En deux ans et demi à la tête du Front National, Marine Le Pen l’aura fondamentalement changé, du moins du point de vue de l’image : une femme, jeune, un sourire, un certain charisme, autant de choses qui tranchent avec le physique, n’ayons pas peur des mots, plutôt ingrat de son père. Et quel père ! Président du Front National pendant trente ans, de sa création en 1971 jusqu’en 2011 avec le passage de relais à l’héritière Marine, Jean-Marie Le Pen est aujourd’hui le problème principal de celle qui a obtenu 17,9 % des suffrages lors de la dernière présidentielle. Ce score impressionnant de la présidentielle est révélateur de la bonne stratégie de dé-diabolisation qu’a entrepris dès le départ la présidente du Front National. Seulement, l’héritage comporte aussi ses tares. Jean-Marie Le Pen a certes compris qu’il était temps pour lui de passer la main, mais pas question de sortir du jeu politique : commentaires sur l’actualité, présent dans de nombreux “banquets patriotiques”, apprécié des militants de longue date, le fondateur du parti frontiste est toujours omniprésent. Mais les sorties de son père, passées ou présentes, embarrassent Marine Le Pen qui tente de se démarquer, que ce soit par le changement de ton du discours, ou encore par son “rassemblement bleu Marine”, dénomination renvoyant à elle seule, en tant que personne, elle qui redore le blason du Front, en opposition avec le temps du Front National, parti d’extrême-droite aux dirigeants et pratiques obscures. Néanmoins, impossible pour elle de se séparer totalement de son père. Même si médiatiquement elle revendique de la distance avec certains propos de “Jean-Marie Le Pen” (jamais “mon père”, toujours “Jean-Marie Le Pen”), la présidente du FN a aussi ses moments d’oubli, comme nous l’avons vu récemment avec les propos que son père avait tenu sur l’apartheid et Nelson Mandela, qu’il avait qualifié de “terroriste”. Elle sait qu’elle a besoin de son père pour rassurer la base, mais aussi les réseaux.
Chouchouter le noyau dur, telle est la mission du président d’honneur du Front National. Le père pour l’extrême-droite, héritière du poujadisme et de l’Algérie française, la fille pour donner l’image d’un parti de droite classique, voyant le général De Gaulle comme le nouveau guide, faisant sans cesse du pied à l’UMP de la “droite décomplexée”, telle est l’ambiguïté du Front National moderne. Ambiguïté qui mène à une certaine opacité de la part de l’héritière Le Pen, qui dit “ne pas connaître” les groupuscules d’extrême-droite, alors qu’elle est elle-même conseillée par des membres du GUD, “syndicat” d’extrême-droite ouvertement homophobe et va danser avec les néo-nazis à Vienne. Et auquel cas, qu’elle ne s’inquiète pas, elle ne connaîtra pas ces groupes, papa veille au grain.