Il y a maintenant plusieurs décennies de cela, dans cette période à laquelle l’Histoire donna le nom d’entre-deux guerres, mon arrière-grand-mère paternelle Yvonne découvrait pour la première fois le monde de la corrida dans le si bel amphithéâtre romain de Nîmes. Indignée par tant d’horreur étalée, elle se leva de son siège et s’insurgea contre la violence des traditions. On la jeta hors des Arènes, après lui avoir remboursé sa place, alors qu’elle avait une invitation – somme qu’elle alla remettre à la SPA. L’anecdote familiale que l’on aime à se raconter s’arrête là et elle a resurgi de ma mémoire deux fois depuis le début de l’année scolaire : la première fois en septembre, suite au choix du Conseil Constitutionnel de déclarer la corrida conforme à notre constitution, la seconde fois ces derniers jours, avec l’ouverture dans le Sud de la France de la saison des férias.
Il convient peut-être d’éclairer les esprits nordiques sur quelques mots de vocabulaire. La corrida est un combat populaire en Espagne et dans le sud de la France entre un homme et un taureau. L’animal est mutilé avant et après le combat, pour assurer au torero une victoire certaine. À l’issue de l’affrontement, le taureau est mis à mort sous une foule en délire. Par féria, il faut entendre « grande beuverie autour du spectacle tauromachique », et celle de ma ville, Alès, s’est ouverte ce sept mai. Dans ma région, la corrida est un sujet qui fait débat depuis de nombreuses années, et qui peut être un sujet sympa pour gâcher vos repas de famille : « tu comprends, me dit-on entre le dessert et le café d’un repas pascal, c’est dans la nature des taureaux, ils méritent d’être titillés et aiment ça ». « Et puis, ils sont fiers et heureux d’être envoyés à la mort » m’affirme une tante. Un temps de combat s’impose maintenant, chers lecteurs, et me voici dans l’arène, prêt à vous donner mon point de vue sur une question qui fait souvent l’actualité dans le sud de la France.
Qu’est-ce que la corrida sinon que barbarie, violence, torture ? Qu’est-ce que la corrida sinon que sadisme et méchanceté étalés lors de spectacles sanglants applaudis par des milliers de bourreaux ? Si l’on en croit ses défenseurs, la corrida est une simple coutume régionale qui remonterait à l’Antiquité. Les archéologues, d’Arles notamment, doutent sur ce fait, et les premières corridas remontent en réalité à l’Impératrice Eugénie, femme de Napoléon III, d’origine espagnole, qui fit introduire chez nous la corrida. Revenir sur cette pratique reviendrait alors pour ses défenseurs à toucher aux valeurs de notre patrimoine. Les romains décadents avaient pour coutume de faire dévorer les chrétiens par les lions. L’industrie du spectacle a beau avoir changé d’armes, je ne vois pas la différence. Les martyrs chrétiens ont été remplacés par des taureaux victimisés qui font l’objet d’humiliation et de tortures dans nos Arènes. Si l’on tient vraiment aux valeurs régionales, autant revenir aux jeux du cirque et renvoyer pour la prochaine féria des gladiateurs ou des lions dans l’arène. La ville d’Alès est encore plus risible dans ce jeu de la folie meurtrière. La tauromachie n’a jamais fait part de son patrimoine (tout comme les férias d’ailleurs) et voilà que depuis quelques années on s’y donne à notre tour à cœur joie, pour attirer les touristes voyeurs.
Vous êtes pour la corrida ? Vous êtes aussi pour le viol des femmes ? Vous êtes pour la torture infligée aux taureaux ? Vous êtes aussi pour le rapt d’enfants ? Vous êtes pour les mutilations animales ? Vous êtes aussi pour les femmes battues ? Mes rapprochements peuvent sembler excessifs, ils n’en demeurent pas moins liés par une même nature : celle de la violence gratuite et du sadisme. Violence et sadisme ? Nos valeurs régionales sont-elles là, derrière ces deux mots honteux qui en cachent tant d’autres ?
Tout ces infernaux jeux du cirque ont assez duré. Le troisième millénaire est entamé, il serait temps d’arrêter les traditions qui font la honte de notre pays. Amis de la corrida, rien ne vous pousse à aimer le goût du sang ! Respirez une bonne bouffée et détendez-vous un bon coup. Ensemble, enterrons la corrida une bonne fois pour toute sur le sol français !
Mon point de vue n’est pas négociable, vous pouvez toujours tenter de me convaincre, je resterai de marbre face à tous vos arguments. On ne négocie pas avec les terroristes.