les patrons des chaînes et radios publiques des groupes France Télévisions, Radio France ainsi que France Media Monde (regroupant France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya). Cette modification permet à cette instance de régulation de révoquer les mandats en cours des dirigeants. Le président de la République ne préserve ainsi que le pouvoir de nommer le président du CSA. Les autres membres sont désignés pour trois d’entre eux par le président de l’Assemblée nationale, et les trois autres par le président du Sénat.
Enfin, cette loi tente d’aborder la question de l’avenir de l’audiovisuel public au sein du paysage médiatique. Elle prévoit ainsi de créer une commission visant à débattre de la modernisation de la diffusion audiovisuelle. Mais cette loi entreprend aussi d’examiner la question financière, en accordant le maintien de la publicité en journée après 2015 sur les chaînes de France Télévisions, contre la suppression que préconisait la loi de 2009 pour 2016. Comme nous l’avons dit précédemment, elle permet aussi la transformation d’une chaîne payante en chaîne gratuite. Cet amendement peut de cette manière aider certains médias en difficulté comme c’est le cas pour LCI de Nonce Paolini, affaiblie par une baisse de son audience et un fléchissement de ses revenus et qui pourra ainsi tenter de passer en clair. Ceci la relancerait dans la course à la concurrence avec les chaînes d’informations en continu BFM et I-Télé. Cet amendement a d’ailleurs provoqué la colère de ces derniers qui craignent leur propre affaiblissement. Le président de NextradioTV à qui appartient BFM TV a ainsi affirmé : “Il n’y a pas la place pour trois chaînes d’information. LCI ne réussira pas. Et nous, comme i-Télé, nous serons affaiblis. C’est mauvais pour le pluralisme, contrairement à ce qu’on nous dit.”
Un coup politique ?
Certains problèmes d’application de la loi se posent, comme par exemple la question des mandats en cours. En effet, cette modification implique une menace sur les mandats de Rémy Pflimlin, président de France Télévision prévu jusqu’en août 2015 et de Jean-Luc Hees président de Radio France prévu jusqu’en mai 2014, nommés tous deux par Nicolas Sarkozy. Mais la menace existe aussi pour Marie-Christine Saragosse, nommée à la tête de France Médias Monde par François Hollande en 2012 et ce jusqu’en automne 2017. La question est donc désormais de savoir si les mandats vont être maintenus après promulgation de la loi, malgré la présence d’un amendement prévoyant la possibilité de mettre un terme à ceux-ci. La droite a ainsi dénoncé un « bal des faux culs » de la part de la gauche dans le but de couper les têtes des patrons des chaînes publiques. Mais la gauche a répliqué, accusant la droite de mener un faux procès et assurant qu’il n’était en aucun cas le but et que cela s’accompagnerait d’examens juridiques.
Le mirage d’une grande loi ?
“Tout ça pour CSA” titrait Libération. En effet, malgré la grandeur apparente d’une loi visant à réformer un système parfois défaillant, cette loi ne semble finalement pas rompre totalement avec certaines des habitudes du précédent quinquennat et n’apporte qu’un léger lot de consolation.
Il se pose tout d’abord un problème dans l’éthique même de la loi. Cette loi était censée rompre avec les habitudes de Télé Élysée. La gauche en avait fait le symbole d’un pas vers l’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir exécutif. Néanmoins, cette indépendance est une des grandes absentes de ce projet de loi. En effet, la nomination des dirigeants des grands médias de l’audiovisuel public ne se fait certes plus directement par le président, mais tout de même de façon indirecte. Si le lien entre média et pouvoir politique ne semble plus présent, c’est seulement qu’il n’est plus transparent. L’hypocrisie flottant au-dessus de cette loi pose ainsi de nouveau la question de la réelle indépendance des médias publics, d’où la critique de nombreux membres de l’UMP qui mettent en avant une loi de l’affichage. Pour détacher totalement le pouvoir médiatique du pouvoir politique certains préconisaient avant l’adoption de la loi, de s’inspirer de modèles étrangers. Ainsi, les députés UMP Franck Riester et Christian Kert désiraient la mise en place, comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne, d’un haut conseil de l’audiovisuel public qui engloberait une frange plus représentative de la société.
La question financière pose aussi problème, dans la superficialité de sa présence. Certes, la question de la publicité fut abordée dans la question de son maintien en journée. Néanmoins sont attendues des discussions concernant le retour de la publicité après 20h. En effet, cette suppression sur les chaînes de France Télévision a coûté près de 746 millions d’euros au budget de l’État depuis son entrée en vigueur en 2009. La modernisation de la redevance (contribution de l’audiovisuel public) est aussi un point qui sera discuté dans le cadre d’une grande loi pour 2014. Certains revendiquent ainsi la mise en place d’une redevance plus large, sur tous les écrans, comme dans certains pays tels que l’Allemagne. Cette mise en place rapporterait entre 100 ou 200 millions d’euros mais serait aussi un nouvel impôt imposé aux ménages. Par ailleurs, dans le cadre d’une loi plus large prévue pour 2014, cela rendrait difficile la mise en place d’une autre taxe voulue par le rapport Pierre Lescure dans le cadre de l’exception culturelle française.
Toutefois, même si cette loi est lacunaire, l’effort est tout de même à remarquer puisque cette loi a le mérite d’ouvrir une brèche dans le traitement de ce sujet délicat. De nouveaux débats devraient suivre et un nouveau projet de loi devrait aboutir en 2014, s’attaquant à de nouvelles thématiques telles que le transfert de compétence d’hadopi au CSA (comme le préconisait le rapport Lescure) mais aussi les questions de financement ou de régulation Internet.